Ouvriers des chantiers fr

 

Alignement des salaires sur le SMIG

Réunis le 6 mai dernier à Tunis, les représentants syndicaux de 9 coordinations régionales des ouvriers de chantiers relevant de l’UGTT (Kasserine, Jendouba, Medenine, Gabes, Ben Arous, Mahdia, Tunis, Zaghouan, Siliana) ont appelé à une mobilisation nationale le 16 mai prochain pour dénoncer « le flou juridique qui enveloppe les hadhayer et le manque de volonté politique en la matière». Cette annonce intervient après la décision du gouvernement d’aligner le salaire de ces travailleurs précaires sur le salaire minimum national. Contacté par Nawaat, Monji Mellitin, représentant de la coordination de Siliana, s’avoue sceptique quant aux promesses d’un exécutif «qui n’appliquent souvent pas les accords et les décisions». Pour les représentants syndicaux, il s’agit donc de maintenir la pression jusqu’à ce que cet alignement soit effectif. « A Siliana, les salaires des ouvriers varient entre 142 dinars et 208 dinars. A Jendouba, j’en connais même qui travaillent pour 87 dinars par mois » affirme le syndicaliste. Des salaires bien en dessous du SMIG national qui oscille entre 274 et 319 dinars en fonction du régime.

Des chantiers aux administrations

La problématique des « ouvriers de chantier » n’est pas une nouveauté en soi. Véritable serpent de mer des politiques de l’emploi, le « système des chantiers » n’a presque pas évolué depuis l’époque «  les ouvriers étaient payés en ration de semoule » constate Monji Mellitin. Si la semoule a disparu, le système perdure et englobe désormais une réalité plurielle qui s’étend au-delà du secteur du bâtiment comme son nom pourrait le laisser penser. Tâches administratives, gardiennage ou nettoyage, le système des chantiers regroupe en réalité des formes de sous-emploi qui s’étendent à presque tous les domaines de la fonction publique. Dans un rapport de janvier 2016, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) met en exergue l’historicité de ce système qui a longtemps servis de pis-aller à l’emploi. Mis en place dès l’indépendance, les grands chantiers de développement ont permis une embauche massive d’ouvrier non qualifiés sur la base d’emplois précaires. Si les signes de sous-développement se sont peu à peu atténués, ces formes de sous-emplois ont perduré. Utilisé par Ben Ali pour endiguer à moindre frais un chômage endémique, notamment chez les jeunes diplômés, le « système des chantiers » a survécu à la révolution. Selon les chiffres du FTDES, le nombre de travailleurs concernés par ces formes d’emploi précaires est passé de 63 000 en 2010 à 125 000 en  2011.

Quand l’État embauche au noir

Si depuis 2010, une majorité de ces travailleurs ont vu leur situation régularisée par une embauche en bonne et due forme dans la fonction publique, il resterait quelques 60 000 travailleurs en attente d’un statut précise Mounir Hassine, en charge du dossier au FTDES. Pour lui, la situation discriminatoire de ces travailleurs « frôle l’esclavagisme ». « En 2012, ils ont été  privés de l’augmentation du salaire minimum et avec leur paye en dessous du SMIG, ils sont exclus de la sécurité sociale » rappelle-t-il. Pourtant, ces « ouvriers » sont reliés à la fonction publique étant donné que leurs salaires sont directement payés par l’Etat. En 2014, le budget public alloué à ces travailleurs précaires s’élevait à 260 millions de dinars. Un budget considérable qui contraste avec le flou juridique qui entoure ces travailleurs. En effet, aucun statut général ni loi organique ne régit l’activité de ces « ouvriers ». Seules quelques circulaires et ordres du ministère de l’Agriculture ou du ministère des Collectivités locales (principal employeur de ces salariés précaires) proposent un cadre juridique assez flou. S’en dégage une situation ubuesque où l’État se retrouve dans une position étrange de pourvoyeur de travail au noir.

Nouveau modèle de développement ?

De son côté, le gouvernement planche sur la mise en place d’un nouveau modèle de développement tablant sur la création de 400 000 emplois et une croissance de 4%. Ce nouveau plan quinquennal devrait être soumis à l’ARP dans les prochaines semaines prochaines. Néanmoins, il semble peu probable que celui-ci ne vienne mettre un terme au « système des chantiers ». Pour le moment, l’hémicycle semble peu sensibilisé à cette problématique.  En témoigne la sortie du député Ahmed Saidi (Al Moubadara) qui, le 1er mars 2016, s’insurgeait contre la mise en place d’une retenue de 100 dinars sur le salaire des parlementaires en cas d’absentéisme. « Prenez tout le salaire, le député n’est pas un travailleur des chantiers pour que vous ou un autre lui prélèvent sur sa paye ! » avait-il déclaré au président Mohamed Ennaceur avant d’être applaudi par l’Assemblée.  En attendant que le gouvernement prenne ses responsabilités en matière de droit du travail, les  ouvriers  précairescontinuent leurs mobilisations. Le 30 avril dernier 180 agents d’entretiens de la municipalité de Cité Ennour (Kasserine) avaient mené une grève pour la régularisation de leur statut.