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En pistant les Hoaxs…

Jeudi 21 janvier, la contestation gagnait de nouveaux foyers, tels que Fériana, Siliana, Sidi Bouzid, Jendouba, Gafsa, Kébili… Les médias qualifiaient encore le mouvement en terme de “manifestation”, “troubles”, “colère”, “contestation”… Ce jour-là, sur le web, circulait déjà un premier hoax qui allait changer la perception des événements. Il a été mis en ligne la veille, peu après le décès du jeune policier durant la dispersion d’une manifestation à Kasserine, creuset de la contestation.

Un Hoax est un mensonge créé de toutes pièces, circulant sur Internet, conçu pour apparaitre crédible. Il fait partie de l’artillerie de l’infoguerre. Cette dernière désigne les méthodes et faits ayant pour but de créer des dommages à l’adversaire et ou se garantir une supériorité. Dans le contexte de l’infoguerre, un hoax est exclusivement malveillant.

Le premier Hoax est une photo d’une jeune femme au visage tuméfié, postée avec comme texte accompagnateur :

J’habite à Kasserine. Des garçons m’ont violentée. Je passais et me suis retrouvée dans les jets de pierres et de Gaz lacrymogène. Je suis tombée et me suis étouffée. Des garçons m’ont amené et m’ont agressé sexuellement, l’un d’entre eux m’a lacéré avec un couteau.

La photo en question a été postée sur le mur d’une certaine Marwa S. Elle est relayée par une page se réclamant des forces spéciales de la Garde nationale.

Capture d'écran prise le 20/01 à 12:35 URl de la page; URL de la photo.
Capture d’écran prise le 20/01 à 12:35.URl de la page; URL de la photo.

Ce genre de rumeurs infondées dans les rangs de la police au moment d’affronter des manifestants est assez courant. Rappelons-nous celle du convoi funéraire “rempli d’armes”, disait la rumeur, qui est passé devant le ministère de l’Intérieur un certain 14 janvier 2011. Bien qu’aucune preuve n’a été fournie pour attester la véracité de cette rumeur, elle avait été avancée par la police pour justifier la répression sauvage sur l’avenue Habib Bourguiba, ce jour-là. Il s’agissait en sommes de convaincre les leurs que la matraque sert à sauver des vies.

Cette photo est évidemment un Hoax. La jeune femme s’appelle Miryam, elle est Marocaine et son histoire est celle de la violence conjugale. La vidéo est consultable sur Youtube :

Le soir du jeudi 21 janvier, ont lieu les premières scènes de vol et de casse. Une première vidéo est diffusée, celle de cité Ettadhamen, dans laquelle on y voit un quartier totalement déserté par la police et en proie aux pilleurs. A partir de vendredi, changement de style dans beaucoup de rédactions. Les termes de casseurs, voleurs, bandits viennent à remplacer ceux qu’on qualifiait au départ de contestataires. En accompagnement de cette évolution, certains hoax buzzent. Ainsi des vidéos de scènes de pillage datant de 2011 sont repostées, laissant penser qu’elle datent du jour même.

Capture d'écran prise le 23/01 à 01:00 URl de la page ; URL de la photo.
Capture d’écran prise le 23/01 à 01:00 URl de la page ; URL de la photo.

Le texte accompagnant :

Ils te disent révolution, regardez et riez de vos âneries.

La page qui a diffusé ce hoax se fait nommer : Les lions de la sécurité tunisienne. La photo de profil de la page est celle du policier mort deux jours avant à Kasserine. En 5 heures, le post a totalisé déjà 21 000 vues et plus de 1300 partages sur facebook.

Certains hoax peuvent devenir drôles car peu imaginatif. « Sadam-Machettes », un adolescent menotté, est sensé avoir été arrêté en flagrant délit de possession d’une vingtaine de machettes scintillantes aux manches rouge sang. Ce dernier s’est retrouvé avec la même photo au milieu de plusieurs troubles de part le monde arabe. A Ryadh en Arabie Saoudite en 2011, à Port Said en Egypte en 2012 et enfin à cité Ettadhamen en Tunisie en 2016.

⬆︎ Capture d’écran prise le 22/01 à 14:30 URl de la page; Source en Arabie Saoudite; Source en Egypte.

Dans la version tunisienne, sa photo est accompagnée du commentaire : « les équipements de la revendication de l’emploi ». La page publiant la photo se nomme : La sécurité nationale tunisienne.

Et dans le même genre, une autre photo-hoax, ayant aussi beaucoup buzzé:

Capture d’écran prise le 23/01 à 15:44. URl de la page ; URL de la photo.
Capture d’écran prise le 23/01 à 15:44. URl de la page ; URL de la photo.

Il s’agit aussi d’un hoax. Le texte accompagnant la photo dit ceci : « une des formes de revendication du développement et de l’emploi ». Cette photo est extraite d’un mashup mis en ligne le 7 mai 2014 :

Ces mensonges fabriqués de toutes pièces, ont été conçus pour apparaître crédibles. Dans un climat d’incertitude et de peur crée par les casseurs, ils se révèlent être un outil puissant pour jeter le discrédit sur la contestation en cour et briser l’élan de solidarité autour du mouvement social. Le rapport entre ces pages et certains services de l’appareil sécuritaire est vérifiable. Car face à l’ampleur et la vitesse de diffusion de ces fausses informations, ni le ministère de l’Intérieur ni encore moins les multiples syndicats des forces de l’ordre n’y ont émis la moindre réserve.

Bien au contraire, dimanche soir dans Liman Yajro fakat de Samir El Wafi sur El Hiwar Ettounsi, Sami Knaoui, secrétaire général du Syndicat de la garde nationale, venu s’exprimer sur le mouvement social, avait pour argument les Hoaxs circulant depuis deux jours sur Facebook. Plus qu’une coïncidence quand on sait que l’émission de Samir El Wafi est enregistrée 48 heures à l’avance.

Violemment critiqué pour son incompétence professionnelle et son mépris de l’éthique journalistique, Samir El Wafi, persiste et signe en affirmant sur sa page facebook qu’« il est inutile de me demander quoi que ce soit au sujet des photos. Je ne suis pas responsable de ce qu’à exposé mon invité. C’est un agent de la sécurité qui assume ce qu’il dit. Je ne suis pas un ordinateur pour vérifier la véracité des photos que je découvre ».

لا فائدة من مناقشتي في موضوع الصور…لست مسؤولا على ما عرضه ضيفي وهو أمني ومسؤول على مايقوله ويعرضه ولست كومبيوتر حتى اك…

Posted by Samir Elwafi on Sunday, January 24, 2016

Il ajoute même qu’il a contacté le concerné au sujet des photos. Ce dernier lui aurait confirmé la véracité d’un des document et aurait émis un doute sur un autre, qui a été retiré dans la version diffusée dimanche soir. Notons que les internautes avaient adressé à l’animateur les preuves que les deux documents étaient des Hoaxs. Mais, l’animateur a préféré se fier aux dires de son invité. Voici la bande annonce de l’émission avec les deux intox : (passage de 1:30 à 1:39)

https://www.youtube.com/watch?v=34KvmKnJG3o

Mais pour le chargé de l’information et de la communication à la direction générale de la garde nationale, le colonel Khlifa Chibani, il ne faut pas aller trop vite en besogne. Interrogé sur la question par Shems FM (passage de 12:21 à 13:00), il explique que les pages facebook n’étant pas un canal de communication officiel du ministère. Selon le secrétaire général du Syndicat de la garde nationale, les forces de l’ordre seraient ainsi lavées de tout soupçon.

L’émission de Wafi n’est pas encore terminée que la twittosphère s’enflamme suite à l’annonce de la démission du porte parole du ministère de l’Intérieur, Walid Louguini :

لولا القرف لما استقلت عاشت تونس حره مستقله ابد الدهر

Posted by ‎وليد الوقيني‎ on Sunday, January 24, 2016

Si ce n’était le nauséabond; je n’aurais pas démissionné, vive la Tunisie libre et indépendante pour l’éternité.Walid Louguini

Les hoaxs, ce lacrymogène du web, ont peut-être contribué à avoir raison de l’ancien juge converti en porte-parole du ministère clé de la non-transition démocratique.

Nous ne recommanderons jamais assez de vérifier une information avant de la partager. Et dans le cas d’une photo, il est très simple de vérifier en la copiant dans la barre de recherche de google image. Ainsi, vous vous assurerez déjà de la première mise en ligne de la photo. Ceci n’est qu’une première étape de vérification, elle ne prémunit pas totalement de l’intox, elle permet au moins d’éviter les plus grossières.