Écrit par Khawla Euchi, traduit de l’arabe par Henda Chennaoui.

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L’enseignement était, depuis toujours, considéré comme un élément essentiel de valorisation et d’encadrement des ressources dans tous les domaines. Depuis l’indépendance, le secteur de l’enseignement et de l’éducation a connu divers changements et réformes qui n’ont pas réussi, pour la plupart, à améliorer efficacement le système éducatif. Ces réformes improvisées ont contribué à l’affaiblissement de l’éducation. Les expériences précédentes n’ont fait qu’augmenter le taux d’abandon et d’échec scolaires.

Depuis le 14 janvier 2011, les tentatives de réformes dans le système éducatif étaient timides et limitées. Durant les quatre dernières années, les gouvernements successifs ont relégué l’éducation en bas de l’échelle de leur priorités législatives et exécutives. La faiblesse du système éducatif, la montée de la violence dans les établissements scolaires, les grèves des enseignants pour des revendications salariales et le misérable état de l’infrastructure des établissements éducatifs surtout dans les régions, sont des éléments qui ont fortement contribué au recul du niveau général du système éducatif. Cette situation impose l’accélération du processus de la réforme des structures et des pédagogies éducatives.

Différents problèmes et des conséquences catastrophiques

En 1955, le ministère de l’Éducation nationale a été crée et géré par plusieurs penseurs et intellectuels tunisiens comme Mahmoud Messaidi et Mohamed Charfi. Les partisans de la pensée Bourguibiste, insistent sur ses réalisations en matière d’éducation et d’enseignement. À son époque, où les écoles ont été bâties sur tout le territoire tunisien, le modèle tunisien a été marqué par plusieurs mesures progressistes comme l’obligation et la gratuité de l’éducation jusqu’à un âge défini par la loi.

Cependant, sous le régime de Ben Ali, l’évolution du système éducatif a été freinée par la corruption ambiante qui a touché tous les secteurs du pays. Les programmes de réformes improvisés ont vidé l’éducation de sa force et ont transformé les institutions éducatives à des couveuses produisant des milliers de diplômés sans compétences surtout après le rachat de 25% du baccalauréat.

Habib Messahli, enseignant en secondaire, a affirmé que le système éducatif de l’enseignement de base imposé par Ben Ali, dans les années 90, est parmi les facteurs qui ont contribué le plus à l’échec des générations successives d’élèves.

Ce système basé sur le passage automatique d’un niveau scolaire à un autre et qui a annulé le concours de la sixième année et de la neuvième année a multiplié le nombre des élèves qui réussissent sans la moindre qualification éducative. Les programmes éducatifs sont importés de l’Europe sans aucun ajustement personnalisé. Les matières sont très nombreuses et ne sont pas adaptées au temps nécessaire à les étudier. Les élèves sont dispersés entre les nombreuses matières et n’ont pas le temps pour passer aux travaux pratiques…Ces problématiques concernent le secondaire et le primaire. Les élèves sont obligés de passer des examens d’évaluation où le seul critère de réussite est de réciter et d’apprendre les programmes par cœur. Seulement, les meilleurs élèves ont la chance d’avoir une meilleure éducation dans les sections scientifiques. Les autres, ils font recours aux cours particuliers.

L’absence de la culture et du divertissement a laissé une grande place à la violence dans les milieux scolaires. La direction de l’enseignement et de la vie scolaire du cycle primaire a enregistré, dans une étude récente, 8500 agressions verbales et physiques commises par les élèves durant le premier trimestre de 2014. L’étude explique cette violence par la vague de tricherie dans les examens ainsi que la consommation de l’alcool et des drogues dans les établissements éducatifs et l’absence d’un encadrement éducatif et familial efficace. La cellule des sciences des crimes du centre des études juridiques en Tunisie, a annoncé, dernièrement, que 57% des adolescents entre 13 et 18 ans sont consommateurs de drogues. La direction de la santé scolaire a indiqué, dans un rapport récent, que le pourcentage des élèves qui ont essayé les drogues varient entre 61,1% chez les garçons et 40,9% chez les filles.

Le suicide s’ajoute à la longue liste des problématiques dans les milieux scolaires. Ce nouveau phénomène touche, principalement, des régions de l’intérieur comme Kairouan qui a enregistré cinq suicides de jeunes filles de 16 ans. Le Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux a enregistré six tentatives de suicide dans des écoles secondaires. Tous ces cas enregistrés de suicide ont un trait commun. En effet, le manque d’encadrement et l’absence même des besoins essentiels comme l’eau potable, les toilettes, les salles de classe, la nourriture, le transport public et la sécurité ont contribué au développement du phénomène du suicide.

Le sectaire général du syndicat de l’enseignement secondaire, Lassed Yakoubi a souligné, dans ce contexte, le nombre croissant des élèves qui abandonnent l’école. Durant une conférence de presse, il a annoncé que 120 mille élèves ont quitté les bancs de l’école et du lycée durant l’année scolaire 2013-2014. Yakoubi a accusé le ministère de l’Éducation en indiquant sa passivité dans le traitement et la lutte contre l’abandon scolaire. Néanmoins, ces syndicats de l’enseignement, eux-mêmes, se limitent à critiquer la situation actuelle et à accuser le ministère de tutelle. Ce cercle vicieux d’accusations mutuelles ne permet pas un sérieux dialogue sur les différentes problématiques de l’enseignement. Aucune des deux parties, n’a, jusqu’alors, appelé à une réflexion commune sur une stratégie de réformes du secteur de l’éducation.

Le dialogue des sourds entre le ministère et le syndicat

Après l’aboutissement de la grève de l’enseignement secondaire par la signature d’un accord d’augmentation salariale, l’enseignement de base a entamé des nouvelles négociations avec le ministère de l’Éducation pour des revendications salariales et les mécanismes de la retraite. Depuis janvier 2014, les négociations entre le ministère et les syndicats ont été marquées par la radicalisation des actions des syndicats. Durant les dernières années, les enseignants ont effectué plusieurs grèves allant jusqu’à annuler des examens, ce qui a influencé sur la concentration des élèves surtout ceux du baccalauréat.

Face à la colère et l’indignation des élèves et leurs parents, le ministère de l’Éducation renvoie la balle au syndicat. Neji Jaloul, ministre de l’éducation nous explique que :

Le ministère essaye d’orienter son budget vers les régions rurales pour améliorer les conditions précaires des établissements scolaires. Nous appelons le syndicat à retarder ses demandes salariales et se focaliser sur l’urgence de réformer les programmes scolaires et l’encadrement des élèves qui risquent la délinquance, le suicide et l’abandon scolaire.

De son côté, Lassed Yakoubi, secrétaire général du syndicat de l’enseignement secondaire, affirme que « la réforme de l’éducation ne peut pas avoir lieu sans la garantie d’une vie descente aux enseignants. Les revendications des enseignants sont légitimes et il est hors de question de les négliger sous prétexte d’autres exigences. Le syndicat a des sérieuses propositions pour résoudre la majorité des problèmes de l’éducation mais nous attendons que le ministère nous écoute et ouvre un dialogue sincère et horizontal avec les enseignants ».

Concernant les répercussions de la grève des enseignants et les éventuelles solutions pour sortir de la crise, le porte-parole du ministère de l’Éducation, Mokhtar Al Khalfaoui, nous explique que :

Le ministère va fusionner les examens du 2ème et 3ème trimestre dans une seule session. Pour le concours de baccalauréat, nous allons faire un programme de rattrapage afin que les élèves puissent passer leurs examens dans les meilleures conditions. Concernant le moyen et le long terme, le ministère est en train de faire les préparatifs d’un dialogue national sur l’éducation qui débutera le 23 avril. En plus, nous allons commencer, très bientôt, un programme de soutien aux établissements scolaires dans les régions rurales et dans les frontières par l’amélioration de la qualité des services de nourriture, transport et autres.

Durant sa dernière conférence de presse, mardi 14 avril, le directeur de l’Institut National des Statistiques, monsieur Hedi Al Saidi, a annoncé que le taux de l’analphabétisme enregistré en 2014 est de 18,8%. Cette nette régression par rapport à l’année de 2004 où l’analphabétisme était de 23,3% n’empêche pas de constater que le système éducatif tunisien souffre énormément surtout en comparaison avec les pays développés. Devant ce chaos régnant et ces chiffres alarmants, le gouvernement actuel sera-t-il capable de fixer les bonnes priorités du secteur de l’éducation ou restera-t-il coincé dans les conflits stériles avec les syndicats de l’enseignement ?