Dans l’indifférence générale, l’hépatite C continue de tuer et de terroriser les habitants de Thala. Si l’on en croit les chiffres du ministère de la Santé et le témoignage des habitants, le nombre de victimes du virus dans la localité serait en forte augmentation depuis 2013. Après les deux enquêtes menées en 2013 à Thala par le ministère de la Santé, l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergente effectue une novelle recherche, d’ampleur nationale, concernant cette fois ci tous les types d’hépatites. En attendant ces nouveaux résultats, les habitants de Thala demandent l’accès aux chiffres de 2013 et dénoncent une volonté politique de camoufler l’existence d’une épidémie en ville.

En 2013, une « fausse alerte » avait été lancée par l’homme politique et médecin Lotfi Mraihi, sur une prévalence de 8, 23 % de l’Hépatite C à Thala. Chiffre aussitôt démenti par Abdelatif Mekki, ministre de la Santé, qui avait alors chargé le chef de son service épidémiologie médicale, M. Afif Ben Salah, d’effectuer conjointement avec l’Institut Pasteur une nouvelle enquête de prévalence dans la localité. Trois ans plus tard, les résultats n’ont toujours pas été rendu publics et l’affaire a été étouffée.

3% de la population à Thala est touchée par l’hépatite C

Nawaat s’est procuré en exclusivité une partie de ces résultats. Selon cette enquête effectuée sur deux périodes de l’année 2013, 3% de la population à Thala est touchée par l’hépatite C. La première partie de l’enquête couvre janvier et février et concerne 2142 personnes. Elle a été rendu possible par l’installation d’un laboratoire temporaire pour dépister des citoyens venus volontairement. Selon notre source plus de 513 personnes étaient positives (100 autres ont été éliminées des comptes car elles avaient d’autres genres d’hépatite). « Mais cette étude est totalement aléatoire et ne peut rien révéler sur la vérité de l’Hépatite C à Thala » précise une source qui a participé à l’enquête. « Les personnes qui se sont présentées volontairement au laboratoire savaient déjà qu’elles ou leurs proches étaient atteintes de l’hépatite C. D’autre part, l’enquête n’a pas touché l’intégralité de la ville mais surtout les alentours et en particulier les hommes actifs » poursuit-elle. Selon cette même enquête, 222 personnes dépistées positives ont été exclues du traitement car âgées de plus de 65 ans. Cette exclusion serait due au fait que le traitement de l’Hépatite C comporte un grand risque de mortalité pour cette classe d’âge, sans prendre en considération que l’absence de prise en charge médicale augmente les risques de contagion dans les familles.

Cette première enquête a démontré que l’hépatite C à Thala est due à une infection nosocomiale. Une infection qui se développe principalement dans les hôpitaux. « Jusque dans les années 1990, les seringues étaient en verre et il était courant de les utiliser plusieurs fois. Un médecin du personnel médical de Thala portant la maladie et était connu pour être un amateur de seringue. C’est pour cette raison que les personnes touchées par la maladie sont généralement âgées » explique cette même source.

La deuxième partie de l’enquête de prévalence a concerné 3300 personnes issues d’un échantillon aléatoire (10 % de la population). Sur cet échantillon, plus de 100 personnes se sont avérées porteuses de l’hépatite C. « Encore une fois, l’échantillonnage s’avère tronqué puisque nous avions limité l’enquête aux personnes entre 5 et 65 ans alors que nous savions d’avance que la maladie concernait les plus âgés » regrette notre source. Selon cette deuxième enquête, 17 personnes atteintes de l’hépatite C ont moins de 20 ans et 7 se situent entre 5 et 10 ans.

« Dans mon voisinage la dernière victime avait 7 ans »

Mohamed Fahem Arbaoui, professeur de l’enseignement secondaire et syndicaliste à Thala, suit le problème de près. « Nous sommes très inquiets surtout que le ministère ne fournit aucun chiffre fiable » s’alarme-t-il. « Nous voyons régulièrement des gens mourir de l’hépatite C et on continue de nous faire croire que la maladie n’en n’est pas encore au stade de l’épidémie. En plus, La majorité des personnes atteintes sont pauvres et n’ont pas les moyens d’acheter le traitement. Rien que pour faire le test, il faut dépenser une dizaine de dinars ».

Faouzi Boulaabi, 29 ans, diplômé et serveur dans un café populaire, vient de perdre son frère atteint de l’hépatite C.

Il a découvert sa maladie en stade final et, faute de moyens, nous n’avons pas réussi à lui donner les soins nécessaires. L’hôpital de Kasserine nous a promis une greffe de foi mais à cause de la lenteur de la bureaucratie, le dossier a pris beaucoup de temps et mon frère s’est éteint à l’hôpital à l’âge de 22 ans. C’était un brillant étudiant, hélas l’hépatite l’a tué.

Bassem Hajji, 28 ans, au chômage mais actif dans la société civile locale a perdu sa mère, âgée de 60 ans, des suites de l’hépatite C. « J’habite le quartier Najaria, le plus touché par cette maladie puisque nous sommes près de l’hôpital qui était à l’origine de sa propagation. Ma mère l’a découvert trop tard lors de la campagne lancée en 2013 par le ministère de la Santé. Le traitement n’a rien donné surtout qu’elle était obligée d’aller régulièrement à Kasserine et parfois à Tunis pour se faire soigner » se souvient-il, avant d’ajouter « Ce qui nous inquiète actuellement, c’est que la maladie commence à toucher les jeunes et les enfants. Dans mon voisinage la dernière victime avait 7 ans ».

Le Docteur Moncef Mehamdi, un des médecins responsables de l’enquête nationale, nous explique que le problème n’est pas le nombre mais la disponibilité du traitement ainsi que son cout élevé. « Depuis que la sonnette d’alarme a été tirée en 2013, le ministère a instauré une stratégie nationale et donne une priorité à cette épidémie. Le traitement coûte près de 25 mille dinars et dure une année pour avoir une guérison totale. Ce traitement n’est efficace qu’à 70 %. Maintenant, le ministère négocie pour importer un nouveau traitement, plus cher (90 mille dinars), mais beaucoup plus efficace. Les personnes malades de l’hépatite C à Thala que nous avons dépistées ont été toutes prises en charge par la CNAM. Parfois, notre personnel convoque un à un les malades qui ne se présentent pas aux rendez-vous qui leurs sont fixés » affirme-t-il.

En attendant la publication de l’enquête nationale, Hassan Aloui, un des enquêteurs nous confirme que le taux de malades de l’hépatite C à Kasserine est élevé. Sans donner de chiffres exacts, il nous confirme que le pourcentage dépasse les 5% dans la région. « En général, l’hépatite C est présente dans le nord du pays alors que l’hépatite B l’est dans le sud. Mais il faut attendre les chiffres exacts de l’étude nationale ». Des chiffres qui tardent à voir le jour ce qui ne risque pas de rassurer les habitants de Thala. « En voyant la paranoïa du ministère et sa volonté de garder secret ses anciens chiffres, difficile de croire dans sa nouvelle démarche » conclut Mohamed Fahem Arbaoui.