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Alors que le pays est sous la pression grandissante des grèves de la faim et des mouvements sociaux liés au chômage, l’État se complaît dans son mutisme et affiche une désolidarisation vis-à-vis des revendications sociales, sous prétexte de crise économique. Le nombre des familles touchées par le chômage augmente d’une année à l’autre. Par contre, les mécanismes de soutien à ces populations en précarité sont loin d’être suffisants.

Pour palier au manque de l’assurance chômage, Meriem Hassan, chargée de communication au ministère des Affaires Sociales, explique que l’État met en place un mécanisme de soutien aux chômeurs forcés (ceux qui ont perdu leur travail suite à la fermeture d’une entreprise en difficulté financière). Mais la somme attribuée reste insuffisante compte tenu des obligations quotidiennes des familles tunisiennes. Selon le ministère, une somme qui varie entre 100 et 120 dinars est versée mensuellement à chaque chômeur durant un an et parfois quelques mois seulement. Cette mesure ne concerne que les chômeurs forcés qui ne bénéficient d’aucune autre mesure d’encadrement et de suivi durant la période d’inactivité.

Parmi les revendications syndicales qui préviennent la précarité des travailleurs, l’UGTT propose un mécanisme de couverture social existant dans divers pays du monde. Il s’agit d’une allocation de chômage forcé ou temporaire dont les fonds proviennent de la contribution des travailleurs, des employeurs et du contribuable. Cette mesure permet de prévenir les familles de la pauvreté, le temps de trouver une source de revenue fixe. Étant donné les salaires faibles et le pouvoir d’achat en baisse, les familles tunisiennes sont incapables d’épargner en vue de faire face aux périodes de « vache maigre ». L’assurance chômage sert, effectivement, à dépanner la famille d’un travailleur durant quelques mois (voire des années selon la loi appliquée) avec une somme d’argent équivalente à son salaire jusqu’à ce qu’il reprenne son activité.

Abdelkarim Jerad, secrétaire général adjoint de l’UGTT chargé de la couverture sociale, explique que cette nouvelle caisse fait partie des prochaines réformes inscrites dans le contrat social signé par le gouvernement tunisien, l’UTICA et l’UGTT, le 14 janvier 2013.

Dans le quatrième chapitre lié à la protection sociale, nous essayons de créer un projet de loi qui permet l’assurance de perte d’emploi. Cette caisse permettra le versement d’un salaire pour les travailleurs qui ont perdu leur emploi suite à un chômage technique décidé sans préavis par l’employeur. Le versement peut durer plusieurs mois jusqu’à la réintégration des employés assurés.

Selon notre interlocuteur, le projet de loi concernant cette allocution de perte d’emploi n’est pas encore défini. Une commission pilote dirigée par les trois partenaires (UTICA, UGTT et inspection de travail) est en train de voir les modalités nécessaires à la création d’une une caisse nationale avec une direction commune et une présidence rotative.

Depuis une vingtaine d’années, l’idée de lancer cette assurance chômage traîne dans les bureaux de l’administration tunisienne. L’Union Général des Travailleurs Tunisiens l’affiche dans ses revendications sociales. Mais « personne n’a jamais insisté sur son application. L’UGTT n’a pas encore déclaré la guerre pour l’imposer. » nous assure Abeljelil El Bedoui, expert en économie.

Cependant, l’application de cette allocation chômage est freinée par plusieurs contraintes. Entre les contributions sociales croissantes qui accablent les salariés, les charges supplémentaires qui freinent la compétitivité des entreprises et le désengagement de l’État par rapport aux revendications sociales, il devient difficile de percevoir l’ajout d’une telle « charge commune ». Selon l’expert El Bedoui, le deuxième problème qui bloque l’application de cette allocation est la nature même du chômage en Tunisie. En plus du fait que cette allocution de perte d’emploi ne couvre pas les chômeurs en quête de travail, le chômage « tunisien » est souvent de longue durée. Les licenciés des sociétés fermées suite à des problèmes économiques, restent, souvent, en attente pour une longue période avant une éventuelle réintégration au marche du travail. À ce même niveau structurel s’ajoute le travail informel dans l’économie parallèle qui échappe au contrôle de l’État. Cette économie constitue une source de revenus pour nombreux chômeurs et travailleurs. Sans déclaration fiscale ni couverture sociale, des milliers de travailleurs ne sont pas répertoriés en tant qu’actifs. De ce fait, ils ne peuvent pas contribuer aux fonds de l’assurance chômage.

L’économie tunisienne est accablée par le secteur informel qui empêche de planifier des stratégies de couverture sociale convenables et précises. Dans la situation actuelle, comment peut-on concevoir l’assurance chômage ? Il serait difficile de limiter les bénéficiaires en autorisant seulement les travailleurs formels à avoir l’assurance chômage. En plus, laisser les sources de financement des fonds de l’allocation chômage imprécises serait compliqué et risqué, explique El Bedoui.

La troisième contrainte conséquente qui bloque l’application de l’assurance chômage est l’incapacité de contrôle administratif des statuts des bénéficiaires. L’expert en économie, Abdeljalil El Bedoui, donne l’exemple récent de la société d’environnement affiliée à la Compagnie de Phosphate de Gafsa. Cette société, crée en 2011, a recruté plus de 7500 personnes dans le but d’absorber le taux élevé du chômage dans la région. En réalité, les recrues sont en majorité des travailleurs et des employés étatiques. « Ils reçoivent un double salaire et en plus ils ne produisent rien. Ils ont été recruté par la société de l’environnement parce qu’ils ont rempli un formulaire», explique El Bedoui. L’administration tunisienne est jusqu’à aujourd’hui incapable d’avoir une base de donnée complète de ceux qui travaillent et ceux qui sont au chômage. Cet exemple, nous montre, parfaitement, selon notre interlocuteur, que la création d’un fond d’allocation chômage peut devenir un « gaspillage coûteux du contribuable ».

Gérer un tel fond d’allocation chômage nécessite un lourd appareil bureaucratique avec un budget de gestion conséquent et des compétences qualifiées, conclut l’expert.

En attendant la concrétisation des promesses du contrat social concernant la protection sociale des travailleurs, des questions restent en suspend par rapport aux mécanismes de gestion d’une nouvelle caisse nationale surtout que les caisses, déjà existantes, comme celle de la CNAM, souffrent d’une mauvaise gestion handicapante et d’une corruption de plus en plus flagrante.