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Loin de faire l’unanimité, annoncée de manière unilatérale, sans consultations parlementaires et encore moins de concertation avec le voisin libyen, la construction du très peu imaginatif mur frontalier est une mesure radicale qui entraînera des travaux titanesques, pour des résultats non garantis.

A la surprise de ses trois intervieweurs, c’est le 7 juillet dernier que le chef du gouvernement Habib Essid a révélé la construction « déjà entamée » de ce mur frontalier. Les médias évoquent d’abord quatre sous-traitants privés, des sociétés de construction, « six ou sept » selon Essid. En quelques jours, leur nombre passe à neuf contractants, sur fond d’opacité quant aux conditions d’un appel d’offre réalisé en un temps record.

Des chiffres qui donnent le tournis

De l’aveu même de Mohsen Hassen, chef du bloc parlementaire de l’UPL, le mur coûtera au contribuable tunisien la bagatelle de 150 millions de dinars, soit près d’un million de dinars par km de mur, et ce malgré le concours de l’armée mobilisée sans frais de main d’œuvre.

De quoi parle-t-on au juste ? Sur la forme, il s’agit en réalité moins d’un mur à proprement parler que d’une barrière de sable, faite de dunes, précédées par des tranchées creusées de deux à trois mètres de profondeur.

Cet obstacle semi naturel ne s’étend ensuite que le long de 168 kilomètres sur les 520 km que compte l’intégralité des frontières tuniso-libyennes. Il s’agit donc de sécuriser la zone comprise précisément entre le checkpoint frontalier de Ras Jedir et la ville de Dhehiba, le gouvernement ayant jugé que les 352 km restants, jusqu’à Borj el Khedhra, sont moins prioritaires étant déjà virtuellement inclus dans une zone militaire tampon depuis l’été 2013.

Une efficacité contestée

Depuis l’enlisement dans le bourbier des montagnes de Chaambi, c’est pourtant de la frontière algérienne que provient l’essentiel des menaces terroristes, comme en témoigne la récente opération de Gafsa qui a permis d’abattre, vendredi dernier, cinq éléments dont Mourad Gharsalli, l’un des chefs djihadistes d’AQMI les plus recherchés par les autorités.

Inquiet de l’absence d’Etat en Libye, incapable de détecter les retours et les départs de Tunisiens vers de présumés camps d’entraînement d’Ansar al Charia, l’actuel gouvernement n’en démord pas : il s’agit pour lui d’une mesure d’urgence davantage destinée à juguler ces flux transfuges que de stopper une fantasmée future invasion terrestre de Daech ou encore de lutter contre un trafic d’armes dont l’existence reste à prouver.

Acte précipité au lendemain de l’attaque de Sousse, sont auteur se serait entraîné à Sabratah ? En pratique, et en l’absence de plan de développement alternatif, le principal effet à moyen terme sera potentiellement explosif : certaines voix mettent en effet garde contre les conséquences essentiellement sociales d’une telle décision qui omet que des milliers de familles vivent de l’économie informelle de la contrebande, toujours relativement prospère malgré la guerre civile en Libye. Leurs véhicules pickup seront stoppés net.

A court terme, c’est par ailleurs une quasi déclaration de guerre, côté libyen, qu’a provoqué le coup d’envoi de la construction du mur. Samedi 11 juillet, le « haut conseil des révolutionnaires libyens » a en effet publié un communiqué relayé par la « chambre des opérations » de Fajr Libya, principale force contrôlant le nord-ouest libyen, pour qualifier la mesure d’« occupation » et « d’atteinte flagrante au territoire national libyen », un territoire possiblement gazier et pétrolifère, tout en se réservant le droit de « riposter comme il l’entend »…

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Que nous apprennent les autres expériences internationales similaires en la matière ?

Elles sont en règle générale le fait de gouvernements conservateurs. En septembre 2006, avec 283 voix contre 138, le Congrès américain adopte avec une large majorité de votes à droite le « Secure Fence Act » (219 républicains et 64 démocrates ont voté « oui ») donnant le feu vert à Georges W. Bush pour la construction de la barrière entre les États-Unis et le Mexique.

Selon des chiffres officiels US, ce mur (qui a dû subir des travaux d’extension en hauteur), n’aurait limité que de 25% l’immigration clandestine mexicaine. Estimé initialement à 2 milliards de dollars, le coût final de cette barrière est aujourd’hui estimé à 10 fois plus, soit 20 milliards de dollars.

En Israël, c’est le gouvernement d’Ariel Sharon qui avait concrétisé le projet de « la barrière de sécurité ». Les opposants à la barrière, y compris dans les rangs des mouvements israéliens de gauche, surnomment la construction « mur de la honte » (par analogie avec le Mur de Berlin) ou « mur d’annexion ». Certains d’entre eux s’y réfèrent également en tant que « mur de l’Apartheid » par analogie avec le régime de ségrégation aboli en juin 1991 en Afrique du Sud.

Mais, plus proche de nous, l’idée du mur tunisien a vraisemblablement été puisée dans le « modèle égyptien », où l’armée égyptienne accélère sous al Sissi, depuis fin 2014, la deuxième phase de construction du mur sur sa frontière avec Gaza, une « clôture de 3 mètres de haut qui empêchera l’infiltration de terroristes en provenance du territoire palestinien », selon les termes de sites d’information israéliens qui s’en félicitent. Un chantier qui a résulté en l’évacuation forcée de 1150 familles.

Plus généralement, c’est enfin la symbolique véhiculée par cette contagion des murs qui importe le plus, nés d’états d’exception se prolongeant dans le temps. Le mur tuniso-libyen ne dérogera pas à la règle et traduit surtout un aveu de faiblesse en termes de politique sécuritaire publique.

Au lieu d’œuvrer à rassembler les peuples du Printemps arabe, les gouvernants post révolutions s’inscrivent dans l’élan inverse, celui de leur division.