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Le numérique chambarde tout. A commencer par le champ d’intervention des divers acteurs concernés. La guerre des communiqués entre le ministre des Technologies de la Communication et de l’Economie Numérique, le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) et le parti Afek Tounes, est venue, brutalement, remettre à l’ordre du jour la nécessaire refondation de la régulation audiovisuelle.

Noomen Fehri, ministre des Technologies de la Communication et de l’Economie Numérique, a provoqué une levée de boucliers ndignée au syndicat des journalistes. En cause, sa déclaration sur l’économie de l’audiovisuel et l’attribution des licences qui devraient, selon lui, échoir à l’exécutif et non à la Haica. Il estime que le régulateur n’a pas de méthodologie claire en la matière, et que les médias coûtent 100 millions de dinars à l’Etat.

Dans un communiqué incendiaire, Néji Bghouri, président du SNJT a accusé Noomen Fehri de vouloir rétablir les pratiques autoritaires pour soumettre les médias, se disant choqué par ses « déclarations anticonstitutionnelles», alors même que le gouvernement défend un projet de loi présidentiel visant à protéger «les corrompus appelé réconciliation économique ». Enfonçant le clou, Bghouri affirme que le parti Afek Tounes, auquel est affilié le ministre, s’apprête à proposer une « initiative législative suspecte pour ressusciter le ministère de l’Information ».

Le jour même, Afek Tounes rapplique en dénonçant les «calomnies, les positions irresponsables et mal informées». Le parti libéral « dément catégoriquement toutes les allégations du SNJT » et lâche son ministre en niant catégoriquement « le lien supposé entre la déclaration de Noomane Fehri, faite en sa qualité de ministre, et une prétendue initiative législative du parti visant à soumettre les médias ». Rappelons que le parti de Yassine Brahim n’a jamais démenti l’information selon laquelle « Afek Tounes avait entamé l’élaboration d’un projet de loi avec la concertation des experts et des professionnels du secteur », en perspective de la création de l’instance de la communication audiovisuelle, conformément à l’article 127 de la Constitution.

Le lendemain, sur une chaîne radio, le ministre se rétracte en précisant que c’est la Haica qui octroie les licences, et non par le gouvernement.

Pendant que le ministère se charge, lui, du volet technique géré par les structures placées sous sa tutelle, a l’instar de l’Office national de télédiffusion (ONT) ou encore l’agence nationale des fréquences (ANF), et donc seulement de l’infrastructure.

Le 18 septembre, dans une interview accordée au quotidien Al Maghrib, voilà que le ministre lance un défi à quiconque donnerait des preuves des propos dont on l’accuse. Or, au fil de l’interview, transparaît son déni. Il affirme, notamment, que « le respect de la loi et son application est une chose et la restriction des libertés et de l’information en est une autre », faisant évidement, référence au code des télécommunications de Ben Ali qui supplante, selon lui, les cahiers des charges de la Haica concernant l’octroi des autorisations. Nooman Fehri sait pertinemment que la distribution des fréquences n’est pas seulement une question d’ordre technique, mais aussi une affaire éminemment politique. Il est ainsi passé à l’acte peu après ses prises de fonctions en bloquant un projet de cahiers des charges sur le SNG (satellite news gathering)1 élaboré par la HAICA en collaboration avec l’ANF, l’ONT et le ministère des TIC.

Entretemps, la TAP relève le défi et publie l’enregistrement de l’interview du ministre, prouvant que ce dernier a, effectivement, déclaré que le volet économique du secteur des medias, donc l’aspect financier des autorisations, doit être géré par l’exécutif, c’est-à-dire son ministère.

Mensonges, fréquences et démocratie

Pourquoi une telle discorde ? Probablement, parce qu’en ces temps de disette, Noomen Fehri croit que la manne du numérique éclipse la question des contenus. Etant donné que le numérique, principalement « internet » est un vecteur de développement, à la fois des télécommunications et des médias (audiovisuel et presse), il va donc de soi que cette technologie ne peut qu’aider la convergence entre les différentes composantes du secteur. La digitalisation pourrait éventuellement instaurer des modèles économiques durables « sustainable media dev. », si elle est accompagnée par une réforme du cadre réglementaire respectueux des principes de la liberté et de la diversité. Cet ensemble de changements que semble maladroitement proposer le ministre, présente bien des risques, spécifiquement en rapport avec la neutralité des réseaux et de leur exploitation notamment par le secteur privé.  

Car les services induits par la convergence du spectre impliquent de nouveaux marchés et ouvrent le secteur de la communication à des opérateurs téléphoniques, dont la puissance financière est bien supérieure à celle des acteurs actuels de l’audiovisuel.

L’enthousiasme de Nooman Fehri pour le partenariat public/privé, autrement la nouvelle loi PPP soumise à l’approbation de l’ARP, n’augure rien de bon. En effet, la perspective d’un marché portant sur 2,7 millions de foyers tunisiens, n’exclut pas les lobbies anciens et nouveaux qui se bousculent au seuil « du monde numérique ». Ainsi en a-t-il été du plan « Tunisie Digitale 2018 », géré par le Conseil Stratégique de l’Economie Numérique (CSEN), dont Nawaat, a révélé des irrégularités mêlant conflit d’intérêt et délit d’initiés.

Cette ouverture brutale du débat sur la politique des fréquences en dit long sur les nouvelles règles du jeu que suscite le basculement dans le numérique. La réforme attendue des textes juridiques et réglementaires, notamment le Décret-loi N° 2011-116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et portant création de la (HAICA), devra, nécessairement, déboucher sur de nouveaux mécanismes de régulation plus transparents et moins centralisés.

Note
1. Dispositif de liaison vidéo temporaire par satellite, que les chaines de télévision utilisent pour les retransmissions en direct.