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Avec la guerre ouverte contre le terrorisme, les écarts déontologiques et éthiques des médias ne se comptent plus. Cependant, le traitement médiatique de l’attentat du Bardo constitue un cas d’école qui permet de mesurer l’ambigüité des relations entre médias et pouvoir. Ainsi, l’effet déclencheur du discours sécuritaire a-t-il mobilisé des catégories juridiques et policières construites, pendant des décennies, sous une dictature immunisée par la menace terroriste. Dans quelle mesure la régulation peut-elle contenir ce retour à la normalisation ?

Lors d’un débat avec des journalistes, des rédacteurs en chef et des associations de droits de l’homme, la Haica est revenue, notamment, sur la question des sources en pointant « la polyphonie du discours gouvernemental ». Tout l’intérêt de la polyphonie, telle que théorisée par Bakhtine, réside dans sa capacité à ressortir les discours qui sous-tendent l’énoncé d’un locuteur et leur impact dialogique sur le récepteur. Or, ce que dévoilent les discours elliptiques des autorités, c’est bien la permanence d’un énonciateur dominant, à savoir l’institution sécuritaire.

On aura remarqué que, passé le cafouillage des conférences de presse sur les failles sécuritaires et l’apparence vestimentaire des assaillants, a ressurgit une réalité politique centrée autour de l’urgence d’une action effective de sécurité, c’est-à-dire le renforcement de la police et du renseignement. L’effet déclencheur de ce discours a mobilisé des cadrages qui rappellent un passé dictatorial récent où on assignait les journalistes à produire du consentement dans un contexte politique problématique. Ce qui est la définition même de la normalisation.

Alors, pendant que les autorités font le blackout sur l’enquête, les médias dominants engagent le débat sur l’utilité ou pas de préserver les droits de l’homme dans la nouvelle loi antiterroriste. Projeté dans un contexte d’urgence, le débat passait outre le décryptage et l’analyse en profondeur au profit de la dramatisation et de l’émotion. A commencer par la profondeur historique qui rappelle que, dans les mêmes circonstances, fut promulguée, un certain 10 décembre 2003, l’horrible loi de lutte contre le terrorisme, quelques mois après l’attentat contre la synagogue de Djerba. Une date d’autant plus caractéristique du cynisme de la dictature qu’elle marque la Journée internationale des droits de l’homme.

Sur Al Hiwar Ettounsi, dans l’émission J8 du 11 avril dernier, consacrée au débat sur la loi antiterroriste, l’animateur Hamza Belloumi exposait, deux jours avant son adoption, les dispositions liberticides de la loi française sur le renseignement en faisant remarquer que c’est tout de même un pays démocratique, en l’occurrence La France, qui allait voter une telle loi ! Comme si l’argument démocratique était censé justifier l’extinction des libertés au nom de la sécurité. La comparaison est d’autant plus superflue que la Tunisie n’est pas encore un pays démocratique. L’exemple de la condamnation du journaliste marocain Ali Anouzla sur la base de la loi marocaine anti-terrorisme aurait, sans doute, été plus édifiante.

Contradicteur de Emna Guellali, directrice de Human Right Watch en Tunisie, et de Jilani Hammami, député du Front Populaire à l’ARP, le journaliste de l’émission Sofiéne Ben Hamida s’est ingénié, lui, à redéfinir les droits de l’homme. Ainsi, selon lui, « les droits de l’homme consistent essentiellement à défendre des citoyens rassurés, indemnes et qui respectent la loi ». Et Jilani Hammami de compléter « et qui ont aussi des droits économiques et sociaux ».

En revanche, ne sera pas évoquée la relation de défiance et de peur qui lie le citoyen à la police et la multitude de procès pipés intentés par des policiers pour délit d’outrage, comme le signale Bochra Belhaj Hmida, présidente de la commission des droits, des libertés et des relations extérieures au sein de l’ARP, sur radio Express FM. La députée estime, ainsi, que le projet de loi relatif à la répression des agressions commises contre les forces armées relève plutôt de l’expédition punitive que de l’amélioration des conditions des forces de sécurité qui sont « lamentables dans certaines régions ». Certaines dispositions de cette loi « ouvrent la porte aux abus contre les citoyens démunis », assure l’avocate.

Les journalistes ne s’interrogent pas non plus sur l’utilité d’un livre blanc sur la sécurité et de la défense où les dispositions sécuritaires exceptionnelles et leurs coûts seraient exposés en toute transparence, comme par exemple la sécurisation des grandes villes par l’armée et l’installation de caméras de surveillance.

Toujours sur Al Hiwar Ettounsi, dans l’émission 24/7 consacrée aux réseaux sociaux et au terrorisme, Sadok Hammami, enseignant universitaire à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI), reprochait « gentiment » à la presse tunisienne traditionnelle d’être « purement informative », alors que les faits terroristes doivent être analysés et contextualisés. Quand on sait justement que les Djihadistes jonglent avec la technologie, numérique à des fins de propagande, de recrutement et d’action, on peut s’étonner, en effet, que les journalistes tunisiens tardent à s’initier à Twitter. On s’étonne surtout que l’histoire de la propagande ne soit pas encore intégrée dans le cursus journalistique, le rattrapage technique ne pouvant à lui seul résoudre le « désarroi médiatique » des rédactions.

Comment empêcher, par exemple, que la proximité des journalistes avec leurs sources engendre une proximité en matière de références. Ainsi, des journalistes se convertissent aux mêmes points de vue hostiles aux droits de l’homme que les policiers, pendant que d’autres deviennent des relais pour des groupes terroristes. Il y en a même qui passent maîtres ès-authentification de leurs communiqués.

Selon le sociologue Jérôme Berthaut, « les sources des journalistes façonnent les catégories de pensée qui vont circuler ». Dans son livre « La banlieue du “20 heures”, ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique », il démontre comment la construction et la reproduction des catégories médiatiques découlent de catégories juridiques et policières sur le maintien de l’ordre que les journalistes alimentent et relayent.

L’entrée des syndicats de la police sur la scène médiatique tunisienne a complexifié encore plus cette proximité. Comme on a pu le constater à plusieurs reprises, le travail de divulgation passe par les policiers syndicalistes. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les syndicats de la police s’inquiètent autant que les journalistes des dispositions du projet de loi relatif à la répression des agressions commises contre les forces armées, dont les articles 6 et 7 condamnent toute personne ayant divulgué une information relative à la sécurité nationale à 10 ans de prison et 50 mille dinars d’amende.

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En tous cas, à entendre le lapsus volontaire du ministre de l’Intérieur Najem Gharsalli, il parait qu’il y a un choix à faire, pour les journalistes, entre être des partenaires du ministre de l’Intérieur ou être des professionnel. Lors de son audition devant la commission de Législation Générale de l’ARP, l’ancien juge prévenait :