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Les femmes de ménage, on les voit dans les maisons, dans les stations de bus le matin, les plus jeunes sortent le dimanche pour se reposer d’une vie confisquée par l’exploitation et la pauvreté. Elles sont les abandonnées de la législation, les oubliées du code du travail, plus de 90% ne sont pas protégées, comme Aljia, qui se retrouve dans la rue une nuit de décembre.

Aljia a la quarantaine, elle a un sac en plastique blanc, un sac à main bleu, et une faim de loup. Elle n’osera pas parler de sa situation directement. D’abord, nerveuse, elle commence par les politesses, elle philosophe sur la vie en quelques mots : « la vie c’est moche. » Elle ne bougera pas de sa chaise, sourira pour ne pas se sentir mal, et puis se lancera dans son récit par une phrase : « Le nouvel an c’est dimanche ? ». Elle parle du jour des élections présidentielles.

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J’aurais aimé aller à l’école, j’aurais travaillé dans une usine, mais mon père on a décidé autrement, que Dieu lui pardonne. Je suis dans la rue, je n’ai pas où dormir, j’ai besoin d’une seule chambre, et d’un salaire. Je marche tout le temps, pour faire semblant d’avoir quelque part où aller, parfois je me dis que je mourais debout en marchant dans la rue.

32% des filles qui travaillent dans les maisons ne sont jamais allées à l’école, ce qui font d’elles des cibles pour toutes sortes d’injustices, vue l’ignorance totale de leurs droits entant que citoyennes et travailleuses. Comme 43% des filles, Aljia s’occupe de sa famille et de sa soeur malade. Sa famille habite à quelques kilomètres de Jandouba. Rentrer au village est une dépense inutile pour Aljia, il faut qu’elle reste au centre pour travailler et avoir de quoi soigner sa soeur, femme de ménage aussi, qui après un accident de travail s’est retrouvée à l’hôpital , et ne peut plus travailler. Son père, me dit-elle, n’a pas droit au 120 Dinars , pension accordée par l’état, le cheikh et un fonctionnaire de la municipalité considèrent que Aljia a un revenu, donc elle peut subvenir aux besoins de ses parents. C’est ainsi qu’avec ses 250 DT, son dernier salaire, elle a entretenu sa famille.

Cela fait un an que je suis comme ça, entre Tunis et Jandouba. Ma soeur sombre peu à peu, et nous demande de lui couper sa jambe qui lui fait trop mal, elle ne mange plus. Mon père lui a même acheté de l’escalope, et de la viande, mais elle se laisse mourir en refusant de manger. L’hospitalisation coûte beaucoup d’argent. En allant la voir je lui achète une bouteille d’eau et une bouteille de boisson gazeuse, cela fait 2 dinars, ensuite le transport c’est à 5 dinars, pour le déjeuner je prends un quart de poulet; on est déjà à 10 dinars.

Aljia comme d’autres me dira, qu’au temps de Ben Ali, elle vivait pauvre mais le ventre rempli, aujourd’hui après la « guerre » du 14 janvier, il lui arrive de ne pas manger. Pour la première fois la révolution est perçue comme une guerre, ce mot est sorti de sa bouche naturellement, une guerre contre Ben Ali, une guerre contre une vie plus facile et sans problèmes. Aljia est nostalgique d’une époque, où elle pouvait s’échapper de son quotidien parfumé à l’eau de Javel, en se faisant plaisir avec ses achats.

Je les vois les autres filles qui travaillent dans les maisons, elles sortent, elles se maquillent; moi j’ai raté ma vie, j’ai plus de dents, je n’ai même pas de quoi soigner ma bouche, je suis allée au dentiste une seule fois, si j’avais un mari, ma vie aurait été plus facile, maintenant c’est trop tard [une larme coule pour toucher cette bouche qui lui fait tant honte] je peux me resservir ?

Aljia n’est pas la seule à avoir un destin tragique, celui d’une femme de ménage tunisienne, sans droits, sans paroles, sans assez de mots pour décrire le mal qui la range.

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17% des filles commencent le premier chapitre de cette tragédie entre 12 et 17 ans. Les petites filles habillées par les vêtements qui ne vont plus aux enfants de la patronne, qui ne comprennent pas pourquoi elles servent des enfants comme elles, pourquoi eux vont à l’école et elles non. Parmi ces femmes il y aura aussi des victimes d’harcèlement sexuel; 14,2% seront victimes de harcèlement sexuel, 18,2% d’attouchement.

Tu pourrais me trouver une place ? Je suis fatiguée …si seulement j’avais une chambre…aujourd’hui une chambre sans WC, sans cuisine coûte 200 dinars, c’est hors de prix, en plus il est de plus en plus difficile de trouver une fille avec qui habiter…habiter seule me fait peur…une femme de ménage habitant seule à Cité Tadhamon s’est faite poignarder en sortant de chez elle à 6 heure du matin pour aller travailler.

Aljia s’excuse tout le temps, quand elle prend une cuillère, quand elle reprend du pain, ou quand elle réinstalle sa chaise. Elle s’excuse sans arrêt sans raison, elle s’excuse d’exister, elle s’excuse d’être de trop. Parfois elle rit aussi, sans raison, après une phrase hors contexte comme « Il y a un mariage dans le quartier ? » , suite elle reprend son récit, « je suis allée chez l’ancienne patronne de ma soeur, pour reprendre ses vêtements, sa patronne m’a viré en me frappant avec la théière ».

Le prochain gouvernement devra se pencher sur ce dossier qui touche des milliers de filles et de femmes. Aider ces femmes, passe aussi par les citoyens qui doivent protéger et être honnêtes avec elles au moment de l’embauche.

Pour finir Aljia entre dans la salle de bain, elle y restera une heure, sans un bruit, sans un son.