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Capture d’écran : L’émission « Sawt Al Charaa » sur Al Mutawassit Tv.

Quand une émission tv se fait appeler « Sawt Al Charaa », c’est qu’elle s’engage à transmettre à son audimat « la voix de la rue » (traduction littérale, ndlr), à savoir celle des citoyens par opposition à celle des orateurs ayant fréquemment accès aux tribunes publiques. Or, ce n’est pas le cas de l’émission éponyme diffusée, mardi soir, sur Al Mutawassit Tv. Il s’agit plutôt d’une interview d’une flagrante partialité.

L’invité est Maître Jamal Jebali, avocat du prédicateur islamique Habib Ben Tahar alias Bou Sarsar. Il est convié pour être interviewé au sujet du verdict rendu par la Cour d’Appel de Tunis à l’encontre du prêcheur. Condamné à trois mois de prison avec sursis pour incitation publique au meurtre et à une amende de 1000 dinars, Bou Sarsar a été poursuivi en justice par Béji Caid Essebsi, le 28 mars 2012. A l’époque, l’actuel Président de la République a déposé une plainte en réaction à un discours donné par le prédicateur à l’Avenue Bourguiba le 25 mars 2012 et relayé sur les réseaux sociaux.

«Artefact» et problématique rhétorique

Pour argumenter le choix de son sujet, la présentatrice se réfugie derrière un prétendu «grand intérêt de l’opinion publique pour l’affaire». Ainsi, l’usage de «l’opinion publique» n’est qu’un simple prétexte, un «artefact» comme l’expliquait l’éminent sociologue français Pierre Bourdieu.

« Est-ce que la magistrature émet des verdicts purement juridiques ou est-elle influencée par les changements politiques ? », telle est la problématique annoncée par l’animatrice au début de l’émission. S’assimilant plutôt à une question rhétorique vu le choix de l’invité et du sujet, la couleur est annoncée dès la première minute de l’émission. Et ce n’est pas la première question posée à Maître Jebali qui la fera changer. Ni la deuxième, la troisième… ou la huitième.

Interviewé aux multiples casquettes

C’est qu’en suivant l’interview, il est difficile de savoir en quelle qualité s’exprime l’interviewé. Les questions qui lui sont posées sur l’argumentaire juridique du verdict sont plutôt à adresser à un représentant de la Cour d’Appel. Pas difficile à trouver quand on sait que l’agence Tunis Afrique Presse a recueilli des déclarations de son porte-parole M. Karim Chebbi, au lendemain de l’annonce du verdict.

Maître Jebali n’est ainsi donc pas uniquement présent pour plaider la cause de son client voire même de dénoncer des abus à son encontre. Il est aussi une référence cognitive sous sa casquette de juriste qui explique la situation sans contradicteur, comme s’il était un conseiller juridique au service de la rédaction.

A travers ses questions adressées à la mauvaise personne, l’animatrice enfilera à Maître Jebali diverses casquettes à porter. De quoi brouiller l’identité de l’interviewés et lui donner des pouvoirs étendus dans son rapport avec les téléspectateurs. Une confusion consolidée par la longue absence du carton introducteur de l’invité.

De la fausse interactivité

Il a fallu attendre 17 minutes d’interview précédées par une synthèse introductive de 2 minutes pour que les auditeurs interviennent par téléphone. Compteur en marche, chacun a 1 minute et demie. A part le droit de réponse en rapport avec l’épisode précédent, 5 sur 7 interventions ont contesté le retour de l’ancien régime, le ciblage des prédicateurs, l’instrumentalisation de la justice et le rejet de l’identité arabo-musulmane. Des éléments de langage récurrents chez l’invité tribun. Un des deux autres intervenants a condamné le verdict tout en reprochant au prédicateur Bou Sarsar l’irresponsabilité de ses propos. L’appel d’un enseignant de droit représente la seule et unique opinion divergente. Il durera environ 5 minutes. Maître Jebali réagira à toutes les interventions cumulant un temps de parole d’environ 40 minutes dans cette émission d’une durée totale de 58 minutes.

Du choix du sujet et de la problématique à la direction de l’interview en passant le conducteur de l’émission, « Sawt Al Charaa » a tourné le dos à toutes les balises journalistiques pouvant garantir un minimum d’objectivité. De quoi engouffrer Al Mutawassit dans son déficit de taux d’audimat parce que les émissions à sens unique ne risque pas d’attirer plus que l’intérêt des téléspectateurs partisans de la voie qu’elles indiquent.