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« A partir de ce matin, jeudi 3 décembre, avec mon épouse enceinte, j’entame une grève de la faim sauvage » annonce Hichem Ben Othman Harmi, la trentaine, technicien supérieur en typographie, assigné à résidence, comme 138 personnes, soupçonnées d’appartenir aux groupes terroristes suite aux dernières mesures sécuritaires de l’état d’urgence décrété, le 24 novembre, après l’attentat de Mohamed V.

« Samedi dernier, on me convoque au poste de police et sans m’expliquer les raisons, on me fait signer un engagement de respecter l’assignation à résidence. Au départ, je pensais que je pouvais, quand même, aller au travail et signer deux fois par jour une feuille de présence au poste de police, mais le lendemain, un policier devant chez moi m’a interdit de pointer le nez dehors, si non il me tire dessus », raconte Hichem avant de poursuivre, « en 2009, mon frère a fait de la prison pour son appartenance à une mouvance islamiste. Moi, je n’en ai jamais fait partie. Par contre, je suis assidu dans mes prières et je fréquente des gens qui savent obéir à Dieu ».

En 2013, voulant échapper au chômage, Hichem part clandestinement en Grèce à travers la Libye et la Turquie. Après « ce court périple de Harga », il est placé en garde à vue par la brigade anti-terroriste de Gorjani qui l’accuse de rejoindre des groupes terroristes en Syrie.

Et pourtant, sur mon passeport, il y a le tampon de la Grèce où j’ai passé quelques semaines avant que la police grecque ne m’arrête puis m’expulse vers la Tunisie, explique Hichem.

Quatre mois après, Hichem essaye de reprendre sa vie. Il se marie et trouve un emploi dans une société privée près de chez lui à Jebal Jeloud. « Mais la justice a émis une interdiction de voyage à mon égard. Depuis deux ans, je vis au rythme des descentes policières, de la surveillance rapprochée et des convocations régulières au poste de police. Le pire est qu’avec cette décision d’assignation à résidence, j’ai perdu mon travail et je ne peux pas contester la décision » raconte Hichem.

Au téléphone, le ministère de l’Intérieur rassure Hichem et lui confirme que la résidence surveillée lui permet de circuler dans son quartier.

Ils disent que l’obstination des agents de police de Jebal Jeloud à me garder prisonnier chez moi est un dépassement de la loi. Autrement dit, une vengeance gratuite, ajoute-t-il amèrement.

Son avocate, Salha Ben Farah, affirme que sans copie de la décision d’assignation à résidence, son client n’a aucune possibilité de recours auprès du tribunal administratif.

Dans la même situation que Hichem, d’autres personnes contestent leur assignation à résidence, mais se trouvent incapables d’introduire un recours auprès du tribunal administratif car ils n’ont aucune trace de la décision.

« Alors que le tribunal m’a acquitté en 2013 et que je n’ai eu aucun problème avec les autorités tout au long de ma vie, la police m’enferme chez moi comme un criminel. C’est seulement les policiers du quartier qui le décident et ce sont eux qui exécutent. Et je n’ai même pas le droit de protester si non je serais terroriste dangereux comme ils disent » témoigne S.A, islamiste convaincu mais « pacifiste et aimé dans son quartier » comme il se décrit. Depuis 2011, il était très actif dans la mosquée de son quartier à Tunis.

« Je suis populaire dans mon quartier. C’est pour cette raison que les policiers me ciblent. Un jour, ils sont allés à la garderie où j’ai inscrit ma fille de 5 ans. Ils ont questionné la propriétaire sur ses rapports avec moi. De peur d’avoir des ennuies, elle décide de ne plus prendre ma fille en charge » raconte S.A, employé à la Société Nationale des Chemins de Fer. Avant de l’obliger à signer l’engagement de l’assignation à résidence, S.A affirme que les policiers l’ont menacé. « Dangereux terroriste ! on va te coffrer » » se rappelle-t-il.

N.L, la quarantaine, emprisonné à son domicile, depuis une semaine, affirme que les perquisitions sont devenues son quotidien depuis son retour, en 2012, de Turquie suite à une opération chirurgicale. « J’ai mis à la disposition des autorités mon dossier médical, mais ils n’arrêtent pas de me harceler par tous les moyens. Je suis arrivé à un point de penser au suicide parce que je n’arrive pas à me défendre et à prouver mon innocence » affirme-t-il. Cloué au lit depuis des mois, N.L ne comprend pas trop le recours de la police à l’assignation à résidence. « Si ce n’est pas pour m’humilier devant mes voisins et ma famille, je ne vois pas l’intérêt de cette procédure » ironise-t-il. En 2013, la police a découvert un livre téléchargé dans l’ordinateur de N.L intitulé « Comment faire face aux assauts de la police » qui lui a valu 6 mois de prison ferme.

L’état d’urgence échappe au contrôle de la justice

Rappelons que le Conseil Supérieur de la Sûreté Nationale décide de mettre sous assignation à résidence les Tunisiens de retour des zones de conflits comme la Libye, la Syrie et l’Irak. Le 26 novembre, le ministère de l’Intérieur commence à mettre sous résidence surveillée 138 personnes « soupçonnées » d’avoir des relations avec des organisations terroristes. Si la nouvelle loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent du 7 août 2015 prévoit, dans son article 6, une surveillance administrative des auteurs de crimes terroristes décidée par le tribunal, l’état d’urgence donne le feu vert au pouvoir exécutif de mettre sous résidence surveillée, jusqu’à 30 jours, les soupçonnés d’appartenance aux groupes terroristes.

Les auteurs de crimes terroristes prévues par la présente loi doivent être placés sous surveillance administrative pour une période minimum de trois ans, sans, toutefois, excéder une durée de dix ans, à moins que le tribunal ne décide de dégrader cette peine au-dessous du minimum légal, et ce, sans préjudice de l’application d’une ou de toutes les autres peines complémentaires prévues par la loi. Chapitre premier – Dispositions générales – Article 6.

L’assignation à résidence est l’un des mécanismes de l’État d’urgence. En effet, l’article 5 du décret n° 50- 1978 daté du 26 janvier 1978 relatif à la réglementation de l’état d’urgence stipule que « le ministre de l’Intérieur peut prononcer l’assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée, de toute personne, résidant dans une des zones prévues à l’article 2 dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics desdites zones ».

L’état d’urgence est déclaré pour une durée maximum de trente jours fixée par décret qui détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur. Décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l’état d’urgence- Article 2

Le sort des assignés à résidence dépend donc du bon vouloir du ministère de l’Intérieur. En s’abstenant de les inculper, puis en les plaçant sous un régime de strict contrôle, notamment de résidence surveillée, le pouvoir accroît l’autorité de l’exécutif et court-circuite la justice.

La longue et pénible expérience des violations commises sous le régime de l’ancien président, Zine el Abidine Ben Ali, fait planer une ombre sur les progrès effectués les cinq dernières années, et le gouvernement actuel doit veiller scrupuleusement à ce qu’il n’y ait pas de retour à la torture et à la répression au nom de la lutte contre le terrorisme. Amnesty International : Tunisie. Des opérations répressives de grande ampleur mettent en évidence un recours abusif aux mesures d’exception