bft-fmi-tunisie

Du 12 au 19 juillet 2016, le Fonds monétaire international (FMI) était en mission à Tunis. Nawaat s’est procuré le document détaillant les conclusions préliminaires de cette mission, qui fait le point sur la situation économique et financière, l’avancée des réformes préconisées par l’institution financière et qui établit des recommandations qu’on peut retrouver appliquéesdans la loi de finances établissant le budget de 2017. Certaines concernent l’affaire de la liquidation de la BFT, qui représente un surcoût justifiant en partie, pour le FMI mais aussi l’Etat tunisien, des mesures d’austérité.

Le FMI prépare l’austérité

⬇︎ PDF

L’introduction de la note détaillant les conclusions préliminaires de la mission du Fonds monétaire international (FMI) annonce la couleur : la Tunisie est sommée de se préparer à plus d’austérité, bien que le mot ne soit pas prononcé. Des « réformes difficiles » sont prescrites, qui doivent néanmoins s’accompagner aussi de « réformes permettant plus d’équité sociale ». Notons aussi que le FMI préconise des efforts de communication « pour expliquer une situation économique difficile et le fait que les sacrifices nécessaires pour réduire les vulnérabilités devront être consentis par tous ». On retrouve là la vision très particulière qu’a le FMI de la démocratie, et du rôle du politique : acter le suivi à la lettre de recettes préconçues, sans oublier d’instruire les franges de la population qui n’auraient pas saisi tout le bien-fondé de l’obsession réformatrice de l’institution financière. Au fil du document, le FMI distribue bons et mauvais points, ciblant particulièrement ses bêtes noires habituelles : les fonctionnaires, la protection sociale, les grèves, mais aussi la « thésaurisation » accrue lors du ramadan et des vacances.

Le scénario de l’austérité est connu. Avant la Tunisie, le FMI l’a appliqué en Grèce, au Portugal, en Irlande, etc. Pourtant, le dogme néolibéral dont il est tiré fait l’objet de vives critiques y compris au sein du FMI lui-même. Dans un article intitulé « Le néolibéralisme est-il survendu ? », paru dans une revue interne en juin 2016, trois experts du département recherche de l’institution avaient ainsi appelé à une vision plus nuancée de ce que la recette néolibérale peut accomplir, écrivant par exemple : « Les bénéfices de certaines des mesures qui constituent une partie importante de l’agenda néolibéral semblent avoir été quelque peu exagérés ».

Visiblement, le doute et la remise en question ne sont plus d’actualité. Pour le FMI, il faut que les réformes soient mises en œuvre rapidement, et elles sont d’autant plus « impératives » que des coûts budgétaires imprévus s’annoncent. Sans surprise, le FMI pointe du doigt ce qui ressemble trop au modèle de l’Etat providence, à savoir « la masse salariale » et le déficit des caisses de sécurité sociale, ajoutant que celles-ci doivent également faire l’objet de « réformes ». Mais le FMI mentionne aussi une autre source de surcoût : la « résolution envisagée par les autorités de la BFT ».

Un surcoût lié à l’affaire de la BFT

La Banque franco-tunisienne (BFT) est une filiale de la Société tunisienne de banque (STB), qui servait de tirelire personnelle aux amis du régime de Ben Ali via un système d’octroi de crédits sans garantie. La BFT compte donc aujourd’hui plus de sept cent millions de dinars de dettes prétendument irrécouvrables. Cette affaire, qui menace de déstabiliser l’ensemble du système bancaire tunisien, illustre aussi la collusion entre les milieux d’affaires, les hauts fonctionnaires et des représentants de partis politiques au pouvoir. La porte de sortie qu’a trouvée le gouvernement est la liquidation.

Ce choix a pour intérêt de faire disparaître les preuves des implications des responsables du scandale financier, dont beaucoup occupent encore aujourd’hui des postes haut placés, et cela avant que le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ne rende son jugement dans la plainte qui oppose l’Etat tunisien à la société ABCI Investments, qui l’accuse de spoliation. Le CIRDI pourrait condamner la Tunisie à verser des sommes colossales, d’autant plus que le gouvernement a refusé les portes de sortie qui s’offraient à lui.

Dans le document, le FMI annonce que « la BFT devrait être mise en liquidation ou faire l’objet d’une résolution ordonnée au plus tôt. Si l’option résolution ordonnée est retenue, les procédures suivies devraient respecter le cadre de la loi bancaire et de ses décrets d’application. Les autorités tunisiennes devraient dès maintenant faire un choix et mettre en place un échéancier ».

Une résolution ordonnée consiste en une série de mesures censées prévenir la faillite et organiser une restructuration ou une liquidation de telle sorte que les intérêts des épargnants et des contribuables soient protégés au maximum. Le FMI exhorte aussi le gouvernement tunisien à inclure les coûts liés à cette « résolution » de la BFT dans le budget 2017 :

Les coûts liés à la résolution de la Banque Franco Tunisienne (BFT) devront aussi être pris en compte, et pourraient s’élever à 430 millions de dinars. Un administrateur sera nommé dans les prochains mois, constituant la première étape de la résolution de la banque. L’état est fortement exposé au passif de la BFT, avec une garantie étatique sur une ligne de crédit des banques publiques de 140 millions de dinars. La Banque Centrale fournit une ligne de crédit de 180 millions de dinars, et plusieurs entreprises publiques ont des dépôts pour une valeur de 110 millions de dinars. Compte tenu de la faible valeur attendue des actifs de la BFT, une perte sèche pouvant monter jusqu’à 430 millions de dinars partagée entre le gouvernement, la Banque Centrale et les entreprises publiques devrait donc être prise en compte dans les prévisions de budget.

Ce chiffre de 430 millions semble sous-estimé, étant donné que les passifs de la BFT s’élèvent à 700 millions de dinars. Ils retomberont sur la Société tunisienne de banque (STB), elle-même en difficulté, et sur la Banque centrale de Tunisie (BCT) qui est son actionnaire principal. Encore une fois, les Tunisiens sont appelés à subir les « réformes difficiles » afin de couvrir les fraudes des hauts responsables.

La BFT n’est pas la seule banque en difficulté. La Société tunisienne de banque (STB), la Banque nationale agricole (BNA) et la Banque de l’habitat (BH), ont aussi octroyé des crédits sans garantie aux proches du régime de Ben Ali. Déjà, le jeudi 6 août 2015, le Parlement avait adopté le projet de loi de recapitalisation de ces trois banques publiques, à hauteur de 950 millions de dinars.

Le FMI a beau jeu de souligner que « la lutte contre la corruption devrait rester au centre du programme des reformes » : après avoir fermé les yeux sur un audit de la STB qui ne prenait pas en compte le bilan de la BFT, il entérine une décision qui dédouane les responsables de la quasi-faillite des banques et fait peser les conséquences de leurs agissements frauduleux sur les Tunisiens. Une nouvelle fois, tandis que les uns jouissent de l’impunité, protégés par la collusion qui règne au sommet de l’Etat, à la tête des banques et dans les milieux d’affaires, les autres sont appelés à se serrer la ceinture…