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Les espèces dont il sera question dans le présent papier se limitent aux Mammifères et Oiseaux terrestres. Les espèces marines ne seront évoquées qu’accessoirement, et quand le besoin se fait sentir. Parmi les espèces terrestres, seules les espèces sédentaires seront évoquées, pour tenter de cerner les causes de leur raréfaction, car les menaces pesant sur les espèces migratrices (Oiseaux) peuvent ne pas avoir des causes locales.

Données historiques

En Tunisie, les espèces qui ont disparu, ou celles dont les effectifs se sont réduits au cours de période coloniale sont essentiellement caractérisées par une grande taille. Celles dont la disparition est documentée sont l’Oryx, https://fr.wikipedia.org/wiki/Addax, le Léopard, le Lion de l’Atlas, le Bubale et l’Autruche.

Les espèces dont les effectifs se sont réduits sont essentiellement la Gazelle de Cuvier, le Cerf élaphe, l’Outarde houbara et le Mouflon à manchettes.

La seule espèce qui échappe à ce modèle, de petite taille, est le Serval (introduit dans les années 1980 au parc d’El Feidja).

Pendant la période coloniale, la chasse était la principale raison de la disparition et de la raréfaction des espèces citées plus haut. Certains récits de l’époque décrivent l’énorme pression qu’ont subi ces animaux en Afrique du Nord et le nombre impressionnant d’animaux tués, notamment par des militaires, lors de leurs campagnes de chasse.

Il est aussi vrai que pendant cette époque, les armes dont disposaient les autochtones ne permettaient pas des prélèvements massifs d’animaux du milieu naturel. On rappelle aussi que le gibier était vendu sur les marchés des grandes villes, notamment ceux de Tunis, particulièrement pendant la période hivernale, correspondant à l’arrivée en grand nombre d’Oiseaux migrateurs.

L’installation de la colonisation a marqué un tournant dans les activités agricoles, avec l’avènement de la mécanisation et la mise en culture d’immenses pans du territoire national. Cela suppose notamment le défrichement d’espaces n’ayant pas été cultivés par les moyens habituels (traction animale et travail essentiellement manuel). Ces nouveaux modes de production ont surtout eu pour conséquence la destruction d’habitats et la transformation de nombreux sites sur lesquels la pression humaine n’était pas si forte (particulièrement le dessèchement des zones humides).

Le développement du pays au cours des dernières décennies a été marqué, entre autres, par l’enterrement de certains modes de vie (transhumance), l’intensification des modes d’exploitation agricoles et la quasi-généralisation de l’utilisation des pesticides dans la production vivrière, l’accroissement de la pression sur les ressources hydriques aussi bien par l’industrie que l’agriculture, la destruction à grande échelle d’habitats naturels (les steppes par exemple) et leur transformation en espaces agricoles. Les espaces naturels restants (surtout les forêts et parcours) subissent désormais de plus en plus de pression de la part du bétail dont les effectifs se sont accrus entre temps. Il en résulte de plus en plus de détérioration de la qualité des habitats disponibles à la faune naturelle.

Etat des lieux

Le statut des espèces signalées en Tunisie prête à discussion, surtout qu’aucune autorité compétente ne s’est prononcée à ce sujet. L’établissement en 2012 d’un Registre National des Espèces Sauvages (REGNES) par le Ministère de l’Environnement qui a tenté d’établir le statut de conservation des espèces naturelles vivant en Tunisie ne peut pas être adopté dans le présent travail, en raison du fait que ce registre ne traite pas de l’ensemble des espèces signalées en Tunisie (voir à ce propos la dernière Etude Nationale sur la Biodiversité, réalisée en 2008). Le statut conféré à nombreuses autres ne résiste pas à la critique.

En dehors des taxons dont le statut taxinomique est incertain (tels que de nombreux Rongeurs et Félins, la présence éventuelle du loup gris en Tunisie, les musaraignes…), certaines espèces se sont vues raréfiées ou rarement signalées dans le pays. Il s’agit essentiellement d’espèces nocturnes dont la fréquence d’observation est faible ou aussi difficile, en raison de la spécificité des zones où elles sont signalées (milieux escarpés, reliefs, espaces désertiques ou péri-désertiques…). Il faut souligner surtout le fait que le défaut de signalisation d’un certain nombre d’espèces est plutôt lié à un manque, voire un défaut de prospection de nombreuses régions du pays. L’espoir que cette situation s’améliore réside dans le fait que les techniques apparues il y a une trentaine d’années ailleurs soient adoptées et utilisées (camera trapping…). La création de nombreux établissements d’enseignement supérieur dans différentes régions n’a malheureusement pas changé la donne, étant donné que le travail de terrain suscite de moins en moins l’intérêt et nécessite des moyens logistiques que les établissements sont incapables de fournir, en dehors du manque de spécialistes de ces groupes d’espèces.

Les Mammifères

Les espèces nocturnes dont la présence dans le milieu naturel s’est réduite sont la Zorille, chassée dans certaines régions pour des utilisations « thérapeutiques ». Cette espèce des régions steppiques et péridésertiques a vu son habitat détérioré, en plus de la chasse active dont elle fait l’objet.

La Belette, ce très petit carnivore qui a la capacité de se mettre sur ses pattes antérieures est, en raison de ses mœurs discrètes et nocturnes, s’est raréfié en raison de la raréfaction de ses proies (Rongeurs en particulier) et de la destruction de son habitat.

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Belette, vue de dos (Crédit photo : Mohsen Kalboussi)

Le lynx caracal est lui aussi à statut de conservation incertain. Il n’a pas été signalé en Tunisie depuis plusieurs années, même si la répartition géographique couvre plusieurs régions boisées de l’ensemble du pays. La rareté de sa signalisation serait liée à un défaut de prospection. L’espèce souffre de la dégradation de son habitat naturel et probablement de la raréfaction de ses proies.

Le lièvre du Cap et son congénère, le lapin de garenne sont victimes de la chasse abusive. La première espèce habite l’ensemble du pays, et la principale population du lapin de garenne est signalée aux îles Kuriates. Cette dernière population est sérieusement menacée par la chasse dont elle est victime, mais aussi par un troupeau de chèvres que certains ont installé sur l’île et qui a tendance à transformer le milieu.

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Lièvre du Cap (Crédit photo : Mohsen Kalboussi)

Nous ne disposons d’aucune information sur le statut de la population du mouflon de Corse, introduit sur l’île de Zembra depuis les années 1960.

L’état des populations de la gazelle de Cuvier est incertain, depuis que les Monts Chaambi ont été investis par des groupes terroristes. La population de Chaambi comprend l’essentiel des animaux habitant la Tunisie. On ne sait pas si les animaux se sont éparpillés le long de la Dorsale, ou s’ils ont été victimes des combats qui ont eu lieu dans cette zone.

La gazelle des dunes, habitante du Grand Erg, subit énormément de pression de la part des braconniers des régions limitrophes du Sahara. Ajouter à cela les conditions d’aridité extrême qui prévalent dans son aire de distribution.

Le statut du porc-épic, le plus gros rongeur de la Tunisie, est lui aussi objet de spéculations. Malgré sa vaste répartition géographique, l’espèce est plutôt rare, et son habitat subit des dégradations continues de sa qualité. En plus de cela, elle est chassée dans de nombreuses régions du pays.

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Porc-épic, photographié au zoo de Chenini, Gabès (Crédit photo : Mohsen Kalboussi)

L’hyène rayée, le plus gros prédateur de la Tunisie est signalée avec certitude à Chaambi. En raison de ce qui se passe dans la région (voir plus haut), le statut de cette population est incertain. La confirmation de sa présence dans d’autres régions est encore en attente.

La loutre d’eau souffre de la dégradation de la qualité de son habitat. Sa répartition géographique a besoin d’être actualisée et certains de ses habitats réhabilités. Elle a tendance à se confiner au niveau des retenues des barrages où il y a suffisamment de ressources alimentaires (poissons) et un habitat non perturbé (Nord de la Tunisie).

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Habitat de la loutre (Crédit photo : Mohsen Kalboussi)

Les Oiseaux

Deux espèces sont particulièrement sous pression constante : l’Outarde houbara et la Perdrix gambra. La première, connue pour habiter les steppes péri-désertiques, a longtemps été chasséen pour sa viande. La réputation chez les pétro-monarques que sa viande aurait des vertus aphrodisiaques a davantage amplifié la pression sur les populations restantes en Tunisie. Cette chasse particulière remet en question tous les efforts nationaux de conservation de l’espèce et sous-tend des complicités politiques avec ces tueurs d’un autre temps.

La Perdrix gambra est, quant à elle, largement braconnée par les nationaux, au point que de nombreuses populations ont été décimées. Les œufs sont aussi ramassés une fois des nids trouvés dans la nature. Aucun programme d’élevage en captivité pour repeupler certaines zones n’est à l’œuvre et un avenir sombre est malheureusement réservé à cette espèce.

Les Colombidés sont eux aussi sous pression de chasse et de braconnage, aussi bien pour les populations sédentaires (Pigeon biset et Tourterelle maillée en particulier) que migratrices (Tourterelle des bois). C’est surtout en été que la pression de chasse s’accroît sur ces deux espèces, notamment pendant la période qui précède la migration de la seconde, lorsque les individus se regroupent avant de partir vers leurs quartiers d’hiver africains. Le Pigeon ramier, même localisé et peu fréquent dans les zones qu’il habite, n’est pas en reste, puisque la pression de chasse et de braconnage qu’il subit est impressionnante !

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Tourterelle maillée (Crédit photo : Mohsen Kalboussi)

Les Oiseaux chanteurs appartiennent à un autre registre, puisqu’ils sont victimes de chasseurs particuliers qui les recherchent activement. Ils ont d’ailleurs réussi à décimer le Chardonneret élégant qui, il y a une trentaine d’années, était un habitant familier de nos jardins et vergers. Les rares fois où des animaux ont été observés, c’est dans des sites isolés et bien éloignés de toute présence humaine. La pression de chasse pour l’élevage semble s’abattre actuellement sur deux autres espèces : le Verdier d’Europe et le Serin cini. Si aucune mesure n’est prise à l’encontre des contrevenants, il ne faut pas s’étonner de voir ces deux espèces disparaître dans des temps prévisibles.

Certaines autres espèces se sont raréfiées en Tunisie en raison de la destruction de leurs habitats. Il s’agit notamment de la Pie bavarde dont il ne subsiste que quelques populations dans les basses steppes. En effet, la destruction des steppes à jujubier fréquentées jadis par l’animal a eu raison de sa présence dans de nombreuses régions dans lesquelles l’espèce était pourtant fréquente au siècle dernier.

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Pie bavarde (Crédit photo : Mohsen Kalboussi)

Parmi les espèces subissant des pressions de braconnage, il y a lieu d’ajouter certains Oiseaux d’eau sédentaires, notamment la Foulque macroule, la Gallinule poule-d’eau et le Canard colvert qui sont chassés tout le long de l’année. En plus de la pression de chasse, ces espèces souffrent de la destruction et de la perte de qualité de leurs habitats.

Conclusion

La liste des espèces présentées ci-dessus n’est pas exhaustive, et nombreuses autres n’ont pas été citées, pour ne pas alourdir le texte, mais aussi par manque d’informations fiables.

Il va de soi que des actions urgentes devraient se mettre en place par les institutions concernées notamment par la lutte contre la chasse abusive et le braconnage. Le statut de conservation de l’ensemble des espèces signalées en Tunisie est lui aussi appelé à être révisé et mis à jour. Il nous manque aussi des observations continues de terrain de l’ensemble des espèces méritant un suivi.

La mise en place de programmes de formation des chasseurs devrait avoir lieu. Le statut des structures s’occupant de cette activité devrait lui aussi évoluer. Les brigadiers de chasse devraient suivre des formations continues qui leur permettraient d’évoluer dans leurs modes de fonctionnement et apprendre de nouvelles techniques d’inventaire et de suivi de la faune naturelle, puisqu’ils sont chargés de la protéger.

Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche sont aussi appelés à former des cadres compétents et efficients en matière d’inventaire des différents groupes de Vertébrés vivant dans les divers types d’écosystèmes naturels existant en Tunisie.

Des programmes de conservation in-situ de certaines espèces devraient avoir lieu. La multiplication en captivité des espèces de gibier, suivie de lâchers dans le milieu naturel (repeuplement) devraient voir le jour. Ces programmes pourraient être financés par les Fédérations de chasseurs existantes.

Les organisations de la société civile devraient contribuer à former et sensibiliser le public quant à la nécessité de connaître et de préserver nos ressources naturelles vivantes pour les générations futures. On n’aimerait pas que nos printemps soient silencieux et nos campagnes vidées de toute vie !