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Une semaine après les révélations de l’affaire dite désormais « Yassine Brahim – Lazard Group », du nom de la banque franco-américaine de gestion d’actifs et conseil contractée par le ministre du Développement, la controverse est loin d’être retombée. Les nouveaux éléments, apparus depuis, laissent au contraire à penser que le feuilleton politico-médiatique ne fait que commencer. Explications.

Un autre document a fuité cette semaine faisant état de négociations ayant en réalité débuté dès le 23 juillet 2015, date à laquelle les responsables de Lazard répondaient déjà aux sollicitations du ministre, en s’auto-présentant comme « leader mondial incontesté dans le domaine du conseil ». Voilà qui ne serait pas du goût d’un autre acteur majeur du secteur, l’américain McKinsey & Company, pour ne citer que lui.

A sa décharge, Yassine Brahim n’avait pas encore signé le contrat daté du 21 octobre. Mais plusieurs problématiques d’ordre technique et éthique demeurent à ce stade. Au-delà de la question sujette à débat à propos de l’ingérence étrangère dans la préparation du plan quinquennal du développement, était-ce en effet à l’entreprise Lazard de préparer de façon unilatérale un tel contrat de prestation de services de 500 mille euros sur 1 an, et de le fournir clés en main ?

Pis, si le contrat était arrivé à un stade aussi avancé et détaillé de ses modalités, peut-on encore croire le ministre qui affirme, pour sa défense, que d’autres concurrents étaient encore en lice ? Rien n’est moins sûr, d’autant que les employés anonymes du ministère, auteurs de la fuite, prétendent que le marché public était sur le point d’être conclu, et que la secrétaire d’Etat dépendant du ministre avait été court-circuitée.

D’après une source du ministère, nous savons déjà que deux employés de Lazard œuvrent depuis deux mois au ministère du Développement officiellement pour procéder à du “benchmarking“. Par ailleurs la Banque centrale tunisienne s’est aussi réunie récemment avec d’autres employés du même Lazard Group afin de penser sa politique monétaire.

L’affaire vient en tout cas rappeler que le jeune ministre faisait face à une fronde grandissante des fonctionnaires de son ministère : depuis qu’il est question de les déloger vers d’autres locaux à partir du mois de mai dernier, un sit-in avait été organisé et beaucoup avaient dénoncé « une gestion arrogante et arbitraire » de d’administration du building Place Ali Zouaoui.

Une défense bancale et revancharde

Voilà plusieurs jours que Yassine Brahim distille directement, ou indirectement via ses collaborateurs dans les médias, des explications dont on peut dire qu’elles ne tiennent pas vraiment la route. D’après le ministre, son cabinet ne s’en serait ainsi tenu qu’à un seul des services proposés par Lazard : la promotion de la Tunisie auprès de son réseau d’investisseurs, via une grande conférence des investisseurs étrangers, et aurait décliné la structuration du plan quinquennal ainsi que la sélection des projets du plan quinquennal.

Or, si tel est le cas, comment expliquer alors que la facture de 500 mille euros soit restée inchangée, pour la seule promotion de la destination Tunisie ? Comment expliquer en outre que les responsables de Lazard, auteurs du courrier de juillet, aient affirmé « Nous comprenons qu’il convient d’attendre un moment plus favorable pour organiser une grande conférence investisseurs à Tunis », laissant penser que le ministre avait en réalité décliné ce service. Du reste, l’Article 1 du contrat porte d’abord et avant tout sur la structuration du plan de développement.

Par ailleurs l’entêtement de certains députés du bloc Afek Tounes, parti néolibéral de Brahim, les a poussés à vouloir contre-attaquer. Ainsi Karim Hilali a accusé mercredi son collègue Mehdi Ben Gharbia, député de l’Alliance Démocratique qui avait le premier ébruité l’affaire, de ne vouloir la tête du ministre que parce qu’il est « opposé au nouveau code de l’investissement préparé par le ministère », et que Ben Gharbia serait lui-même « impliqué dans une affaire de malversations au sein de la compagnie aérienne nationale Tunisair », selon une inspection interne.

Lors de son unique apparition médiatique depuis l’éclatement de l’affaire, le ministre s’est entêté à défendre le maintien du contrat avec Lazard, « toujours d’actualité et examiné par ses services » selon lui.

Pour tout argumentaire, les défenseurs de la libéralisation du conseil – gestion d’actifs appliqué aux Etats avancent que cela est devenu monnaie courante aussi bien parmi les pays développés que ceux en voie de développement. Mais, au risque de rouvrir un débat philosophique autour des dérives du capitalisme, qui pourrait garantir que les marketeurs de chez Lazard ne tenteront pas de recommander des sous-traitants de leur propre entreprise pour exécuter le plan quinquennal tunisien ?

D’après son président, la commission parlementaire des Finances s’apprête à ouvrir « une enquête minutieuse » sur le « Lazard gate ». Avec cette tournure délétère que prend le débat politique, les Tunisiens sont-ils, une année plus tard, en train de payer l’entrée au Parlement de dizaines d’hommes d’affaires ?