Les agriculteurs ont compté leurs pertes pour la saison 2015-2016. Elles s’élèvent à environ 2000 millions de dinars. L’agriculture tunisienne navigue à vue. Ce constat, souvent perçu par le grand public comme une vérité générale, a été asséné cette fois, noir sur blanc et chiffres à l’appui, par Abdelmajid Ezzar, le président de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), dans une conférence de presse tenue hier au siège de son organisation.

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Le premier souci des agriculteurs est climatique. Par ce début de mois de septembre torride, les images des barrages asséchés ont interpelé toute l’assistance. Alors que leur capacité ordinaire est de 1500 millions de mètre cube, les réserves des ouvrages hydrauliques ont chuté de près de 50% pour se situer à 760,8 millions de mètre cube.

La pluviométrie, quand elle n’est pas carrément absente, elle se présente souvent sous forme de grêle. Très nocive pour l’arboriculture, la grêle est le cauchemar des agriculteurs de plusieurs gouvernorats, notamment Kasserine, Kairouan, Sidi Bouzid et Sfax. En 2016, les pertes causées par ce fléau ont été estimé par l’UTAP à 38 millions de dinars. L’Etat a versé 18 millions de dinars d’indemnisations. « Mais ce n’est pas suffisant, les compagnies d’assurances, même la CTAMA, une compagnie spécialisée en assurance agricole, refuse d’assurer les couloirs de la grêle » a regretté Ezzar. Sur un total de 516000 agriculteurs et de 60000 pêcheurs, seulement 40000 bénéficient de services d’assurances.

A la liste des calamités naturelles, s’ajoutent la mauvaise gestion et l’absence de bonne gouvernance. Selon le président de l’UTAP, la filière céréalière a perdu plus de 10% de sa production à cause de la vétusté des moissonneuses batteuses. Plus graves sont les dictats de l’industrie agroalimentaire. Ainsi, les éleveurs ont déversé 42 millions de litres de lait devant les portes fermés des centrales laitières, incapables d’accepter et de transformer en poudre leur produit. Ce lait aurait rapporté aux éleveurs sinistrés plus de 31 millions de dinars.

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Les rumeurs sur les maladies du cheptel national, pourtant réfutées par l’UTAP, ont provoqué une diminution de 30% sur la consommation de viande rouge, occasionnant des pertes de 100 millions de dinars. Les aviculteurs souffrent d’un décalage entre l’offre et la demande qui a tiré les prix des œufs et des volailles vers le bas engendrant des dégâts de 130 millions de dinars.

Comme chaque été, les files d’attente de cargaisons de tomates s’allongent indéfiniment devant les usines. Cette année, certains producteurs ont du attendre près de 36 heures, perdant ainsi plus de 20% de leur récolte. Abdelmajid Ezzar s’est également plaint des autorités commerciales qui auraient entravé l’exportation des dattes vers la Libye.

Si Abdelmajid Ezzar s’est montré particulièrement critique envers les assureurs qui refusent de couvrir les activités agricoles, il était exaspéré par les banquiers frileux. Moins de 7% des agriculteurs ont accès au crédit bancaire. Les banques commerciales ne contribuent qu’à 15% du total des investissements agricoles. « Les agriculteurs se trouvent contraints à s’endetter auprès de leurs fournisseurs à des conditions exorbitantes et accablantes » a-t-il regretté. Leurs dettes envers les banques s’élèvent 1161 millions de dinars. Deux tiers de cette somme sont constitués des intérêts et des pénalités de retard de payement cumulés au fil des saisons et au rythme des catastrophes naturelles. Bien qu’il ait reconnu certains efforts gouvernementaux à résoudre le problème de l’endettement agricole (comme la suppression des crédits de moins de 3000 dinars à partir de 2014), Abdelmajid Ezzar relève une lenteur et une volonté politique plutôt molle quant à la mise à niveau de l’agriculture. « Pour les crédits dépassant 5000 dinars, nous demandons de rayer les pénalités de retard, de supprimer 10% des intérêts contractuels et d’échelonner les autres dettes sur 10 ans », a-t-il proposé.

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Alors qu’ils viennent tout juste de constater les pertes de l’année écoulée, les agriculteurs redoutent une prochaine saison beaucoup plus rude. « Les eaux ne cessent de se raréfier. Le phosphogypse et les acides ont gravement endommagé la faune et la flore du Golfe de Gabes. Les eaux usées et les déchets industriels sont déversés au large de Tunis et sur les plages de Monastir et de Kheniss… », a égrené le président de l’UTAP, dont le visage s’est davantage crispé en dénombrant les épidémies et les maladies qui guettent le secteur. Le feu bactérien menace tous les champs de poiriers du pays. Xylella Fastidiosa, la bactérie tueuse des oliviers, épouvante le secteur et les autorités d’une Tunisie qui a détrôné l’année dernière, l’Espagne, pour devenir premier exportateur mondial d’huile d’olive.