Face au vacarme des mensonges médiatiques, il est de plus en plus difficile aux mouvements sociaux de faire entendre leur voix. L’île aux enchères est un documentaire amateur, qui s’est donné pour tâche, la défense des habitants de Kerkennah dans leur combat contre les sociétés pétrolières, dont Pétrofac. Originaire de l’archpel, Majdi Kaaniche, 35 ans, chercheur en arts plastiques, décide de prendre part dans cette « guerre médiatique » à travers le cinéma amateur en donnant la parole aux «  opprimés » et aux « oubliés ».

Majdi Kaaniche
Majdi Kaaniche

L’île aux enchères est un documentaire sans prétention, produit par le Club des cinéastes amateurs de Kerkenah et primé au Festival international du film amateur à Kelibia en 2016. Le film commence par un plan en pleine mer, en avant-plan la proue d’une barque et une installation pétrolière qui casse la ligne d’horizon en arrière-plan. La bande son enregistre le désespoir d’un jeune chômeur, d’une violence rare. Une scène qui résume l’amertume des habitants de l’île après la répression policière qui s’est acharnée sur les habitants en mars-avril derniers. Dans la deuxième séquence, un vieux pécheur s’adresse à la caméra en colère « et tout ça est la faute de qui ? C’est la faute des gouvernants ! ». Majdi Kaaniche a choisi son camp, donner la parole aux siens, stigmatisés par la propagande des médias dominants.

Crédit photos : Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs – Majdi Kaanich

Le réalisateur a été très en colère contre la couverture médiatique du mouvement social qui a secoué l’île au printemps dernier. Il décide de passer à l’acte. « D’abord ils nous ont taxé d’alcooliques, puis de malfaiteurs puis maintenant de djihadistes. Ils nous ont interdit de nous défendre face aux attaques. Je suis un spécialiste de l’image et ma conscience que cette guerre est médiatique principalement m’a poussé à agir. Je voulais contrecarrer l’image médiatique erronée sur Kerkennah. Pour cette raison le documentaire est basé sur des témoignages. Paroles contre paroles et que le plus sincère gagne » explique le jeune réalisateur.

Avant de commencer le tournage, Majdi voulait suivre un seul personnage. Il s’agit de Ahmed Chelli, 38 ans, chômeur, devenu handicapé moteur, lors du sit-in du mois d’avril devant le site de Pétrofac. « J’étais sur ma moto vers 9h du soir et je voulais rejoindre les sit-ineurs, quand je tombe soudainement suite à un coup derrière le crane » témoigne Ahmed dans le film avant d’ajouter qu’il ne s’agit pas d’un accident ou d’un braquage.

La veille de mon agression, les milices de Pétrofac m’ont menacé de représailles si je n’abandonne pas le sit-in Ahmed Chelli, 38 ans, chômeur, handicapé moteur

Une enquête a été ouverte mais vite classée sans suite. Ce drame résume, d’après Majdi, toute la situation de Kerkennah. « Le témoignage de Ahmed est un moment fort dans le documentaire. Le jeune père de famille était chômeur mais en bonne santé avant l’arrivée de Pétrofac. Son histoire personnelle est une métaphore de l’histoire de l’archipel ».

« plus besoin de vos télévisions ! »

Avec peu de moyens, le réalisateur de l’île aux enchères réussi à montrer plusieurs aspects du combat des habitants de Kerkennah. Le film dénonce les dégâts désastreux sur l’écosystème . Il met la lumière sur l’absence de développement dans la ville et explique ses raisons. « La municipalité n’a même pas un camion pour collecter les déchets. Chaque habitant doit emmener lui même ses déchets à la décharge ». Avant de commencer le tournage, Majdi savait déjà ce qui l’attendait. « Depuis longtemps, rien n’a été fait à Kerkennah. Il n’y a que les camions qui partent chargés de pétrole et de gaz » regrette le jeune artiste.

Conscientes de l’importance de l’image et de la médiatisation de l’affaire de Pétrofac, les autorités locales n’ont pas manqué à harceler Majdi et les protagonistes de son films.

Un des pécheurs qui a activement aidé le film a été convoqué plusieurs fois au poste de police. Ils voulaient des renseignements sur le tournage. Après, j’ai reçu une convocation au poste de police mais je ne suis pas allé suivant les conseils de mon avocat.Majdi Kaanich, réalisateur

Majdi affirme qu’il se sent protégé par les habitants de Kerkennah et les militants de l’Union des diplômés chômeurs, moteur principal du mouvement contestataire dans l’île de Kerkennah.

Le documentaire puise sa pertinence dans sa proximité des habitants. Mais la confiance établie entre le réalisateur et les protagonistes du film n’était pas facile à gagner. « Au fil du temps, ils ont compris que je suis vraiment des leurs parce qu’ils m’ont vu partout et toujours de leur coté. je suis devenu tellement proche du mouvement que j’ai pu assister aux dernières négociations de ce mois-ci. Mon objectif est de documenter tout ce qui se passe à Kerkennah afin d’en faire un long métrage » promet le militant de la FTCA.

Le film sera prochainement projeté à Sousse, à Annaba (Algérie) et probablement durant les Journées cinématographiques de Carthage. La récente vague de contestation a donné à Majdi Kaaniche plus d’arguments pour casser l’embargo médiatique et passer le film à Tunis et ailleurs. « Ce documentaire est destiné aux Tunisiens aveuglés par les médias et les politiques. Si nous réussirons à le diffuser à grande échelle, Kerkennah n’aura plus besoin de plateaux de télévision pour gagner la bataille » espère Majdi Kaaniche.