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Rodney Smith photography.

Il a fallu l’attentat de Sousse pour que les forces de sécurité, l’armée, le gouvernement et le président de la République décrètent l’état d’urgence. De multiples interrogations ont suivi l’annonce de cette décision, vu que le pays n’en est pas à sa première catastrophe enfantée par le terrorisme, alors pourquoi maintenant ? Le doute aboutissant souvent à la non confiance, et vice-versa, nous pouvons aisément penser que l’état d’urgence est également arrangé et ordonné pour museler toute revendication et manifestation d’ordre socio-économique.

 

Continuant de plus belle dans la sentence unilatérale, parmi les nouveaux dispositifs sécuritaires mis en place, une décision a, du jour au lendemain, été annoncée : la construction d’un mur, à la manière de ceux des tranchées, sur la frontière tuniso-libyenne. Jugée point de chute pour l’ensemble des candidats au terrorisme où ils se rendent clandestinement pour formation et entrainement, cette lisière semble également servir de passage pour la contrebande d’armes, de munition ou de marchandise illicite en tous genre.

Si la réalisation de ce « mur » entre les frontières libyennes et tunisiennes s’est avérée une évidence et une nécessité pour les gouvernants de la Tunisie, si celle-ci n’a pas réellement dérangé les pouvoirs actuels (reconnus) en Lybie, ce mur fossé a provoqué une vague de protestations, allant jusqu’à l’indignation, chez les citoyens des deux côtés.

Arbitraire, à la limite du despotique, le jugement est tombé, nous mettant tous devant le fait accompli, ce mur de sable, un chantier monumental, de surcroit pénible et laborieux, et qui coûtera, faut-il le souligner, énormément d’argent à l’Etat donc au contribuable tunisien. Cela vaut-il vraiment le coup, surtout en sachant d’avance que les résultats espérés, dont le noyau dur est la lutte contre la circulation des terroristes, sont loin d’être évidents à récolter ?

Faudrait-il rappeler que les gouvernants libyens, du moins ceux reconnus et officiels, ont toujours appuyé l’idée selon laquelle les menaces contre les Tunisiens n’existent aucunement en réalité. Par ailleurs, les affaires étrangères libyennes et tunisiennes pensent que la construction de barrière de sécurité entre les deux pays ne fera profiler aucune menace contre la Tunisie, et le gouvernement libyen approuvé par la communauté internationale ne s’oppose en rien à la réalisation de ce mur. Seul le groupe des dits « révolutionnaires » libyens (Fajr Lybia non reconnu), s’y oppose et met ouvertement en garde les Tunisiens contre d’éventuelles « représailles », estimant que la posture du mur représente une extrême violence contre la Libye.

Protestataires à leur tour critiqués par ceux qui défendent ce mur de sable, appuyant l’hypothèse selon laquelle ce dernier ne stoppera point la circulation commerciale entre la Tunisie et la Lybie, non plus les échanges humains, qui se poursuivront, théoriquement, entre les deux pays.

N’oublions pas que de nombreux Libyens soutiennent fermement que parmi leurs terroristes beaucoup sont Tunisiens, qui certifient quant à eux que ces dits terroristes sont entrainés et armés à partir de la Libye.

Visiblement, un amoncèlement de confusions, de non-dits et de contre-sens entoure actuellement les relations entre la Tunisie et la Libye. Un embrouillement généralisé, avec une situation qui ne présage rien de bon avec la construction de ce mur, la problématique étant avant tout que les autorités tunisiennes ont pris cette décision unilatéralement sans consulter les autorités libyennes, et particulièrement sans consulter les citoyens tunisiens, à travers un référendum ou, au moins, via l’Assemblée des Représentants du Peuple, bien que celle-ci fait tout sauf représenter le peuple.

L’installation de ce mur est la preuve, encore une, que l’actuel gouvernement se veut conservateur et traditionnaliste, en même temps qu’instigateur d’un retour forcé à l’autoritarisme. Avec une ordonnance aussi arbitraire que celle de cloisonner des frontières historiquement unies, colère et incompréhension s’attisent et se ravivent, de l’intérieur comme de l’extérieur.

Justement, en parlant d’incompréhension, un mur de séparation peut légitimement en susciter. N’importe quel mur crée une rupture, un cloisonnement, une désunion. Il rappelle, quelles que soient ses raisons, une forme de néo-colonialisme et de contrôle par la force. Du moins pour ceux qui subissent le mur sans l’avoir choisi.

La symbolique du « mur » n’est jamais porteuse d’optimisme ou d’espoir. Regardons les murs tristement célèbres qui jalonnent l’histoire. Dans un ordre non exhaustif, toutes les expériences de construction de mur entre un pays et un autre se sont révélées des échecs, tant humainement que socialement. Le mur de Berlin, la muraille de Chine, le mur entre Israël et la Palestine, le mur entre les deux Corées, le mur entre les Etats-Unis et le Mexique, pour ne citer qu’eux, ou très récemment, en cours, le mur que l’Egypte construit sur ces frontières avec Gaza, tous dictés par des gouvernements autocratiques de droite, ou des régimes militaro-politiques. Tous provoquant l’indignation des humanistes et défenseurs des droits de l’homme. Tous tour à tour surnommés « mur de la honte », « mur apartheid », ou encore « mur de la division », etc.

Même la symbolique du « mur » et sa métaphore dans l’art n’est jamais positive, en aucun cas porteuse d’espoir ou d’horizon. Dans la musique avec « The Wall » de Pink Floyd, dans la littérature avec « Le Mur » de Jean-Paul Sartre, au cinéma avec « Le Mur Invisible » de Julian Roman Pölsler, ou dans la peinture avec les murs cloisons en espaces huis-clos à la Francis Bacon.

Le mur emmure, le mur est prison, le mur appelle sans cesse à la fuite et à l’échappatoire. Le mur est isolation, le mur est désunion et il n’arrêtera aucunement l’embrigadement et le recrutement de futurs terroristes, ces derniers n’étant plus rattachés à un territoire en particulier, se faisant de plus en plus via les réseaux sociaux et devenant par là même de plus en plus virtuels et dématérialisés de toute substance territoriale. Ce n’est donc pas un mur, on ne peut plus concret et matériel qui va protéger la Tunisie des terroristes djihadistes.

Construisons plutôt des murs contre les marchands de religion, les vendeurs d’illusion, ce qui travaillent et cultivent les fertiles terreaux pour le terrorisme, engrais pour le jihad déguisé en martyrisme, pour des paradis artificieux non artificiels, en solde ou à crédit. Le système de l’endoctrinement sous toutes ses formes adore l’antidémocratique comme ce rideau de plus qui tombe entre deux patries.

Le citoyen tunisien participe naturellement au débat sur l’édification du « mur ». Un débat ouvert sur une échelle publique, avec la spontanéité de mise devant les réponses sur de telles questions, laissant place à la réflexion requise pour tenter de brosser un semblant de réplique.

Les citoyens s’interrogent : ce mur arrêtera-t-il les contrebandiers, les trafiquants d’armes et les terroristes ou en passe de le devenir ? Le but ultime étant d’arracher les racines du mal, de détruire un des viviers du terrorisme contemporain.

Si ce combat semble avorté d’avance, la cassure humaine paraît quant à elle certaine. Beaucoup de Tunisiens vivent et travaillent encore en Libye. Quel est le prix à payer pour eux quand les libyens les regarderont comme des traîtres ?

Il est vrai qu’une cloison sépare et protège à la fois. Une dualité en son sein qui se retrouve dans les divergences d’opinion autour du mur sur les frontières tuniso-libyennes.

Ce mur modifiera à coup sûr la perception et la représentation que nous avons de notre voisin libyen, et lui de la nôtre. Cela se fera dans les deux sens. Une séparation et un décollement spirituel.

Nous vivons dans un monde où les murs sont érigés depuis longtemps. Mur du clivage, mur de la division, accentué dans notre pays même entre compatriotes depuis que la période postrévolutionnaire a débuté.

Hkeya-logoChronique à paraître une fois par semaine, « Hkeya » se propose de discourir d’un événement national et/ou international servant de « prétexte » pour soulever des questionnements autour d’une réalité socio, politico ou médiatico-culturelle.

Précisément, il ne s’agit pas ici de couvrir une actualité de manière « classique », mais de soulever des interrogations actuelles tout en invitant tout un chacun à la réflexion et à la discussion.

Sans tomber dans le billet d’humeur narcissique et unilatérale, « Hkeya » veut attrouper et convoquer des histoires pour faire avancer le débat citoyen.