« L’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul », aurait dit Gandhi. C’est un peu ce qu’on fait Cyril Dion et Mélanie Laurent avec le film documentaire « Demain » qui montre que partout dans le monde des solutions existent et que des individus expérimentent déjà des nouveaux mode de vie, de nouvelles façons de cultiver, d’enseigner, de produire de l’énergie, d’échanger ou de vivre en démocratie. Interview du co-réalisateur, Cyril Dion, à l’occasion de la diffusion du film à l’Institut Français de Tunis, jeudi 15 septembre à 19h30.

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Pourquoi avoir voulu faire un film sur des initiatives qui proposent des alternatives innovantes ?
L’idée est née en 2007, au moment de la création de Colibris, une ONG qui valorise et accompagne les initiatives écologiques et citoyennes. On assistait à de nombreuses conférences et on entendait trop souvent des discours alarmistes sans que rien ne soit proposé. Il me semblait qu’il manquait une vision de l’avenir. Ce qu’on a voulu faire, c’est construire une histoire qui suscite de l’enthousiasme et donne envie aux gens d’agir. En montrant des exemples concrets, on démontre que le changement est possible.

Le film est construit autour de cinq thématiques : l’agriculture, l’économie, l’énergie, la démocratie et l’éducation. Pourquoi ce choix ?

Nous avons cherché des thématiques qui sont centrales dans notre société, et qui ont un impact sur notre vie. Prenons l’exemple de l’agriculture : d’une part c’est un besoin fondamental, mais c’est aussi quelque chose qui a un impact sur l’emploi, l’écologie, les ressources en eau, l’immigration, etc. De même pour l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation, qui me paraissent être des thématiques sources, à partir desquelles une transformation peut s’opérer. Ensuite, nous avons démontré que toutes ces thématiques sont liées et que nous ne pouvons pas y réfléchir de façon séparée. Il me semble nécessaire d’envisager la transformation de nos sociétés de façon holistique, comme un tout.

Il y a partout dans le monde, des milliers d’initiatives qui existent. Votre documentaire nous en fait découvrir quelques-unes. Comment les avez-vous choisis ?
On a cherché des initiatives qui soient suffisamment abouties pour que ça puisse être représentatif. Afin que même des personnes très sceptiques puissent être un petit peu convaincues par ce que l’on montrait. Et puis, j’avais envie que ce soit plutôt des exemples occidentaux, avec l’idée de raconter une autre histoire de l’Occident. Car l’Occident s’est vendu et survendu depuis des années en mettant en avant son modèle de développement et en le présenta comme un exemple à reproduire partout. Or, le film montre que des occidentaux repensent leur propre modèle.

Quelle image ou quel souvenir retenez-vous des voyages que vous avez fait pour réaliser ce documentaire ?
Curieusement je crois que c’est Détroit qui m’a le plus marqué. Déjà, parce que c’est le premier endroit où on a été, mais aussi parce qu’à Détroit on est témoin à la fois du degré d’effondrement qu’a connu la ville, et d’un degré d’enthousiasme incroyable. Ce qui était particulièrement marquant à Détroit c’est que les gens partaient de rien et la plupart d’entre eux ont vécu des situations bouleversantes qui les ont amené à agir. Il y avait donc à la fois l’histoire collective de cette ville qui s’écroule, et les histoires individuelles, marquées souvent par des épisodes douloureux.

« Demain » a reçu le césar du meilleur film documentaire et il est diffusé un peu partout dans le monde. Que reflète ce succès ?
Ça dit qu’il y a bien plus de personnes que l’on croit qui s’intéressent à ces sujets-là, qui ont envie de faire des choses, qui ne savent pas toujours comment, et à qui on ne propose pas des pistes de solutions. Les politiques n’y arrivent pas, les médias et les ONG, pas toujours. C’était mon intuition en faisant le film : proposer une histoire capable de parler à la fois à notre cerveau rationnel, mais aussi à notre cerveau émotionnel, et à faire le lien entre les deux. C’est important que les politiques, les artistes, mettent au point un certain nombre de récits, qui permettent d’embarquer de plus en plus de gens dans un autre imaginaire et dans une autre façon de vivre.

Ce que vous défendez dans ce film (autonomie, action locale) vient-il confirmer l’idée que c’est la fin de l’Etat-nation et que nous n’avons pas d’autres choix que de se prendre en main ?
Je ne sais pas si c’est la fin, mais en tout cas on va aller vers une sorte d’hybridation. C’est d’ailleurs un peu la théorie du film : on va sortir d’un monde du « ou » vers un monde du « et », où nous allons devoir composer beaucoup plus. Effectivement, dans des pays très centralisés, comme la France, qui repose presqu’exclusivement sur l’Etat-nation, développer des territoires, la capacité des citoyens à s’auto-organiser, et créer des systèmes pleins de diversité, sont à mon sens des priorités. Il est temps de donner plus de pouvoir au local et aux citoyens, avec la création de comités qui rassemblent des élus et des citoyens, à l’instar des systèmes d’assemblées citoyennes en Inde que l’on montre dans le film. Si les citoyens reprenaient possession de la démocratie, ils pourraient appliquer les solutions.

Selon vous, « Demain » a t-il une portée universelle ? Est-ce que le discours que vous tenez dans ce film peut-être audible dans des pays qui traversent des conflits très violents, comme c’est le cas dans le monde arabe actuellement ?
J’espère que ça l’ait. En tout cas, il l’a été au Maroc et en Algérie où l’accueil a été extraordinaire. Alors bien sûr, il me semble que c’était une population plutôt urbaine et cultivée [le film est sous-titré en français], mais malgré tout j’ai été touché par la réaction des gens. Et j’adorerais qu’on arrive à faire le lien entre tout ça : à se dire que dans le monde arabe, par exemple, tout la réflexion qu’on a sur la démocratie, l’économie, aura une incidence. Nous avons besoin aujourd’hui de sortir de cette concentration du pouvoir économique. Toute la réflexion qu’on a sur l’autonomie alimentaire concerne également ces pays car la richesse d’un pays dépend de la capacité de son territoire à produire de la nourriture, de l’énergie, de l’eau. Le jour où les pays pourront produire eux-mêmes une partie de leur énergie, on sera capable de prendre des positions beaucoup plus courageuses, et en conformité avec nos valeurs. Et que tous ces pays qui continuent à subir une forme de colonialisme économique et culturel puissent retrouver une liberté de parole et d’actions vis-à-vis de l’Occident.

Comme vous le savez, la Tunisie a connu il y a plus de cinq ans une révolution. Aujourd’hui, tout reste à construire. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Je me dis que c’est une excellente opportunité pour tout repenser et revoir le système politique. Qu’on mette en place un système qui va favorise la coopération entre les élus, les entrepreneurs et les citoyens et qu’on repense nos mécanismes démocratiques.
Les exemples qu’on peut trouver dans le film sont des pistes très intéressantes pour rompre avec la défiance, et les murs qu’il y a souvent entre les élus et les citoyens qui devraient pourtant être partie prenante de l’action de leurs représentants. Et puis, construire sa liberté. Cette liberté passe par l’autonomie sur un certain nombre de sujets. Quand on crée un tissu économique très dense avec de nombreuses entreprises implantées et ancrées culturellement, c’est plus compliqué pour les multinationales de venir.

Enfin, il me semble primordial de cultiver sa diversité et de se demander : qu’est-ce qu’on a de spécifique en tant que territoire, en tant que culture et comment peut-on faire vivre cela ? Et plutôt que d’essayer de ressembler à ceux d’à côté, qu’on voit à la télévision, il faudrait se demander comment notre différence peut être une richesse sur l’ensemble de l’écosystème ? C’est une des choses qu’on a appris dans le film : il y a des scientifiques qui travaillent depuis des années sur les écosystèmes et qui prouvent que le point commun de tous les écosystèmes, c’est qu’ils ne supportent pas la monoculture. Un système ne peut pas se prolonger dans le temps s’il n’y a pas de diversité. Donc le calcul qui consiste à tout standardiser est un très mauvais calcul. Tout l’enjeu est d’approfondir notre identité tout en la rendant féconde pour le monde, à l’offrir aux autres et à se nourrir de celle des autres. Peut-être alors, les choses marcheront un peu mieux.