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Ce n’est point le peuple naissant qui dégénère ; il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déjà corrompus. Montesquieu, De l’esprit des lois.

De tout temps, la politique a été un champ miné d’ambivalences. Elle est, à la fois, ce « chant des sirènes » vicieux et corrupteur, et ce lieu où s’exaspèrent l’amour de la patrie et la recherche de l’intérêt public. Aussi, la politique vertueuse est loin d’être utopique.

Bien que la mentalité collective ne puisse concevoir un mariage entre vertu et politique, Cicéron, Montesquieu, ainsi que de nombreux autres penseurs ont déjà évoqué la possible adéquation de ces deux notions, a priori, antinomiques : la vertu étant une valeur absolue et transcendante. La politique étant un espace profane où s’imbriquent la quête de l’argent, la corruption et le mensonge et où s’entrechoquent les intérêts personnels.

Dans son ouvrage De l’esprit des lois, Montesquieu explique le lien vital entre la démocratie et la vertu. Contrairement au despotisme, né de la crainte, des menaces et des châtiments, la république exprime la souveraineté du citoyen. Elle exige donc la vertu politique comme renoncement à soi-même, une entreprise pénible mais fort avantageuse pour l’avenir de la république. Montesquieu définit dans ce sens la vertu en politique comme l’amour des lois et de la patrie.

Plus tard, et tout au long des tourmentes révolutionnaires qu’a traversées l’Europe, il était question de distinguer l’homme politique motivé par une vertu authentique de celui qui en portait le masque. Ce dernier, taxé d’hypocrite, de versatile et d’ambitieux, sera excommunié de la scène politique, voire exécuté (notamment sous le règne de la Terreur).

Et pour cause, c’est dans ces moments décisifs qu’intervient la vertu républicaine, courageuse et inflexible. Indispensable à tout homme politique, l’amour de la patrie et des lois tient lieu de lien affectif et social auquel s’ajoute le don de sa personne et de ses proches. Pourtant, la vertu politique semble faire défaut dans la Tunisie postrévolutionnaire.

La classe politique tunisienne paraît n’avoir retenu de la politique que ses vices, c’est-à-dire, sa vénalité, son opportunisme et ses trahisons. Ils omettent que la politique est également animée par la vertu et la loyauté. Loyauté envers la patrie certes, mais essentiellement envers les principes et les fondamentaux que le politicien ne peux trahir sans risquer de se trahir lui-même et de vendre son âme au diable. Nous assistons ainsi à des alliances contre nature et à des mesquineries qui témoignent non seulement du peu d’intérêt qu’accordent les politiciens à leur dignité, mais surtout de leur ignorance politique car, rappelons-nous, pour Montesquieu la vertu politique doit être inculquée dès le plus jeune âge. Or, des siècles de despotisme ne peuvent qu’engendrer une classe politique inculte.

Lorsqu’on demanda à Machiavel qui de la virtus politica ou de la fortuna (l’argent) avait fait la grandeur de l’Empire romain, il répondit virtus politica. Aussi, depuis sa création, l’alliance anglo-américaine est-elle indéfectible. Idem pour l’axe Israël-Occident. Ces coalitions sont des fondamentaux sacrosaints qu’aucune des parties n’est prête à rompre pour un intérêt autre que la pérennité de l’alliance. De même pour les partis politiques : en France, par exemple, l’alliance gauche/extrême droite est inconcevable. La gauche et la droite vont jusqu’à faire alliance temporairement pour faire barrage à l’extrême droite : le principe sacré étant l’intérêt de la République.

Malheureusement, dans leurs visions déformées, nombres de politiciens tunisiens pensent que faire de la politique signifie se déposséder de toute morale. Flirter avec l’adversaire, s’attirer ses bonnes faveurs, lui laisser le champ libre pour réaliser ses desseins jusqu’à aller à l’encontre de la république et de la démocratie. Toutes ces pratiques font d’une partie de notre classe politique rien de plus qu’un amas d’individus vaniteux sans aucune connaissance de la chose politique.

La vertu politique consiste à sacrifier ses intérêts et soi-même pour les intérêts du corps social et de la patrie. Or, dans la Tunisie postrévolutionnaire, les ambitions personnelles ont pris le dessus.

Afin de dédouaner les politiciens, certains avanceront  la thèse des « pressions extérieures ». Mais cet argument tombe à l’eau dès que l’on sait que les injonctions occidentales ne sont pas aussi opprimantes face à des forces unies, organisées et déterminées capables de communiquer leurs idées et leurs projets.

En Tunisie, on est bien loin de la génération des pionniers qui ont bâti un pays sorti quasiment ruiné de la colonisation. Par leur vertu politique, leur dévotion et leur abnégation, ils ont réussi à fonder un Etat fort de ses institutions. Aujourd’hui, ces géants dorment. Quant à l’idéal révolutionnaire, il agonise, assassiné par l’immoralité politique et la répression sécuritaire. La « deuxième république », comme certains la nomment, est-elle en train de s’éteindre ? Verrons-nous un jour des hommes politiques courageux, vertueux et incorruptibles s’opposer aux ennemis de la république? L’intérêt de la patrie réside-t-il vraiment dans l’union des forces politiques ?