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Cela fait soixante ans que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a mis la torture hors la loi, conformément à son article 5 : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Mais cette pratique continue à exister dans notre pays même si la Tunisie a signé la Convention Contre la Torture en 1987 et l’a ratifiée en 1988 sous la présidence de Ben Ali. Entre avril et le début du mois de mai, trois personnes ont trouvé la mort sous la torture, selon leurs familles et la société civile. Malheureusement, aucune mesure administrative, judiciaire ou parlementaire n’a eu lieu pour le moment.

Un jeune homme, Abdelmajid Ben Saad, en détention préventive, dans un poste de police à Sidi Bouzid, est trouvé mort, le 13 mai, dans sa cellule. Avant le verdict de l’autopsie, le ministère de l’Intérieur avance, déjà, qu’il s’agit d’un suicide. Une déclaration contestée par la société civile et l’Organisation Tunisienne de Lutte contre la Torture surtout que la victime a porté plainte, quelques jours avant sa mort, contre ses geôliers en les accusant de torture.

En février 2015, Abdelmajid Ben Saad s’est fait arrêté par la garde nationale de Bir Lahfay ; à la suite il a été transféré à Sidi Bouzid. Accusé de vol sans preuve, la victime a été innocentée par le tribunal. Au cours de son procès, Abdelmajid a témoigné devant le juge qu’il était victime de torture durant plusieurs jours. Le 14 avril 2015, le défunt dépose une plainte au Ministère Public à Sidi Bouzid pour demander l’ouverture d’une enquête contre les agents de la brigade des investigations de l’inspection à Sidi Bouzid. Un mois après, le 12 mai, la même brigade arrête Abdeljelil dans une affaire de vol. Le lendemain, la brigade appelle la famille Ben Saad pour l’informer du décès de son fils. La police n’a informé la famille du décès qu’après avoir transféré le corps à l’hôpital de Sfax pour l’autopsie. Riadh Jeddi, militant syndicaliste à Sidi Bouzid et frère de la victime raconte :

J’ai vu des traces de torture sur le corps de mon frère avant l’autopsie. En plus, il n’avait aucune envie de mourir. Il était en pleine préparation de son mariage et venait tout juste de fêter ses fiançailles. L’histoire du suicide ne nous convainc, surtout que les policiers qui l’ont arrêté la deuxième fois sont les mêmes qui l’ont torturé en février. Nous avons porter plainte à travers un comité d’avocats et d’associations de droit de l’homme, témoigne le frère de la victime.

Suite à cette mort survenue dans des conditions mystérieuses et douteuses, l’OCTT a publié un communiqué dans lequel elle demande l’ouverture d’une enquête judiciaire et administrative surtout que la victime a porté plainte juste avant sa mort contre la même brigade qui l’a arrêté une deuxième fois. Concernant l’autopsie, l’OCTT exige trois médecins légistes pour examiner le corps. L’organisation relance, en vue de cette actualité, sa demande auprès du parlement de faire un comité parlementaire qui s’occupera de la torture et des mystérieux cas de mort dans les prisons.

Rappelons que le mort d’Abdeljelil Ben Saad n’est pas isolée. En effet, durant le mois d’avril uniquement, la société civile a enregistré trois cas de torture qui ont mené à la mort des victimes et 12 cas de tortures dans les prisons et les centres de détentions préventives. D’après l’OCTT, toutes les procédures et demandes auprès du ministère de l’Intérieur, celui de la Justice et celui de la Santé n’ont trouvé aucune réponse favorable. « Même les groupes parlementaires n’ont pas répondu à nos appels successifs pour prévenir la torture et investiguer afin de punir les responsables » affirme Monther Cherni, secrétaire général de l’OCTT.

Ayoub Amara, militant politique et ex-prisonnier nous a confirmé que les cas de torture sont beaucoup plus nombreux que ceux documentés et déclarés par la société civile.

Les femmes victimes de torture et de viol sont nombreuses mais elles ne figurent pas dans les rapports des ONG. Le tabou et l’intimidation de la société ainsi que la justice font peur aux victimes. L’année dernière, j’ai rencontré une jeune femme de 24 ans violée par 13 policiers. Elle était forcée de quitter le pays après sa libération. Elle n’a pas porté plainte pour éviter les jugements de la société.

Le retour en force de ces pratiques criminelles est encouragé par un discours de la peur. En insinuant que la lutte antiterroriste est plus importante que les droits, nombreux légitiment même indirectement le recours aux sévices au cours d’interrogatoires et de détentions. L’avocate Ines Harath, en charge de nombreux dossiers d’accusés dans des affaires de terrorisme, témoigne de nombreuses pratiques inhumaines et de traitement cruels et dégradants envers ses clients.

Seif Raies a déclaré devant plusieurs juges d’instruction qu’il a subi une torture psychologique. Les policiers tabassaient des gens devant lui pour lui arracher des aveux. Il y a deux mois, Tarek Gharsalli, un ex-prisonnier, a perdu l’ouïe d’une oreille et boite encore suite à des violences monstres qu’il a subi dans la prison de Borj Roumi. Mohamed Hajji, son ami, a l’appareil génital écrasé et un genou éclaté à cause de plusieurs séances de torture dans la même prison. Mohamed Gassoumi, 23 ans, est aussi victime de torture dans la prison de Mornaguia. J’ai vu par mes propres yeux les traces du tuyau en caoutchouc visibles sur son front et son crâne rasé. témoigne l’avocate Ines Harath.

Le lendemain de l’attentat du Bardo, le 19 mars, un jeune de 19 ans s’est fait arrêté par la police. En contact avec sa famille, il lui affirme qu’il a fait des aveux sous la torture. « Devant le juge d’instruction, il a nié tous les crimes qu’il a avoué au cours de l’interrogatoire. Il a aussi précisé que sous la torture, il était obligé d’avouer des crimes qu’il n’a jamais commis. À chaque visite, nous témoignons de la détérioration de son état physique et mental. À plusieurs reprises, il évoque la torture mais nous prévient de ne pas en parler de peur que ses bourreaux se vengent de lui. Cela va sans dire que les juges d’instructions refusent les demandes de notre avocat et refusent d’écouter des témoins oculaires qui peuvent innocenter mon frère », nous raconte la sœur du prisonnier qui préfère garder l’anonymat de son frère pour le protéger.

Depuis l’élection de l’actuel parlement, les organisations nationales et internationales des droits de l’homme attendent la mise en place de l’instance nationale de prévention de la torture conformément à la loi organique du 23 octobre 2013 et au protocole facultatif à la Convention Contre la Torture ratifié par la Tunisie en 2011. Cette instance n’a pas encore vu le jour malgré les appels de la société civile pour la mettre en place le plus tôt possible. En attendant, le pouvoir maintient son silence face aux agissements criminels de la part des forces de l’ordre.