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Donner un nouveau souffle à la broderie de Mahdia, c’est le défi que s’est lancé le fondateur de l’entreprise sociale « Tillit Tanit ». Portrait d’un jeune designer qui place l’humain au cœur de sa démarche.

Tout petit déjà, il passait du temps près de sa mère qui brodait à longueur de journée. Il aimait la musique de ces fils de soie au contact du tissu, « l’impression d’un air de guitare ». Né à Mahdia, dans une famille où la broderie se transmet de mère en fille, Najib Bel Hadj s’est passionné pour cet artisanat. Après des études de designer textile à l’Institut de Mode de Monastir, il lance en 2012 « Tillit Tanit », une entreprise sociale spécialisée dans la conception et la réalisation de broderie.

Dès le départ je voulais que mon entreprise permette l’autonomie des brodeuses de ma région, valorise les jeunes stylistes, responsabilise les consommateurs et enfin, assure la transmission de savoir-faire en voie de disparition, tout en étant économiquement viable, raconte Najib Bel Hadj.

Car tout au long de sa jeunesse, il a pu faire de nombreux constats : exploitation des brodeuses, disparition de certaines techniques et dévalorisation des métiers de l’artisanat. Il allait donc de soi, pour ce jeune styliste, que son activité vienne répondre à ces problématiques. Il y a quelques années encore, il ne connaissait pas le concept d’entrepreneuriat social : « C’est lorsque j’ai commencé à me professionnaliser et à développer mon réseau que j’ai compris que ma démarche s’inscrivait dans l’économie sociale et solidaire », confie-t-il.

« Chaque broderie a son histoire »

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Mais il y a aussi chez Najib Bel Hadj un lien passionnel avec la broderie. Il parle avec les yeux d’un adolescent qui vient de tomber amoureux. « C’est un art qui fait partie de notre culture et de notre identité, nous avons la responsabilité de préserver ce patrimoine », défend le jeune homme. Chaque point, chaque motif, chaque dessin a une signification.

Chaque broderie a son histoire. Regardez les différents costumes traditionnels féminins : les couleurs et le style des broderies indiquent la région et parfois même le rang social.

Broder, devient alors l’expression matérielle d’une culture. Et ce depuis des siècles. En effet, la broderie est arrivée en Tunisie à l’époque byzantine, mais c’est à l’époque des fatimides qu’elle s’est implantée à Mahdia avec une spécificité, celle des points de croix en fils de soie noirs.

Les fatimides étaient très conservateurs et cela a influencé les broderies mahdoises qui sont sobres et simples, contrairement aux broderies d’autres régions où il y a beaucoup de couleurs et de paillettes, explique Najib Bel Hadj.

Ces techniques, spécifiques à la ville de Mahdia, sont en train de disparaître : « il y a des points que seules 5 ou 6 brodeuses maîtrisent », regrette-t-il. « Si nous ne faisons pas un travail de transmission, dans quelques années plus personnes ne saura broder comme nos ancêtres ». Mais si peu en ont conscience. Les brodeuses elles-mêmes ignorent parfois qu’elles possèdent un savoir-faire devenu rare et n’imaginent pas qu’elles puissent avoir un rôle de transmission. Ainsi, en créant Tilli Tanit, Najib Bel Hadj a souhaité donner un nouveau souffle à la broderie où brodeuses et stylistes se rencontrent, échangent et travaillent de façon équitable et collaborative. Lorsqu’il reçoit des commandes de couturiers, le jeune entrepreneur prend le temps d’en discuter avec les brodeuses et d’être à l’écoute de leurs idées. A terme, il voudrait que chaque brodeuse ait son atelier afin qu’elles soient totalement autonomes et indépendantes. Et pourquoi pas, une coopérative.

Ma démarche n’est pas celle d’un commerçant classique car ce qui compte pour moi n’est pas le gain mais la valorisation de cet artisanat, explique-t-il.

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Ce jour-là, à l’atelier, une des brodeuses leur rend visite, un plat de couscous au poisson à la main. « Mima Saïda est comme une seconde maman pour nous ! », s’exclame-t-il. Elle, reconnaissante : « Et Najib est comme mon fils, c’est un bonheur de travailler avec lui ». Brodeuse depuis des décennies, Saïda a retrouvé une forme de liberté depuis qu’elle brode pour Tilli Tanit : « j’ai enfin une couverture sociale, un revenu tout à fait honnête et je peux, en fonction de ce qui m’arrange travailler à l’atelier ou chez moi ». D’ailleurs sur les articles réalisés par Tilli Tanit, les noms des brodeuses sont mentionnés. Najib Bel Hadj y tient :

Sur chacune de mes créations j’indique la provenance des tissus, les noms des brodeuses ou encore l’histoire et l’inspiration de la pièce en question.

Se donner les moyens de réussir Dans son atelier à Mahdia, croquis, tissus, fils de soie jonchent la table. Sur les murs, tuniques et chemises sont exposées. Simples et élégantes, ces pièces contemporaines d’inspiration traditionnelles sont nées d’une réflexion portée par Najib Bel Hadj depuis plusieurs années : « J’aime beaucoup les costumes traditionnels que l’on porte lors des grandes occasions, mais je voulais créer des vêtements et des accessoires modernes qui soient dans la continuité de notre histoire ». Et rien n’est laissé au hasard : qu’il s’agisse du choix des fils, des tissus, ou de la découpe, le jeune créateur essaye d’utiliser des matières 100% tunisiennes et ne jure que par le « fait-main ».

Lorsqu’il a lancé son activité, elles étaient 2 brodeuses. Aujourd’hui, elles sont 10 et les commandes fusent. Najib Bel Hadj est aux anges. Il vient de signer un contrat avec le styliste Mehdi Kallel. Mais assure : « Je suis heureux de travailler pour la haute couture, mais il y aura toujours dans mon atelier des pièces accessibles à tout le monde. Les broderies et les tissus de qualités ne doivent pas être le fait de quelques privilégiés ». Si le jeune homme en est là aujourd’hui c’est aussi grâce à toutes ces personnes qu’il a rencontré sur son chemin et qui lui ont permis de professionnaliser sa structure. Au début de son parcours, Najib Bel Hadj a été accompagné par le Tunisian Center For Social Entrepreneurship (TCSE), Réseau Entreprendre et le Laboratoire de l’Economie Sociale et Solidaire (Labess). Un coup de pouce nécessaire car il n’avait aucune culture entrepreneuriale. « J’ai été sélectionné par le Labess pour être accompagné dans le développement de mon entreprise, et grâce à eux, j’ai significativement renforcé mes capacités managériales et opérationnelles », précise-t-il. Côté financement, il a commencé avec ses propres économies (1000 dinars) et espère recevoir prochainement des fonds de Souk Attanmia (17 000 dinars), notamment pour réaménager son atelier. Pas peu fier, Najib Bel Hadj entend faire de son expérience un exemple pour les jeunes tunisiens :

Il faut se donner les moyens de réussir, et travailler sans compter. Mais la clé, c’est de croire en ce qu’on fait et je sais qu’il y a beaucoup de jeunes capables eux aussi de se lancer dans de telles aventures.