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Bourguiba-femmes

Vos enfants ne sont pas vos enfants.

Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,

Ils viennent à travers vous mais non de vous.

Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Khalil Jibran, « Le prophète ».

C’est comme cela que Khalil Jibran dans son ouvrage intitule « Le prophète » a choisi de définir le parentage ou la responsabilité d’être parent. Jibran nous livre ici une sagesse qu’on ne cesse de confirmer à petite échelle, au niveau nucléaire familial : Les enfants sont imprégnés par l’éducation parentale certes et les enfants sont en partie ce que parents ont inculquent. Mais les enfants demeurent principalement disciples de la vie, sujets des constructions sociales, du cercle entendu et acteurs de leurs propres actions et réactions. Les enfants sont des électrons libres, un projet en cours de construction qui n’aspire à rien d’autre qu’à l’indépendance et l’autonomie. Le père de la nation Habib Bourguiba dérogerait-il à cette règle au point de posséder ses enfants ?

Le 3 août 2015, on commémorait la date de naissance de Bourguiba. De là, on flairait la nostalgie d’un temps révolu mêlé à une fausse conception de ce que Bourguibisme fut. Les hommages nationaux se répandent, les medias sont prolifiques et les réseaux sociaux sont inondes. Et au beau milieu d’un capharnaüm qui en général n’expose la femme que rarement et ne transmet son calvaire que de façon extraordinaire, surgissent soudainement les droits de la femme comme instrument de propagande. Il ne s’agit point de célébrer ces droits mais de remercier Bourguiba. Le 13 août, fête des droits de la femme tunisienne, on est là encore à remercier le père de la nation au lieu de faire un bilan du statut actuel de la femme tunisienne et de ce qui reste à entamer dans cette lutte pour l’égalité des sexes et pour garantir les droits des minorités. On se dit alors que la tutelle de ce père est bien plus importante que le présent.

Pourtant, le présent est bien loin d’être Suédois pour la femme tunisienne et le code du statut personnel ne soulage pas tous les maux de la femme de 2015. Il suffit de marcher dans la rue pour le constater. Entre harcèlement verbal, insultes et injures, on commence doucement à nous faire petite dans l’espace public. Très vite, on s’autocensure : on évite de passer devant ce café masculin, on évite de s’habiller de cette façon, on évite ce regard masculin et on ne répond pas aux insultes. Ce quotidien qui nous parait si banal a une influence majeure sur le moral et les capacités des femmes. Il est dépourvu de respect et d’appréciation intellectuelle, deux composantes essentielles pour la confiance. Cette confiance est toutefois nécessaire afin d’exécuter le projet Bourguibien d’un féminisme d’État : le projet d’une femme qui occupe de l’espace, qui travaille, qui innove et qui est représente un chiffre positif et non une charge pour l’État.

A la vue des chiffres actuels en relation avec les droits des femmes en Tunisie, on constate que ce projet échoue. Il échoue car il représente un féminisme tutélaire qui a octroyé à la femme ses droits partiels faisant partie de la stratégie politique de l’époque : Ainsi, planning familial, avortement, droit à l’éducation et intégration dans la vie politique avaient un dessein politique et économique bien déterminé et il est bien triste de constater que la femme s’est retrouvée emprisonnée dans un jeu politique à illusion libératoire. De ce jeu, on a bel et bien réussi à gagner quelques acquis et à garantir des droits basiques aux femmes tunisiennes mais la vraie lutte est en cours et cette lutte est antagoniste à une glorification du passé. Elle est la lutte pour un féminisme comme mouvement social, une lutte humaine avant tout et non un guet-apens politique. C’est la lutte des enfants pour leur indépendance car ce n’est que lorsqu’on est adulte qu’on se rend compte que même papa commet des erreurs.