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Proposer des ateliers de théâtre à des adolescents sous protection judiciaire, c’est le défi que s’est donné l’association Culture for Citizenship, en partenariat avec l’espace Mass’Art. Reportage.

Ils ont entre 14 et 18 ans. Et en connaissent déjà un peu trop de la vie. Sous protection judiciaire, ces jeunes filles et garçons vivent au Centre de Protection Sociale des Enfants de Tunis (CPSET). Ce centre, créé en 2007, est chargé d’héberger et d’encadrer les enfants ou adolescents en difficultés (selon l’article 20 du code de la protection de l’enfant), et de prévoir un programme de réintégration familiale, éducative et professionnelle. Des histoires douloureuses, des parcours semés d’épines. Des visages marqués. Et pourtant. Sur scène, rien ne laisse penser que cette jeune fille, au regard vif, ou ce jeune homme, haut comme trois pommes, sont dans une situation de danger. La magie du théâtre. Car depuis septembre, ils sont au rendez-vous. « Pour rien au monde, ils ne manqueraient cet atelier », précise Lamia Gmati, une des psychologues du centre. « D’ailleurs, seuls ceux qui se sont bien comportés tout au long de la semaine ont le droit de venir, c’est notre contrat ».

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Donner le meilleur de soi-même

Au départ, ici et là, des réticences, de l’agitation, parfois de la méfiance. Puis, peu à peu, la confiance s’est installée. Les barrières imaginaires ont été surmontées. Beaucoup de rires ce jour-là. Et une volonté de donner le meilleur de soi-même. « Je n’ai pas fait cet exercice, c’est à mon tour maintenant », lance Ahmed. Personne n’a besoin de les supplier : aussitôt que les consignes sont données, ils se lancent. Le premier exercice de la journée consistait à marcher sur scène et à ralentir ou à accélérer en fonction des signes de l’animateur. A tour de rôle, les élèves prenaient les commandes. « C’est une façon de les responsabiliser et de leur dire qu’ils peuvent eux aussi gérer un groupe », explique Salah Hamouda qui anime les ateliers depuis le début de l’aventure.

La fierté se lit dans leurs yeux. Elle est confirmée par la psychologue :

Ils se sentent valorisés. Ces ateliers de théâtre sont une expérience totale : ils ont découvert de nouveaux lieux, de nouvelles relations, une nouvelle façon de s’exprimer… Un jeune qui évolue dans un contexte aussi violent que le leur a du mal à s’exprimer autrement que par l’agressivité. Or, je constate que le théâtre les a aidés à extérioriser leurs émotions et par conséquent, à mettre des mots sur leurs souffrances.

A la fin de l’atelier, Leïla témoigne : « Sur scène, je me sens totalement libre et heureuse ». Une liberté encadrée car comme l’explicite la psychologue, « ces ateliers sont aussi l’occasion de les aider à intégrer dans leur vie la notion de règle et à se discipliner ».

Ces changements ne se situent pas uniquement à l’échelle de l’individu, car le théâtre a bien un pouvoir fédérateur : il a permis de renforcer la cohésion du groupe. En effet, l’homme de théâtre qu’est Salah Hamouda a su mettre en avant la collaboration plutôt que la compétition, l’écoute et le respect de chacun, ainsi que la bonne articulation des énergies. Se découvrir soi-même et redécouvrir ses camarades, c’est aussi l’objectif des ateliers. « Le théâtre permet de changer le regard que l’on a sur soi et sur les autres », précise celui qui anime les ateliers depuis plusieurs années. « Ce sont eux qui écrivent les textes et qui font la mise en scène pour la pièce de fin d’année, ils sont donc obligés de se soutenir et de travailler ensemble pour arriver à bout du projet ».

Pour un théâtre social

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Une bouffée d’oxygène pour ces jeunes, souvent mis au banc de la société. Ici, le théâtre n’est donc plus une fin en soi, mais un moyen de briser les murs de l’exclusion. Et peut-être aussi, de montrer que le théâtre n’est pas un art réservé à une élite intellectuelle ou sociale. Salah Hamouda s’est inspiré du théâtre des opprimés, une méthode créée dans les années 70 par le metteur en scène brésilien Augusto Boal. L’objectif est d’aider à comprendre des situations d’oppression et d’explorer les chemins pour trouver une solution. L’idée est donc de mettre en scène des situations d’injustices ou de difficultés, jusque-là invisibles et d’utiliser le théâtre comme un moyen de connaissance et de transformation individuelle et collective.

Augusto Boal voulait également tourner le dos au « théâtre bourgeois », et permettre à ceux à qui on ne donne jamais la parole, de s’exprimer sur scène.

En travaillant avec les jeunes du CPSET, je réalise combien Augusto Boal avait raison ! Quand je vois leur implication et ce qu’il donne sur scène, je suis impressionné. Pourtant, je ne suis pas moins exigeant parce qu’ils sont en difficultés, confie Salah Hamouda.

Même son de cloche du côté des militants de l’association Culture For Citizenship, née en mai 2011 : « Au départ il y avait des petits problèmes de concentration, mais très vite, la puissance de la scène les a bouleversé. C’est parce qu’on parle d’eux, parce qu’ils sont au cœur de l’atelier, parce qu’ils se sentent enfin reconnus, et enfin, parce qu’on ne les juge pas, qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes », confirme Kaouther Mokaddem, présidente de l’association.

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Institutions et société civile : l’ère de la collaboration

D’ailleurs, d’autres Centres de Protection de l’Enfance ont souhaité collaborer avec l’association pour proposer aux enfants des ateliers artistiques. C’est dans le cadre du projet « Spark », qu’ils ont lancé des activités théâtrales qui visent à développer la créativité, la sensibilité, mais aussi à promouvoir la citoyenneté chez les jeunes tunisiens.

Nous voulons faire du Centre de protection sociale des enfants de Tunis un centre modèle, nous avons donc choisi de nous y consacrer pleinement. Malheureusement, nous ne pouvons pas répondre aux demandes des autres Centres, nous n’avons ni les ressources matérielles, ni les ressources humaines. Mais nous espérons que d’autres associations s’investiront dans ce champ.

Un succès dont se réjouit la jeune présidente, d’autant que cette aventure fut un véritable parcours du combattant. En effet, le CPSET est rattaché au Ministère des Affaires Sociales, et ne peut, par conséquent, s’engager dans une telle collaboration sans l’accord de ce dernier. D’ailleurs, à l’exception du théâtre, les autres activités artistiques (ateliers de contes, de bandes dessinées, de danse) se déroulent au sein même du CPSET. « Nous avons dû les convaincre dans la mesure où nous devions composer avec les objectifs du Ministère et faire face aux procédures administratives. La première difficulté a été d’établir une relation de confiance avec les responsables du centre, car c’était la première fois qu’une association proposait de s’investir de cette manière », indique Kaouther Mokaddem. Cette initiative démontre avec force que la culture, loin d’être uniquement un instrument de divertissement, est surtout une voie d’épanouissement social.

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