Poétique de la ville
Depuis que le lieu est là, les gens commencent à comprendre ce que l’on fait ici, ils commencent à s’impliquer, ils viennent. Pour nous, il s’agit de faire avec ce qui est et de laisser advenir les choses.Yagoutha Belgacem, Présidente de l’association Siwa plateforme
L’expérience de la poétique dans la vie Yagoutha Belgacem arrive à Redeyef en 2011. Présidente de l’association Siwa plateforme, basée en France, elle mène également des projets artistiques en Irak. Pour elle, Redeyef c’est la Tunisie qui la touche, celle qui a donné de son sang en 2008 et pendant l’hiver 2010-2011, celle qui se révolte. Lorsqu’elle vient pour la première fois, en 2011, il ne s’agit pas encore d’un projet, elle n’a pas d’objectif. Il s’agit de partager quelque chose. « Une poétique plutôt que de l’artistique affirme-t-elle, quelque chose d’expérimental et d’évolutif, pas du figé ». Rapidement elle s’entoure d’un noyau dur d’artistes associés, Fakhri El-Ghezal, Atef Maatallah et Imen Smaoui qui la suivront et s’inscriront dans le paysage de Redeyef (littéralement pour Atef avec ses fresques que l’on retrouve dans la ville). D’autres artistes suivront le mouvement et viendront travailler avec le groupe de Redeyef, Zied Meddeb Hamrouni (Shinigami San), Zein Abdelkefi (Hayej). « Tous c’est fait de manière organique, naturelle », explique-t-elle comme pour justifier le fait que les choses aient pris leur temps pour s’installer. Ici, cela se sent, la temporalité est différente, la perspective n’est pas de venir brusquer les choses, les gens, la vie. « C’est un processus qu’on vit sur une dizaine d’années », confirme-t-elle. Il s’agit de recréer une communauté à partir d’une poétique. Le groupe s’est constitué au départ des plus marginalisés. D’après Yagoutha, c’est parce qu’ils étaient ceux qui erraient dans l’espace public qu’ils ont été les premiers à s’approcher. Ensuite sont venus ceux que la culture et la pratique artistique attiraient. Maintenant, on ne les distingue plus, ils forment un groupe qui continue de s’élargir. Pour elle l’Économat est une communauté ouverte. C’est un geste politique, car cela créé un sentiment de responsabilité » dit-elle. Et d’ajouter que « depuis que le lieu est là, les gens commencent à comprendre ce que l’on fait ici, ils commencent à s’impliquer, ils viennent. Pour nous, il s’agit de faire avec ce qui est et de laisser advenir les choses ».
Imen Smaoui, danseuse, chorégraphe et artiste associée au projet témoigne qu’elle a assisté à une transformation chez les participants. « Le plus impressionnant c’est l’apprentissage de l’écoute. Et cela se ressent à travers les pauses, le silence, confie-t-elle, dorénavant il y a un véritable échange ». Pour Imen, l’expérience a offert aux participants l’occasion de changer le rapport à leur corps : « c’est peu, mais c’est énorme. Maintenant, il n’y a plus de gêne à se regarder dans les yeux, cela peut apparaitre un détail, mais ça n’en est pas un, c’est majeur ». Autre différence notable, la rigueur : « au début c’était un désordre incroyable, raconte-t-elle, maintenant il y a de la rigueur et de l’endurance, de l’autodiscipline dans les ateliers de travail ». Un regret toutefois, le manque de présence féminine, très remarquable. Pour Imen, cela s’explique par l’absence de lieu dans un premier temps. Elle nous raconte également qu’il y a eu une présence féminine régulière, faible, mais régulière.