De l’or et de la jeunesse : Un cas symptomatique d’exclusion !

Ils sont jeunes, dynamiques et munis d’une ambition admirable… et pour cause, ils ont fait de longues études dans une filière qu’ils ont choisie parce que porteuse : la joaillerie !

Une filière si prometteuse qu’ils sont déjà des patrons de petites entreprises. L’un d’entre eux emploie déjà cinq personnes. On l’a compris, ils ne demandent rien de plus, sinon le droit d’exercer leur métier en toute légalité, conformément aux droits que leur confère la loi. Et c’est à ce titre qu’ils ont décidé de faire irruption dans les espaces du ministère du Tourisme et de l’Artisanat, le mardi 26 janvier 2016.

Nous avons choisi d’évoquer le cas de ces jeunes, à la fois, joailliers, entrepreneurs, artisans et créateurs parce qu’il est si symptomatique du cancer (et le mot n’est pas assez fort) qui ronge notre pays. Car ces jeunes incarnent la somme de tant de ressources humaines malmenées, gâchées et découragées par une administration insupportable, lorsque ce n’est pas avec la complicité de ladite administration.

Souvent nous évoquons sur Nawaat la question de la gestion et du partage équitable des richesses de ce pays. Hélas, très souvent, la perception de ces richesses est limitée aux ressources naturelles. Or, le drame des jeunes, c’est qu’ils sont également exclus de tout un circuit de situations jalousement acquises.

Parmi ces richesses, citons l’accès aux devises, l’accès à l’or, l’accès au commerce frontalier, l’accès équitable à la fonction publique, etc.

– Pour l’accès aux devises, notre dogmatique Banque centrale et nos, non moins dogmatiques, ministres des Finances successifs sont toujours dans cette attitude si castratrice des énergies consistant à réserver les ressources en monnaies étrangères aux hommes d’affaires et aux opérations d’import-export. L’accès aux devises, même à une somme dérisoire, pour le simple citoyen afin de satisfaire un besoin urgent introuvable localement, tout comme l’accès à ces mêmes devises aux jeunes entrepreneurs dans le domaine des NTIC ou autre, s’il ne relève pas du parcours du combattant est quasi impossible. Pourtant la pression des besoins est si forte que le marché parallèle des devises n’a jamais été aussi florissant. Si l’on n’est pas une grande entreprise où un homme d’affaires, si l’on est jeune, l’on est exclu de facto de cette richesse nationale.

– Dans la même veine, dans les pays du monde civilisé, l’accès au commerce frontalier est valorisé pour les locaux. Ceux qui, justement, depuis des siècles tirent leurs subsistances de ces échanges frontaliers. Or, en Tunisie, non seulement nos gouvernants nient ce besoin, mais fabriquent des contrebandiers par le fait de la loi. Plutôt que de légiférer pour organiser ce commerce frontalier, on préfère parler de bâtir des murs sur nos frontières. Plutôt que de permettre aux jeunes frontaliers de vivre de ce commerce en toute légalité en prévoyant des seuils raisonnables d’échanges commerciaux via des licences ad hoc, échanges déclarés moyennant le payement de taxes tout aussi raisonnables, on choisit de verrouiller cet accès à une richesse que l’on réserve à d’autres. On préfère ainsi fabriquer des contrebandiers tout en nourrissant corruption et manque à gagner pour le Trésor public.

– Quant aux métaux précieux, la situation qui perdure depuis des décennies est ubuesque. L’accès à ces métaux, et à l’or en l’occurrence, est tellement tordu et malsain que l’on a fait des bijoutiers des hors-la-loi, sans compter le fait d’avoir asphyxié la filière tunisienne de la joaillerie, naguère florissante. Le cadre juridique contraignant et restrictif, hérité de ce même conservatisme dogmatique de la Banque centrale et du ministère des Finances a fini par ériger des situations de monopole frisant le scandale… d’où sont, encore une fois, exclus les jeunes, aussi « bijoutiers » soient-ils !

Tout comme pour les devises, la circulation légale de l’or doit demeurer une exclusivité pour quelques personnes ainsi que leurs proches. Pour accéder à l’or, il faut obtenir le Graal du « Poinçon de Maître ». Et même lorsque le gouvernement fait preuve des meilleures volontés via un décret qui ouvre l’accès à ce Graal pour de jeunes créateurs joailliers, la résistance s’organise pour garder lesdits jeunes à l’écart de ce partage de richesse. Et pour cause, malgré le volontarisme de Mehdi Jomaa qui signa le décret n° 2014-3647 du 3 octobre 2014 disposant expressément dans son article 2 que :

l’attestation de poinçon de maître est octroyée pour les diplômés du centre sectoriel de formation en bijouterie, joaillerie et horlogerie de Gammarth ayant obtenu le brevet de technicien professionnel homologué dans la spécialité bijouterie […] »

… rien n’a toujours changé, car la résistance s’est organisée, avec la complicité de la lourdeur de l’administration, pour garder ces jeunes exclus de leur droit au « poinçon de maître », et ce, 15 mois après l’entrée en vigueur du décret en question.

Si nous avons choisi d’évoquer le cas de ces jeunes diplômés du Centre sectoriel de formation en bijouterie de Gammarth, c’est aussi pour illustrer comment tout l’écosystème suinte l’exclusion de la jeunesse. Il ne s’agit pas uniquement de jeunes diplômés (ou sans qualification) qui souffrent du chômage, mais toute une jeunesse accablée par une administration déficiente et une bureaucratie qui arrive à décourager les plus disposés à travailler et à créer, tout ceci au profit de ceux qui veulent conserver leur monopole sur l’accès aux richesses nationales.

Alors que l’on discute, aujourd’hui même à l’ARP, de la situation de cette jeunesse et de certaines mesures pour résorber un tant soit peu la gravité de la situation, il serait vain de croire qu’il ne s’agit que d’une question d’argent ou de moyens. C’est toute une culture de l’entreprenariat qu’il s’agit de revoir.

Le drame de la jeunesse de ce pays, c’est ce cancer qu’incarne cette forme de conservatisme et de bureaucratie voulant tout contrôler pour prévenir les dépassements. En fin de parcours, on ne fait rien de plus que castrer tout le potentiel d’une jeunesse qui ne demande qu’à contribuer à enrichir légalement la collectivité nationale tout en s’enrichissant elle-même. Et le pire, c’est que, en même temps, nous secrétons une société de délinquants au vrai sens du terme. Qui n’a jamais possédé quelques dizaines d’euro ou de dollars oubliées au fond d’un tiroir ? Quel bijoutier n’a jamais effectué une transaction portant sur de « l’or cassé », quel frontalier n’a jamais fait passer la moindre marchandise pour se nourrir, etc.

Et la liste est si longue, qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que nous sommes tous devenus des délinquants au regard de la loi… avec une jeunesse encore plus délinquante que les autres.

Entre-temps, une administration de plus en plus pléthorique s’est donnée pour mission de noyer l’économie nationale dans une paperasse à non plus finir et à épuiser les énergies des plus volontaires au sein des dédales de cette bureaucratie, plutôt que de se consacrer à la création de richesse.

PS Nous ne pouvons finir ce papier sans mentionner la patience et le comportement exemplaire du Chef de Cabinet du ministre du Tourisme et de l’Artisanat, M. Nabil Bziouch, qui a accueilli la visite-surprise des jeunes bijoutiers et lequel est intervenu afin qu’ils ne soient pas évacués manu militari par les forces de l’Ordre.
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