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Au lendemain de l’attentat du musée du Bardo, il s’avère que la coopération proposée par le gouvernement français au « pays qui a engagé le printemps arabe » vise des contrats financiers en matière de sécurité et de renseignement, de plus est, payés par un tiers, à savoir les Emirats Arabes Unis. Quant aux dettes tunisiennes, il ne s’agit nullement de les éponger, aussi odieuses soient-elles, mais de faire semblant de les convertir à nouveau pour les beaux yeux de la Tunisie. A quelques exceptions près, le traitement médiatique français de ce ratage politique annoncé fut étonnamment consensuel.

Lors de sa visite d’Etat, entamée le mardi 7 avril à Paris, le président tunisien a clairement exprimé l’urgence d’un soutien essentiellement économique et politique à une Tunisie exsangue :

Nos acquis ne sauraient occulter les graves dangers qui risquent de grever le processus de transition démocratique. La situation économique et sociale du pays s’est dégradée. Les finances publiques ont été déséquilibrées. La croissance s’est affaiblie. L’investissement privé s’est ralentie. Et le taux de chômage a fortement augmenté. Les exemples historiques sont nombreux qui démontrent que des révolutions échouent par dégradation de leur situation socio-économique
Discours de Béji Caid Essebsi devant le Sénat français le 7 avril 2015.

Or, d’évidence, la litanie sécuritaire de l’Hexagone ne coïncide pas avec « les multiples façons d’une coopération exemplaire » évoquées par le président Hollande. Pour l’historienne Sophie Bessis, si la France s’intéresse à l’aspect financier de cette coopération, « ce serait la vider de son sens  ».

Réveillant de mauvais souvenirs, la démarche française suscite un malaise et des interrogations. Déjà, à la veille de son déplacement en France, le président tunisien niait, dans une interview, son intention de demander une aide sécuritaire à Paris, réagissant, sans doute, au traitement de l’épisode du Bardo par des médias français unanimistes qui ont repris en chœur le discours sécuritaire officiel. Mais, comme le dit si bien Noam Chomsky, « en général, la planète apparaît sous un autre jour selon qu’on tient depuis longtemps le fouet ou selon qu’on en a subi les coups pendant des siècles ».

La « shopping list » tuniso-franco-émiratie

Quelques jours après le drame du Bardo, le Figaro révélait le financement émirati d’équipements français destinés à la Tunisie. Annoncée le 3 mars par Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, devant la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées de l’Assemblée nationale française, cette « coopération trilatérale », serait à moindre échelle que le contrat DONAS conclu avec les Libanais, et ce « afin d’aider les forces armées tunisiennes à renforcer leur capacité de lutte contre le terrorisme, en particulier pour ce qui est des forces spéciales ». Le ministre ajoutant, qu’au vu de la vétusté de leur matériel, les besoins des forces armées tunisiennes concernent surtout « les blindés (insuffisamment protégés contre la menace des engins explosifs improvisés), l’aviation (quelques F-5 modernisés) et le renseignement ».

Cependant, le média du groupe Dassault objecte, d’après la déclaration d’un diplomate, que « les Émiriens sont sceptiques sur la capacité de Tunis à gérer l’affaire », étant donné qu’elle « voudrait gérer le pactole pour décider ensuite de ses besoins. Et ceux-là ne sont pas nécessairement français ». Pour rappel, en 2010, il était question de livrer à la Tunisie des hélicoptères Caracal, mais le contrat n’a pas abouti. La Tunisie ayant préféré acheter des Black Hawks américains.

En réalité, de tels partenariats ont été mis en route, en 2014, lors du lancement du premier « dialogue stratégique » entre les Etats Unis et la Tunisie, mais aussi l’Algérie et le Maroc. Le retour de la France dans le giron de l’OTAN, faisant d’elle “un appui pour la Tunisie en Europe“. En outre, Barack Obama a invité Beji Caïd Essebsi à se rendre à Washington, en mai prochain.

Estimée à « quelques centaines de millions d’euros », la « shopping list » tuniso-franco-émiratie est, en tous cas, loin d’égaler le contrat DONAS, financée par l’Arabie Saoudite, pour une livraison d’équipements français à l’armée libanaise pour 2,4 milliards d’euros d’armement. Ou encore le contrat conclu avec l’Egypte, en février dernier, à 5,2 milliards d’euros, pour la vente notamment de vingt-quatre avions de combat Rafales produits par Dassault. En revanche, plus complaisante fut la démarche de la France auprès du Maroc en vue de rétablir la coopération en matière de renseignement.

Mais bien évidemment, dans un marché mondial de plus en plus concurrentiel, tous ces contrats sont une aubaine pour l’industrie de l’armement made in France, qui « pourrait, avec ces exportations, dépasser, en 2015, très certainement le cap des 10 milliards ». Alors même que les armées françaises accusent, en 2015, un déficit budgétaires de 3 milliards, qui comprend 2,2 milliards d’équipements et 800 millions liés aux fameuses Opex (opérations extérieures) avec 9000 hommes déployés sur tous les fronts.

Lors d’une conférence de presse donnée en Tunisie, vingt-quatre après l’attentat du Bardo, Bernard Cazeneuve avait éludé les questions sur le juge antiterroriste et les officiers du renseignement appelés à mener l’enquête à Tunis. Le ministre affirmant que c’était “prématuré”. Mais le 20 mars dernier sur BFM TV, le responsable français se lâche au cours d’une interview avec Ruth Elkrief. Celle-ci lui demandait, notamment, si « trois ans après la tuerie de Merah, … avec le recul, on n’a pas vraiment tiré suffisamment de leçons de cette attaque qui en a annoncé finalement tant d’autres ». Alors même que les failles de l’affaire Merah avait soulevé des doutes de la justice et de la presse sur une possible manipulation par les services secrets français, la question de la journaliste pose maladroitement les risques d’un renseignement agissant sans l’autorité des juges. Précisèment, au moment où la France veut faire voter un projet de loi polémique sur le renseignement, venant compléter l’arsenal juridique d’une loi de lutte contre le terrorisme, des militants tunisiens craignent que l’exemple français ne soit contagieux. D’autant que ce fameux texte sur le renseignement permet des « interprétations extensives qui pourraient être utilisées à l’encontre des mouvements sociaux ».

Le pot-aux-roses de la dette … odieuse

Pour sa part, Mediapart mettait le doigt sur les vrais enjeux de cette coopération, en perçant le pot-aux-roses qui occulte le problème des dettes odieuses de la Tunisie. Ainsi, le président français a-t-il annoncé, lors de la visite d’Etat de Caid Essebsi, que « 60 millions d’euros de la dette tunisienne seront convertis en « projets d’investissement », ne faisant, ainsi, que “confirmer une promesse déjà faite en… juillet 2013 ! ».

En effet, François Hollande avait déjà annoncé, en juillet 2013, qu’ « une partie de la dette tunisienne serait converti en investissements d’un montant de 60 millions d’euros et l’octroi de 500 millions de prêts et de dons pour aider la transition démocratique dans ce pays. Prêts et dons en réalité déjà promis par Hollande et ses prédécesseurs ». Au vu du montant de la dette tunisienne envers la France, qui se monte à un milliard d’euros rappelle le journal, le geste du président français paraît absolument dérisoire.

Insuffisant, également, le moratoire proposé par Jean-Luc Melenchon, leader du Front de gauche, le 20 mars dernier, en écho au Forum Social Mondial tenu à Tunis, où cette question a tenu une place importante dans les débats. En effet, « en langage juridique, le moratoire est la décision prise par un créancier ou un tribunal d’accorder un délai à un débiteur pour assurer le règlement d’une dette ; le moratoire est accompagné d’une suspension des poursuites déjà engagées. Or, le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), affirme que « durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir. Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998 et de l’Équateur en 1999. » Pour rappel, la dette tunisienne globale gonfle d’année en année. Ainsi, en 2015, elle s’élève à 29,9 milliards de dinars, soit 53 % du PIB, contre 17,8 milliards de dinars en 2010, équivalents à 40 % du PIB alors que le budget de l’Etat en 2015 est de l’ordre de 28,9 milliards.

En outre, Mediapart revient sur la pression exercée par le collectif de militants et d’économistes tunisiens « Auditons les créances européennes envers la Tunisie (ACET) » qui dénonçait, en 2013, « l’activisme hystérique du système international financier dominateur ». Au lieu d’infléchir les responsables de l’époque, cette pression a poussé le secrétaire d’État aux finances Slim Besbes à retirer la proposition de loi sur l’audit de la dette de l’Assemblée constituante, violant par là-même, le principe démocratique de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Depuis, l’audit de la dette est restée lettre morte aux sourdes oreilles de nos élus.

On n’omettra pas de signaler que dans la rubrique de l’odieux, il y a aussi la restitution des biens mal acquis du Clan Ben Ali demeurée elle aussi en suspens, alors même qu’un magistrat de liaison français a été nommé en 2013, à Tunis, pour accélérer les procédures de récupération.