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Loin de la crise de nerf de Hechmi El Hamdi et autres aspects mis en valeur par les autoproclamés adeptes de « l’école du buzz », une critique distante de l’émission « Liman yajroo faqat » du 08 novembre 2015 impose un constat : Il s’agit d’un face-à-face entre de faux représentants de la révolution et les nostalgiques de la dictature. Le populisme des uns a ouvert la porte à la rhétorique révisionniste des autres. Et l’animateur a bien choisi son camp.

Samir El Wefi n’a pas trop attendu pour annoncer la couleur. « Deux invités qui se distinguent par leur humour et leur popularité », indique-t-il : le président du Courant Al-Mahaba, Hechmi El Hamdi et Sonia Toumia, député de l’Assemblée Constituante. Pour introduire leurs contradicteurs, les termes de l’animateur sont plus mesurés. Ridha Mellouli est un « célèbre écrivain et homme politique » et Mourad El Hattab est un « expert en finances ».

Dès la présentation des invités, la valorisation des uns et le rabaissement des autres est manifeste. L’animateur tombe dans la désinformation en éludant les identités politiques de deux de ses invités. Si l’affiliation de son invité principal, Hechmi El Hamdi, est clairement définie, celle de ses détracteurs ne l’a pas été. Mellouli est un ancien membre de la chambre des conseillers sous Ben Ali et un propagandiste zélé de son régime. Quant à Mourad El Hattab, c’est un militant de Nida Tounes, souvent présenté comme expert économique.

Tout au long de l’émission, Samir El Wefi s’est attelé à tracer une ligne de fracture entre Hamdi et Toumia, d’un côté, et Mellouli et Hattab de l’autre. Ainsi a-t-il a brossé le portrait d’une classe politique issue de la révolution incarnée par Hechmi El Hamdi et Sonia Toumia. Ses principaux traits ? Son manque d’expérience, l’irréalisme de sa vision et le populisme de son approche. Une image totalement à l’opposé de celle de leurs contradicteurs qui sont, d’entrée de jeu, dans la posture d’hommes d’expérience, réalistes et surtout au dessus de tout soupçon. Un face-à-face qui a permis à Mellouli de débiter sa logorrhée révisionniste.

La révolution mal-représentée

Pendant une heure -sur une durée totale de 2 heures et 20 minutes- Hechmi El Hamdi est seul sur le plateau. Face à un animateur qui feignait la sérénité, le leader du Courant Al-Mahaba est apparu agressif. Il plaide en faveur des victimes du terrorisme et les martyrs de la révolution de Kasserine et de Sidi Bouzid. Il ressasse sa recette : une allocation pour les chômeurs en quête d’emploi et le droit à la gratuité des soins sans conditions. Wefi le décrédibilise avec aisance. « T’as un chèque à lui remettre ? », demande l’animateur à son invité qui évoque la souffrance de la mère d’un martyr. « Vous habitez l’un des quartiers les plus huppés de Londres », lui lance-t-il quand ce dernier s’attaque aux « élites qui refusent d’accorder aux pauvres leurs droits ». Déjà, avant même l’entrée des détracteurs de Hechmi El Hamdi, Samir El Wefi en érige un en autorité cognitive. « Mourad El Hattab va évaluer ton programme et tes propositions et on verra », avance l’animateur avant de ridiculiser Hamdi à travers un quizz. Baptisé « Interview zawali », il révèle que ce politicien ne connait ni le prix du pain, ni celui d’un ticket de métro.

Les trois invités ont fait leur entrée une heure après le début de l’émission. Au bout de 15 minutes, Hamdi quitte le plateau en protestation contre un montage vidéo sur « ses points communs avec Toumia ». Ils y sont présentés comme des alter ego fans des chansons pour enfants, des chansons révolutionnaires, de danse, de poésie, de journalisme mais aussi les deux ont eu des connivences avec l’ancien régime. Imperturbable, béatement souriante, Sonia Toumia exprime son respect envers Hamdi et sa sympathie pour lui.

Mais la réaction de Hamdi semble avoir trouvé dans cette vidéo un bon prétexte. En fait, a attendu la première intervention de Mellouli. Ce dernier y a évoqué les collaborations de Hamdi avec le régime de Ben Ali et ses propagandistes ainsi que le financement de sa chaîne, Al-Mustakilla TV par l’Agence Tunisienne de la Communication Extérieure (ATCE) et par le régime soudanais. Hamdi s’affole. Il tremble, crie, gesticule et baragouine quelques mots en anglais avant de quitter. Rapidement, les camps sont faits. Toumia et Hamdi incarnent le populisme. Mellouli et El Hattab sont présentés, à tort, comme les détenteurs de la vérité, les voix de la raison.

Place au révisionnisme

La machine s’emballe. L’animateur fait tourner la parole sans aucun fil conducteur, sans aucune structure. Pour commencer, Mourad El Hattab démonte le projet économique de Hamdi. Sautant du coq à l’âne, Wefi retourne vers la querelle avec Hamdi en demandant l’arbitrage de Ridha Mellouli : «  Où est ce qu’il y a eu atteinte à son honneur ? ». Il interrompt ensuite Ben Toumia pour renforcer encore plus la position de Mellouli. « Si Ridha connait l’histoire », affirme l’animateur. Et c’est parti. La voix est libre pour le déploiement de la rhétorique révisionniste du benaliste. « Qu’est-ce que ça veut dire dictature ? Il n’y avait pas de potences érigés dans les rues », s’indigne-t-il lors de l’emploi du terme « dictature » au sujet de l’ancien régime. Et il l’est encore plus quand Sonia Toumia évoque Ben Ali sous le qualificatif de « déchu ». Mellouli s’insurge : « Ne dis plus le président déchu. Aie du respect envers toi-même. Il faut dire l’ancien président ». Il ressort sa rengaine longtemps étalée dans les colonnes de Réalités sous la dictature : « Les prisonniers politiques, ce sont des gens qui voulaient avoir le pouvoir peu importe le moyen. Qu’ils assument leurs responsabilités ». Il ira jusqu’à fustiger ce qu’il appelle « les gangs des droits de l’Homme ». Mellouli ne perd pas sa trajectoire. « Il y a des gens qui ont plus de loyauté aux étrangers, aux ambassades qu’ils en ont pour la République Tunisienne », ajoute-t-il avant de marteler : « Toute l’assemblée constituante est un souvenir à oublier ».

Sonia Toumia, seule représentante de la classe politique issue de la révolution invitée sur ce plateau, est ridiculisée sans ménagement par Wefi. Arborant un sourire moqueur dès qu’elle prenne la parole, l’animateur a insisté sur son ancienne affiliation au RCD. Il rappelle sa burlesque participation à Dlilek Mlak et son gain de 40.000 dinars. Il ironise sur « ses connaissances en finance islamique » avant de rappeler que le frère de Toumia est en prison pour avoir tenté de s’engager dans djihad en Syrie. Oubliant qu’il avait lui-même était candidat dans Akher Qarar, une émission de jeu produite par Cactus durant les années de braise, Mellouli assène un autre coup : « Elle a eu 40.000 dinars. Et elle ne connait pas la zakat ». La propagande du blanchiment de l’ancien régime a rarement atteint un tel niveau de perversité depuis la révolution.