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Le premier ministre tunisien Habib Essid et le président du Parlement européen Martin Schulz
Le premier ministre tunisien Habib Essid et le président du Parlement européen Martin Schulz

Lors de la célébration de la journée de l’Europe, le ministre des affaires étrangères Khémais Jhinaoui a rappelé l’historique de la coopération entre la Tunisie et l’Union Européenne initiée selon lui par la signature à Tunis, le 25 avril 1976, du  premier accord de coopération avec la Communauté économique européenne.  Mais il a omis de rappeler que les relations entre la Tunisie et la CEE avaient été préalablement régies durant six années par l’accord d’association conclu en 1969.

Il en est de même des manifestations organisées par délégation de l’Union Européenne qui se réfèrent à l’accord de 1976 comme étant le point de départ de la coopération tuniso-européenne.

À noter que ces festivités coïncident avec le cinquième anniversaire du « nouveau partenariat pour la démocratie » proposé par le G8 au lendemain des révolutions arabes et annoncé en grande pompe dans la déclaration finale du sommet de Deauville tenu les 25 et 26 mai 2011.

Les dessous du partenariat de Deauville

Bien que passé sous silence, cet évènement revêt une importance capitale. Il s’agit du nouveau cadre stratégique censé avoir été mis en place pour corriger les politiques du passé, axées sur l’appui accordé les occidentaux à des régimes arabes non démocratiques en échange de la préservation de leurs zones d’influence et des intérêts économiques, au détriment des valeurs de démocratie et de liberté considérés comme partagées avec les pays du printemps arabe.

Ce faisant le G8 s’était engagé à appuyer les aspirations, jugées légitimes, des peuples d’Afrique du nord et du Moyen-Orient « pour la mise en place de sociétés démocratiques et ouvertes et une modernisation économique qui profite à tous ». Il considère également que « la démocratie demeure le meilleur chemin vers la paix, la stabilité, la prospérité, une croissance partagée et le développement ».

Selon ses promoteurs, ce nouveau partenariat repose sur deux piliers politique et économique. Le premier est destiné à favoriser la transition démocratique par la mise en place d’États de droit, d’institutions assurant l’alternance et de pouvoirs issus d’élections libres. Quant au volet économique, il est censé fournir aux pays du partenariat les aides économiques et financières susceptibles de répondre aux aspirations des populations en matière de prospérité et de croissance censées assurer la stabilité politique et économique et garantir la réussite de la transition vers des démocraties stables.

A ce propos, un programme d’aide ambitieux de l’ordre de 80 milliards de dollars – dont 20 milliards au profit de la Tunisie et l’Egypte – était destiné à traduire dans les faits ce « changement stratégique dans l’approche et l’action de la communauté internationale dans la région ». Elle s’engageait aussi à adapter son aide aux besoins spécifiques de chaque pays et « aux priorités définies et approuvées par les gouvernements nationaux à l’issue d’une large concertation avec les parties prenantes concernées ».

En outre, le G8 s’était engagé à respecter ses  « engagements internationaux concernant la restitution des avoirs volés et d’aider la Tunisie et l’Egypte à recouvrer ses avoirs par des actions bilatérales appropriées et par la promotion de l’initiative pour la restitution des avoirs volés de la Banque mondiale et des Nations Unies ».

La situation actuelle, dangereusement précaire, d’une Tunisie pourtant considérée comme seule rescapée du printemps Arabe, l’état de délabrement avancé de son économie et de ses équilibres financiers ainsi que sa transition démocratique chaotique, prouvent que le G8 n’a pas été à la hauteur de ses engagements.

Il convient de rappeler que la Tunisie avait été conviée, en la personne de son Président de la République, à assister au sommet du G7 tenu en Allemagne en juin 2015. Les demandes d’aides financières selon des conditions préférentielles formulées par la Tunisie – à nouveau évoquées en septembre en marge de l’assemblée générale des Nations Unies – n’ont également pas été satisfaites.

En revanche, la Tunisie est à nouveau contrainte depuis 2013, et à nouveau en 2016 , de se soumettre, dans des conditions d’extrême précarité économique et financière, aux crédits conditionnés et aux plans d’ajustement structurels imposés par le Front monétaire international (FMI) et la Banque mondiale,lesquels sont dominés à travers leur conseil d’administration par les pays du G7 et l’Union européenne.

Parallèlement, elle est soumise aux pressions incessantes de l’UE pour activer l’extension du libre échange à tous les secteurs économiques, à travers la conclusion de l’ALECA qui figure en tête des priorités mentionnées dans la déclaration de Deauville.

Ainsi, le G7 et l’UE ont pu réaliser, sans aucune contrepartie et sans respecter la moindre de leurs promesses, tous leurs objectifs assignés au partenariat de Deauville.

Mais le plus grave est que les financements conditionnés, accordés à la Tunisie au niveau bilatéral et multilatéral, sont essentiellement alloués au règlement du service de la dette. La Tunisie ne tire donc aucun profit économique de ces crédits puisqu’elle est devenue un exportateur net de capitaux en faveur de ses principaux créanciers membres du G7, notamment les États-Unis, la France, le Japon et l’Allemagne.

Les raisons de l’échec du partenariat de Deauville et de la coopération Nord-Sud

L’objet principal de cette réflexion est de s’interroger sur les raisons de cet échec qui s’explique, à mon sens, en grande partie par l’apparente incapacité du G7 et de l’UE – ainsi que de tous les autres organismes, mécanismes et institutions financières supranationales associées à ce partenariat – à se départir des anciennes politiques et à développer une réelle vision d’avenir novatrice et équilibrée de leur relations avec les pays de la rive sud de la méditerranée  tout en tenant compte des écarts de développement et des intérêts des deux parties.

Leur objectif stratégique central a toujours consisté à maintenir leur domination politique et économique exclusive sur la rive sud et empêcher les puissances rivales de menacer leurs intérêts dans la région.

C’est ce qui explique l’empressement de l’UE à relancer la conclusion de l’ALECA indépendamment des craintes suscitées en Tunisie du fait de ses retombées négatives prévisibles sur les intérêts de la Tunisie. De même que son refus de procéder préalablement à un bilan objectif de la coopération et des accords de première et seconde génération, notamment ceux de 1969, 1976 et 1995, qui ont servi de cadre stratégique aux relations tuniso-européennes depuis l’indépendance.

Or, le bilan objectif de ces accords et leur contenu, de nature essentiellement commerciale, démontre sans l’ombre d’un doute que leur vocation stratégique première est de préserver la rive sud en tant que marché exclusif et zone d’influence politique et économique privilégiée de l’Occident ; notamment au profit des ex-puissances coloniales disposant d’intérêts particuliers dans la région.

En effet, plusieurs ouvrages d’experts et universitaires tunisiens et maghrébins, rapports onusiens voir même de la Banque mondiale, prouvent que la coopération entre les deux rives n’a pas favorisé une véritable industrialisation des pays de la rive sud Au contraire, ceux-ci n’ont pu résister face à la concurrence déloyale des pays post-industriels, et ce, sans compter l’invasion des produits issus contrebande.

Dès lors, la Tunisie n’a pu tirer aucun profit de ce libre échange déséquilibré avec l’Europe. Libre échange qui lui a été imposé sans discontinuité dès l’indépendance hypothéquant son développement et nourrissant sa dépendance à l’égard de la rive nord.

C’est pour cela que la Tunisie devrait négocier un nouveau cadre de coopération global, adapté à ses besoins spécifiques. L’objectif serait d’établir un contrat de développement et de partenariat, à la fois technologique et scientifique, permettant à notre pays de se métamorphoser économiquement en vrai pays industriel et agricole émergent, pouvant tirer profit du libre échange avec l’Europe.

Nécessité de rompre avec les stratégies occidentales de domination à l’égard de la rive sud

Il importe de souligner que depuis les indépendances, chaque évènement régional majeur – à l’instar de la révolution tunisienne – susceptible de générer de nouveaux équilibres régionaux ou des retournements d’alliance, suscite une nouvelle initiative comparable à l’accord d’association de 1969, au processus de Barcelone ou au partenariat de Deauville.

La finalité profonde de tels redéploiements diplomatiques consiste à prémunir les intérêts occidentaux de toute remise en cause des choix politiques, économiques et diplomatiques du libre échange et de l’économie de marché. Cela contribue à renforcer la domination régionale des pays occidentaux =tout en consolidant la dépendance des pays du sud à leurs égards.

Et c’est dans ce cadre que se situe le partenariat de Deauville.– Tout en paraissant promouvoir des valeurs de démocratie, de liberté et de prospérité partagée, il conditionne ses programmes d’aide, qui n’ont jamais été suivi d’effet, par la reconduction des mêmes politiques et des mêmes cadres de coopération et d’échanges inéquitables convenus avec l’ancien régime.

Ainsi, les soutiens financiers promis dans la déclaration de Deauville étaient réservés uniquement aux pays du partenariat qui confirmaient « le choix de l’économie de marché […] et de l’intégration dans l’économie régionale et mondiale grâce au développement du commerce et des investissements étrangers dans la région » par le biais du libre échange.

A cet effet, le onzième point de cette déclaration promet un accroissement des échanges et des investissements au profit des pays qui procèdent à des réformes dans le sens de l’ouverture économique. Sur cette base « l’UE prend des initiatives dans le cadre du partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée pour développer les échanges commerciaux avec les pays du sud de la méditerranée, notamment par des accords de libre échange approfondis et complets et des investissements, des accords sur l’autorisation de produits industriels ».

Dans un prochain article, nous examinerons la nature, le contenu et le bilan des accords essentiellement commerciaux conclus entre la Tunisie et l’ensemble européen en les restituant dans leur contexte géopolitique et en les rapprochant avec les politiques et les plans de développement successifs de la Tunisie depuis l’indépendance.

Cette approche comparative permettra de démontrer qu’à aucun moment, nos partenaires européens ne se sont souciés de favoriser une reconstruction de la Tunisie et de la rive sud, basée sur une vraie industrialisation et une autosuffisance technologique et agricole.

Cette démonstration permettra de dégager ultérieurement des propositions concrètes en guise de contribution de la société civile à l’élaboration d’un mandat de négociation pouvant servir de base aux négociateurs tunisiens lors des prochaines échéances de négociation avec l’UE…