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Walid Ben Salah, 28 ans, devient, irréversiblement et complètement, aveugle durant son séjour en prison. Victime de torture, le jeune homme perd l’usage de ses yeux progressivement dans l’indifférence totale de l’administration pénitentiaire de Béja et de Sers (le Kef). Après deux ans d’un silence désespéré, Walid perd patience et crie à l’injustice.

Halima Dridi, mère de Walid nous introduit dans le petit salon. En attendant son fils, elle nous confie : « Il a essayé de se suicider des dizaines de fois. Aucun espoir et aucun avenir. Nous sommes déchirés par sa souffrance. La nuit, personne ne dort, tellement, on est tourmenté par cette injustice ». Ici, à Sidi Fradj, quartier populaire de Béja, les jeunes, comme partout dans le pays, passent la journée entre le bureau de l’emploi et le café. Assisté, par l’un de ses amis, Walid nous rejoint au salon. Le regard vide mais la voix calme.

 

Un an de prison pour consommation de cannabis

 

Le 2 février 2013, le tribunal de première instance de Béja condamne Walid à un an prison pour consommation de cannabis. Depuis son arrestation, Walid a subit trois agressions violentes aux niveaux de la tête et des yeux. « La première a eu lieu lors de notre arrestation, moi et mes amis, dans une maison à Cité El Siha [حي الصحة]. Les policiers ont été très agressifs et je me rappelle avoir reçu des coups de pieds au niveau du crâne » explique Walid. Deux jours après son arrestation, il a été transféré à l’hôpital où un médecin l’a ausculté sans rien constater.

« Le 22 mars 2013, j’ai contesté la confiscation d’un produit de lessive que je venais d’acheter en prison. Les matons organisaient des fouilles dans toutes les chambres juste après les visites familiales. Ces fouilles finissent souvent par la confiscation de bons d’achat, de nourritures ou de cigarettes. Suite à ma contestation, j’ai été confronté à Yassine, un vieux matons, un dur, qui a été longtemps affecté à la fameuse prison de Borj El Roumi. Il m’a frappé avec les pointes de ses clés métalliques au niveau de la tête et des yeux. J’avais des plaies autour des yeux et des douleurs atroces. Mais ses collègues m’ont convaincu sous la menace de ne pas porter plainte » se souvient Walid en répétant les phrases des collègues de son agresseur « C’est comme ton frère ! Réconciliez–vous, c’est mieux pour tout le monde ! ». Mais cette agression ne sera pas la dernière.

Le 2 juin 2013, la Direction générale des prisons et de la rééducation transfère Walid à la prison de Sers. « Quelques jours après mon transfert, j’avais une visite familiale. En passant par un couloir pour rejoindre ma chambre, un jeune policier m’a interpellé. Il m’a reproché ma façon de marcher. J’avais déjà du mal à voir clairement. Il m’a insulté. J’ai contesté cette injustice. Devant tout le monde il m’a balancé « Ah tiens ! Je vais essayer ça sur toi », il m’a électrocuté au niveau de ma tête [probablement avec un taser, un pistolet à impulsion électrique]. Je me suis évanoui sur le champs. Encore une fois, je n’avais pas le droit de porter plainte».

Ce qui se passe derrière les murs, reste derrière les murs

Après une deuxième visite à l’hôpital du Kef, Walid a été obligé de signer un engagement.

Le médecin refusait de mentionner l’agression dont j’ai été victime. En rentrant, le directeur de la prison ainsi que d’autres fonctionnaires m’ont mis la pression pour signer un engagement comme quoi je suis le seul responsable de l’état actuel de mes yeux. Je n’avais pas le choix. Ils m’ont expliqué que je n’aurais jamais gain de cause et que la justice ne donnera jamais raison à un prisonnier, regrette Walid.

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La famille de Walid n’était au courant de rien.

La règle est connue par tout le monde : Ce qui se passe derrière les murs, reste derrière les murs. Pas de plaintes et pas d’histoires avec les familles. Si non, différents châtiments s’abattent sur les prisonniers. Mes parents sont vieux et malades. Je n’avais pas le courage de leur dire quoi que ce soit. Déjà on ne voit jamais nos familles loin des regards des gardiens, se rappelle Walid.

Après la troisième agression, le jeune homme est transféré à la prison de Béja où les symptômes de son handicap sont devenus plus visibles. En juillet 2013, il passe quelques semaines à l’hôpital la Rabta à Tunis. Puis de nouveau à la prison de Béja jusqu’à sa libération, début 2014. Convaincu que porter plainte ne le mènera à rien, Walid plonge dans le désespoir pendant les mois qui ont suivi sa libération. Aujourd’hui, il ne demande rien sauf à revoir la lumière du jour.

Walid n’est pas le seul prisonnier qui a perdu la vue sous la torture. l’Organisation tunisienne de lutte contre la torture a rapporté qu’ en 2014, au moins quatre prisonniers ont perdu la vue dans les prisons et les centres de détention préventive.

Alors que Walid continue à vivre dans la prison de l’obscurité et de l’injustice, ses bourreaux se font promouvoir et féliciter par leur supérieur. En mai 2013, l’ancien gouverneur de Béja, Nacer Tmimi, décore les fonctionnaires de la prison de Béja pour « leur dévouement et la nette amélioration de leur rendement et leur respect au droit de l’homme ».