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« Comment jugez-vous la situation actuelle de la femme tunisienne ? »
C’est ainsi que l’association TOUNISIYETT a commencé la table ronde organisée samedi 31 janvier 2015 à Tunis.

Cet évènement fait partie du programme « The Women Policy Center » (WPC) connu sous le nom de « HEYA pour soutenir la femme leader ».

« HEYA » est un programme régional financé par l’Agence Suédoise de coopération Internationale du Développement (SIDA) et mis en œuvre par l’Académie du Développement International au Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA-AID) dans le but d’encourager la participation des femmes dans les affaires publiques en luttant contre toute discrimination de genre dans la région MENA.
On était une vingtaine de femmes, âgées entre 24 et 60 ans, à répondre à cette première question.
Je savais d’avance que les participantes vont mettre l’accent sur l’oppression de la femme en Tunisie, qu’elles vont probablement dramatiser sa situation et diaboliser les hommes. Chose qui ne me convient pas. Je n’ai jamais aimé l’image de la femme victime et de l’homme coupable. J’ai donc essayé de mettre la lumière sur les acquis de la femme tunisienne, sur la brillance internationale de certaines d’entre elles dans plusieurs domaines différents et j’ai parlé de celles qui ont su faire l’exception.

Mon but consistait à pousser les participantes à se remettre en question et à essayer de voir les choses autrement. Je voulais les responsabiliser de leurs situations actuelles, sans non plus nier le rôle de la société dans la discrimination de genre. Les mots clés sont « la peur », « l’habitude » et « la non-reconnaissance ».

Les réponses à la question posée au début m’ont aidé à comprendre les causes qui nous empêchent encore d’accepter la Femme en tant qu’un être humain, totalement indépendant, responsable de lui même et égal à l’homme du point de vue rêves, droits, devoirs, liberté et citoyenneté.

La majorité des interventions réclamait l’Etat et les hommes à offrir aux femmes leurs droits et reconnaitre leurs efforts. Rares sont celles qui ont été prêtes à arracher ses libertés peu importe les obstacles qu’elles peuvent rencontrer. Certaines d’entre elles sont même convaincues qu’elles sont complémentaires aux hommes, qu’elles doivent vivre pour les autres et que Dieu les a créées pour s’occuper de leurs familles, pour être sœur, mère et épouse. Tout le reste vient en priorité secondaire, ou jamais. Bien évidemment, je n’étais pas du tout d’accord.

Une femme peut bien choisir d’avoir une famille et de se consacrer pour elle mais elle peut aussi choisir d’autres voies. Ceci doit être un choix personnel, une décision et non pas une obligation ou un sacrifice. Ce qu’une personne décide de faire de sa vie ne doit dépendre que d’elle-même, peu importe son sexe, peu importe ses racines et peu importe sa religion.

A vrai dire, je n’ai jamais entendu un homme dire qu’il a été né pour être frère, père et époux. Et pourtant, il n’ y’a pas de mère sans père, ni d’épouse sans époux. La nature semble être juste. Mais les sociétés de le sont pas. L’éducation des femmes et des hommes n’est pas la même et l’attribution des rôles aux deux genres est loin d’être juste.

Citons quelques chiffres : la majorité des personnes les plus pauvres du monde sont des femmes. Oui, la pauvreté a désormais un sexe. Plus qu’un tiers des heures de travail effectuées dans le monde le sont par des femmes et elles produisent la moitié des aliments de la planète, pourtant, elles ne gagnent que 10 % des revenus mondiaux, et pire, elles détiennent moins de 1% des propriétés du globe. Les hommes détiennent alors 99% du patrimoine mondial.

Le déséquilibre entre ce que les femmes sèment et ce qu’elles récoltent est terrifiant mais explicable. Cette différence s’explique notamment parce que les femmes sont plus nombreuses à travailler à temps partiel et dans des secteurs moins bien rémunérés. Mais aussi, ceci s’explique par le fait que les femmes vivent pour les autres. Une femme dépense ses revenues pour le bien de ses enfants ou pour aider son mari à acheter des biens dont il sera généralement le seul propriétaire légal.

En Tunisie, la nouvelle constitution introduit pour la première fois dans le monde arabe un objectif de parité hommes-femmes dans les assemblées élues. Deux articles de la constitution tunisienne retiennent spécialement l’attention :

a) l’article 20 qui énonce que « Les citoyens et les citoyennes, sont égaux en droits et devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune.»

b) l’article 45 ainsi rédigé : « L’Etat garantit la protection des droits de la femme et soutient ses acquis. L’État garantit l’égalité des chances entre la femme et l’homme pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines. L’Etat œuvre pour réaliser la parité entre la femme et l’homme dans les conseils élus. L’Etat prend les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre la femme. »

Les textes juridiques sont donc globalement satisfaisants. Et pourtant, la situation des femmes ne semble pas changer positivement après les révolutions arabes. Consacrer les droits n’est pas suffisant, encore faut-il garantir aux femmes qu’elles peuvent les faire valoir en justice et que ceux qui les enfreignent seront condamnés. L’hypothèse est encore trop rare, rendant les réformes évoquées trop souvent cosmétiques.

Aujourd’hui, en Tunisie, ils existent des femmes qui n’ont pas le droit à l’héritage parce que, selon leur éducation et leur milieu, il est très égoïste de vouloir prendre ce qui est « naturellement » réservé aux hommes.

« Les hommes avant. Les femmes après ou … jamais.»

Ceci n’est certes pas explicite ou officiel, mais c’est très visible et même mentionné par les statistiques. Les femmes n’ont pas beaucoup de chances pour accéder à des postes de responsabilité, peu importe leur compétence et leur qualification. Les hommes d’abord, ou alors les femmes parrainées par des hommes (l’exemple de L’ANC est très révélateur), on préfère une femme avec zéro compétence, mais parrainée, à une femme compétente. (Je sais que vous êtes capables de trouver les exemples tous seuls). C’est une réalité amère qu’il faut condamner.

Le pire est que ce sont des femmes qui alimentent cette inégalité par l’éducation qu’elles offrent à leurs enfants. A la naissance, une fille n’est pas davantage capable qu’un garçon de passer la serpillère, et un garçon n’est pas plus doué pour piloter un avion qu’une fille. Il existe des différences, physiques notamment : hommes et femmes n’ont pas la même musculature par exemple. Mais aujourd’hui, les métiers où la force physique compte sont de moins en moins nombreux. La différence physique devrait donc avoir moins d’impact sur la répartition des emplois. Et bizarrement, à la maison, ce sont les femmes – censées être moins fortes – qui font les tâches les plus fatigantes. Les efforts des femmes sont invisibles, parce qu’entre autres, les femmes ne valorisent pas ce qu’elles produisent, ont peur de s’exprimer librement et encore plus grave, elles ont même peur de penser autrement. Ce qui empêche les femmes d’avancer, d’exceller et d’arracher les postes de pouvoir n’est pas l’absence des lois ni des compétences. C’est l’absence de courage. C’est la peur et c’est la mauvaise éducation.

Il reste à dire que la Tunisie demeure incapable de s’épanouir socialement et économiquement sans que la situation des femmes s’améliore et que cette situation est un excellent indicateur pour mesurer le progrès d’une société. Certes, les femmes ne sont pas toutes féministes et les hommes ne sont pas tous machos. Si aujourd’hui, je n’ai pas peur de penser ce que je veux, de le dire à haute voix et de traverser ce chemin dur pour réaliser mes rêves, c’est, en partie, grâce à un père qui a illuminé mon esprit, qui a cru et croit toujours en moi et qui ne m’a jamais interdit d’être ce que je suis réèllement.

Historiquement, les femmes et les filles ont été les fers de lance de la lutte contre les inégalités entre les sexes. De plus en plus, cependant, le monde est forcé de reconnaître que pour atteindre l’égalité des sexes, nous avons besoin de la participation active de tous les segments de la société et que les hommes et les garçons ont un rôle crucial à jouer, explique Sam Kutesa, le 69ième Président de l’Assemblée générale de l’ONU.

Je lance alors un appel aux hommes pour prendre part à la lutte contre l’obscurantisme, l’ignorance, la discrimination sous toutes ses formes et surtout contre l’inégalité des sexes. La valeur des hommes réside en ce qu’ils sont réellement et non pas en ce qu’ils préfèrent croire qu’ils le sont. Il ne peut avoir une révolution à grande échelle sans qu’il y’ait une révolution personnelle, sur une échelle individuelle. La révolution doit avoir lieu dans les esprits avant. Prenez les mains de vos mères, soeurs, filles, amies, épouses, non pas pour leur mettre encore plus d’obstacles mais plutôt pour les pousser voir les guider vers leurs rêves.

Hommes et femmes de mon pays, libérons-nous de nos peurs.