Winou-el-petrole

Sur le web tunisien, nul n’y échappe. Si la campagne «  Winou el pétrole » semble s’essouffler au terme d’une semaine de matraquage viral de la toile, le sujet continue d’agiter la classe politique, sur fond de spéculations sur les réserves en or noir du pays.

Ses partisans ne cessent de l’assurer : la campagne est « totalement spontanée ». De sérieux doutes planent cependant sur les motivations, « politiques » selon ses détracteurs, de cette initiative qui se veut citoyenne, et qui a atteint son apogée le 30 mai, avec un rassemblement à l’Avenue Habib Bourguiba, après avoir assailli les réseaux sociaux jusqu’à être qualifiée de vaste spamming.

Les raisons des suspicions

Appartenant à la mouvance gauche souverainiste, le CPR s’était attelé dès janvier 2013 au dossier des ressources nationales, via certaines de ses figures de proue à l’Assemblée nationale dont l’élue Mabrouka Mbarek, notamment via l’amendement 108 de l’article 10, ainsi que l’article 13 portant sur les dispositions générales. Avec la loi sur l’exclusion politique, ces textes font partie des points de discorde clés sur lesquels le parti de Moncef Marzouki s’était opposé à son allié de l’époque Ennahdha, favorable à plus de libéralisation du secteur énergétique.

L’autre élément ayant attisé les doutes de certaines figures publiques quant à la spontanéité de « Winou el Pétrole », c’est la carte électorale du second tour des présidentielles, où l’ex président Marzouki doit en grande partie ses 44,5 % des suffrages à la moitié sud du pays. D’un point de vue socio-politique, l’extrême bipolarisation régionale est, depuis, restée une question en suspens, explosive à l’aune de 100 premiers jours du gouvernement Habib Essid unanimement critiqué pour bilan dérisoire.

Il a donc suffi du déclic de la découverte, début mai, d’un nouveau puits de pétrole dans la région sinistrée d’El Faouar (Kébili), exploité à partir de 2016, théoriquement d’une capacité de production quotidienne de 4300 barils de pétrole et 400 mètres cubes de gaz naturel, pour que cette piqûre de rappel attise une problématique bien réelle d’opacité des contrats conclus dans ce secteur.

Une tradition perpétuée en fin de mandat du chef de gouvernement Mehdi Jomâa, homme du sérail de Total, qui avait renouvelé des permis d’exploitation sans revenir vers l’Assemblée ni l’opinion publique. Celle-ci découvrit l’étendue des reconduites de bail dans le Journal officiel (JORT).

« Dis ce que t’en penses, je te dirai qui tu es »

En se prononçant très tôt sur la campagne « Où est le pétrole », le parti d’obédience néolibérale Afek Tounes est fatalement apparu comme étant prompt à défendre aveuglément les intérêts des acteurs du secteur. Lundi 1er juin, son secrétaire général Faouzi Abderrahmen a considéré dans un communiqué que les insinuations de la campagne relèvent d’un « méprisable populisme ». Nous ne sommes plus très loin du triptyque “travail – famille – patrie” lorsque les injonctions au travail de la droite tunisienne servent de contre-campagne.

Disposant de plus de latitude vis-à-vis de la coalition gouvernementale, Rached Ghannouchi est néanmoins apparu comme hésitant, avant de finalement prendre position de manière consensuelle, « sa marque de fabrique » ironisent certains.

Intervenant sur Radio Tataouine où il était en déplacement ce weekend, il a dans un premier temps fustigé « les perdants des dernières élections », qui sont selon lui « derrière les mouvements sociaux ». Devant ses bases dans la même région il a, la même journée, tenté d’apaiser la grogne en déclarant que « les citoyens ont le droit de connaître la taille de leurs richesses naturelles, en toute transparence, conformément à la Constitution ». Une déclaration aujourd’hui mise en avant par la page officielle du parti.

Ouvertement libéral dans son programme économique, mais plus enclin à afficher une dimension sociale dans la pratique, Ennahdha est un parti de la gouvernance dont l’ambiguïté programmatique et idéologique est reflétée en l’occurrence par une certaine indécision, entre conservatisme structurel et volonté de contenir les velléités de ses bases les plus radicales, celles qui n’ont pas hésité à renier le cheikh et à brandir des slogans admirateurs de la gestion de l’Etat Islamique « propriétaires de ses ressources ».

Reste la famille politique de la gauche radicale, qui rechigne à rallier clairement la contestation type « Winou el pétrole », elle qui est pourtant proche des mouvements de la gauche d’Amérique latine aux tendances nationalistes. Si le Front Populaire se montre relativement solidaire de toute demande de transparence en la matière, la gauche tunisienne hésite à s’afficher aux manifestations menées par les instigateurs de ce dernier mouvement en date.

Diabolisé avant même sa généralisation à la rue, le mouvement est assimilé au « Marzoukisme », bien que l’intéressé ait démenti la parenté de la chose, et que l’initiative « Ouvrez les dossiers », prélude à « Winou el pétrole », était celle du parti concurrent du Harak, Attayar (le Courant Démocratique) lui-même en proie aux accusations d’instrumentalisation du mouvement afin de recruter de nouvelles signatures d’adhérents.

Mais au-delà d’une paternité et d’un apolitisme contestés, la plus grande faiblesse de « Winou el pétrole » réside probablement dans le fait qu’il s’agit d’une campagne s’articulant autour d’une interrogation, une question sans réelle réponse, à moins de nationaliser les projets en cours, et de multiplier les efforts d’une prospection dont l’Etat actuel n’a pas les moyens.

Avec des réserves nationales de pétrole brut estimées à 450 millions de barils et une production en chute libre depuis quelques années, la Tunisie ne dispose, dans l’état actuel des chiffres déclarés, que de réserves infinitésimales par rapport à ses géants voisins libyen (9ème au classement mondial des réserves non conventionnelles) et algérien, les réserves de ce dernier le plaçant au 15ème rang mondial.