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Habib Essid

 

Et la montagne accoucha d’une souris… est-on tenté de commenter au terme de trois semaines de gestation, à la découverte vendredi de la composition du gouvernement du très peu charismatique Habib Essid. Un gouvernement insipide, aux choix incompréhensibles, où Nidaa Tounes et l’UPL se partagent le pouvoir aux côtés de « compétences », et où la technocratie est toujours de mise après des élections législatives libres. Le pays fait un net pas en arrière vers le régime présidentialiste, avec intégration d’un parti de l’argent roi. Déjà controversée aux yeux de l’opinion publique, la nouvelle équipe gouvernementale est politiquement affaiblie dimanche par la décision d’Ennahdha de ne pas la soutenir.

Dilemme arithmétique

C’est ce qu’a finalement annoncé le 25 janvier le conseil de la Choura, en prévision du vote de confiance en séance plénière mercredi prochain. Une décision qui vient anéantir le semblant de logique qui restait au choix d’Habib Essid lui-même, homme de la jonction entre Nidaa Tounes et Ennahdha… A quoi bon le maintenir en effet, s’il part avec le handicap des 69 députés Ennahdha a priori contre sa politique ?

Si elle venait à passer malgré tout, son équipe nécessiterait probablement le concours des voix d’Afek Tounes. Or, ce dernier n’a pas accepté le maigre butin qui lui fut proposé in extremis : deux ministères et un secrétariat d’Etat. Arithmétiquement, 86 voix Nidaa (sous réserve d’unanimité) additionnés aux 16 voix de l’UPL, donnent 102 sièges, soit 7 voix de moins que le chiffre magique de 109 nécessaire à la majorité.

S’il passe grâce aux 8 voix d’Afek, le gouvernement Essid entrerait dans l’histoire comme étant le plus néolibéral qui soit, avec l’aval de ce que l’Assemblée compte de plus économiquement à droite (UPL – Afek – Nidaa). S’il passe, et c’est le plus vraisemblable, via le vote des quelques indépendants ralliés à Nidaa Tounes (qui se targue de la loyauté d’environ 120 élus en comptant les « sièges satellites »), le gouvernement n’en serait pas beaucoup moins faible, à la merci de la moindre motion de censure. Une épée de Damoclès qui le fragiliserait, mettant le pays sur la voie du scénario italien de l’instabilité institutionnelle. Et ce n’est d’ailleurs pas là le seul point commun avec l’Italie voisine…

Nejib Derouiche, le vice-président de l'Union Patriotique Libre (UPL),  vient d'être nommé ministre du Développement, de l'investissement et de la coopération.
Nejib Derouiche, vice-président de l’Union Patriotique Libre (UPL), vient d’être nommé ministre du Développement, de l’investissement et de la coopération. (Photo : Seif Soudani).

 

Consécration du berlusconisme à la tunisienne

Comme pour corroborer l’impression d’opacité qui entoure les alliances non déclarées entre Nidaa Tounes et certains partis, L’UPL avait claqué la porte des pourparlers 24 heures avant l’annonce du nouveau gouvernement, pour revenir à la dernière minute à la table des négociations de Dar Dhiafa.

C’est que Slim Riahi y tenait vraiment à ces trois postes ministériels : le Tourisme (Mohsen Hassen), le Développement (Néjib Derouiche) et les Sports (Maher Ben Dhia). Selon ses propres déclarations récentes, le milliardaire compte bientôt investir dans les secteurs du tourisme et du sport, qui font précisément partie des portefeuilles ministériels convoités puis obtenus par son parti…

Tour à tour numéro deux et numéro trois du parti ayant tous occupé les postes de porte-parole et de vice-président de l’UPL, les trois hommes sont avant tout des hommes de main de Slim Riahi, surtout Néjib Derouiche, son bras droit et ancien directeur général de Tunisia Holding acquise par Riahi dès février 2011, devenu un temps célèbre sur les réseaux sociaux à travers un soporifique spot de campagne.

Lorsque, la même année, le président de l’UPL ouvrait le parti aux adhésions, il ne pensait probablement pas que quatre ans après la révolution de la dignité, et un peu plus d’un an après la « rencontre de Paris », il deviendrait l’un des détenteurs du pouvoir politique du pays en si peu de temps, en plus d’en être la plus grande fortune.

Avec d’autres milliardaires comme Salma Rekik Elloumi (Nidaa Tounes) à l’Emploi et la Formation professionnelle, les ministres UPL ne seront pas seuls à faire se côtoyer « le fric et la politique ».

Ministères régaliens, la patate chaude, avec une discrète mainmise de Nidaa

Inconnu au bataillon, Mohamed Najem Gharsalli, étonnamment proposé à l’Intérieur, était gouverneur de Mahdia depuis le gouvernement Béji Caïd Essbsi où il est resté indéboulonnable contrairement à ses pairs. Ancien juge cantonal à Gafsa, il a fait l’essentiel de sa carrière de magistrat (26 ans) à Kasserine où son bilan fait l’objet de poursuites devant la justice transitionnelle. En 2011, il avait décliné ce même poste de ministre de l’Intérieur sous gouvernement Mohamed Ghannouchi. Exit donc Ridha Sfar, pourtant pressenti pour être promu au sein de la « dékhliyya ».

C’est Lassaad Derbez, autre « compétence sécuritaire » controversée, qui est proposé au secrétariat d’Etat chargé de la Sûreté. Décoré sous Ben Ali de la médaille du Travail en 2009, il est chargé de mission auprès de Mehdi Jomâa depuis mars 2014.

Plus problématique est le choix de Farhat Horchani à la Défense, secteur avec lequel il n’a absolument aucun lien, lui qui est juriste agrégé spécialiste en droit public, doyen de la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis, décrit comme « rigide » par ses étudiants. Sa désignation porte en revanche la signature de Yadh Ben Achour, selon plusieurs observateurs. Président de l’Association de droit constitutionnel, ancien président de la sous-commission des élections relevant de la Commission nationale de la réforme politique et de la transition démocratique, il n’a en théorie pas de coloration politique à proprement parler.

Mais Horchani s’est de facto rapproché du camp Nidaa Tounes au gré de ses prises de position publiques, dont son opposition à la loi d’immunisation de la révolution et plus récemment sa position en faveur de l’inaptitude constitutionnelle du président Moncef Marzouki à charger un nouveau chef de l’exécutif de former un gouvernement.

Autre juriste gravitant dans la constellation de Nidaa Tounes sans véritablement y entrer, Mohamed Salah Ben Aïssa est professeur agrégé en droit public, doyen de la FSJPST entre 2002 et 2008. Il est nommé secrétaire général du gouvernement le 1er juillet 2011, dans le cabinet de Béji Caïd Essebsi, en remplacement de Ridha Belhaj, directeur exécutif de Nidaa.

Jeu de chaises musicales

Avec Saïd Aïdi à la Santé, Habib Essid perpétue la tradition bénaliste, et avant cela bourguibiste, du jeu de chaises musicales en termes de multi-ministres que l’on fait circuler de ministère en ministère, en l’occurrence de l’Emploi en 2011 à la Santé aujourd’hui, après avoir été un transfuge du secteur privé.

En imposant la jeune sœur de Socrate Cherni au secrétariat d’Etat chargé des Martyrs et blessés de la révolution, parmi les neuf femmes du gouvernement, Nidaa Tounes persiste et signe dans la relecture idéologique de l’Histoire, en voulant coûte que coûte associer les martyrs de la révolution à ceux, plus récents, du terrorisme.

Seule embellie au tableau, Neila Chaâbane, connue pour son intégrité, nouvelle secrétaire d’Etat chargée des Biens confisqués et des Affaires foncières, si l’on passe outre l’étrange association des affaires foncières à la Justice, ministère rebaptisé pour l’occasion. Quant à Kamel Jendoubi, sa défense de Kamel Letaief dès 2012, puis sa campagne en faveur de Béji Caïd Essebsi aux dernières élections, rendront difficiles ses rapports avec les instances constitutionnelles desquelles on le charge.

Inutile de se perdre en conjectures et en théories du complot sur le scénario voulu par le tandem Essebsi – Essid (certains vont très loin en évoquant un auto sabotage en vue d’un second vote avec changement de configuration). Contre-sens symbolique, politique et social, le gouvernement Essid passera sans doute d’une courte tête. Quant à savoir s’il passera l’année, rien n’est moins sûr…