Dans le domaine de la Recherche Scientifique, tout article soumis pour publication est analysé par des pairs (reviewers) qui vérifient l’originalité du travail, la cohérence des résultats, la rigueur des interprétations et le positionnement du travail dans le contexte international du sujet Avant publication les auteurs signent un document autorisant le transfert du copyright et certifiant que le travail proposé n’a pas fait l’objet d’une publication auparavant.

Cette procédure comporte quelques failles, mais permet malgré tout de s’assurer de la qualité du travail et de limiter les fraudes. A force de publier, plusieurs équipes tunisiennes ont pu ainsi prendre place dans l’échiquier International de leur domaine respectif. Certaines sont même devenues des références Internationales dans leurs thèmes de recherche et leurs directeurs sont sollicités de temps en temps par les Editeurs de journaux pour analyser des articles proposés de partout à travers le Monde. Mais certains de ces acquis risquent d’être compromis par suite des agissements de quelques chercheurs malhonnêtes.

L’une des failles de cette procédure est concrétisée par la difficulté de s’assurer avec certitude de l’originalité du travail. La revue mensuelle suisse « Molecules » – l’une des plus cotées dans la publication en ligne de travaux relevant de la Chimie Organique et la Chimie des Substances Naturelles – vient d’en faire les frais par le fait d’une équipe universitaire tunisienne et non des moindres. Cette équipe a soumis un travail original à cette revue qui l’a fait paraitre après analyse, dans le numéro 15-6 de l’année 2010. L’année d’après les mêmes résultats, tableaux et figures ont fait l’objet d’une autre publication parue dans Synthesis Communications sous la signature de la même équipe, mais avec un titre différent. Récemment « Molecules » a été informée de cette supercherie par un lecteur soucieux de sa réputation.

Après vérification « Molecules » a publié une mise au point relatant les faits et annonçant la rétraction de l’article aussi bien par elle-même que par Synthesis Communications. Cette mise au point commence ainsi :

Molecules has pulled a 2010 article by a trio of chemists from Tunisia who tried – and succeeded, for a while, at least – to publish the same data twice…1A tale of two notices as Tunisian chemists lose two papers for duplicated data.

Voilà donc le trio incriminé pointé du doigt et par delà ce trio toute la Communauté Scientifique Tunisienne, à dessein ou non ? je ne sais pas. Quoi qu’il en soit le mal est fait et les articles ont servi ou serviront pour la promotion ou le recrutement d’un enseignant-chercheur au nez et à la barbe des membres des jurys chargés d’évaluer les dossiers de candidature. Quelle honte ! Mais il y a plus grave : les ‘reviewers’ avertis seront probablement plus méfiants vis-à-vis des articles proposés par la Communauté Scientifique Tunisienne.

Cette fraude n’est pas la première à l’Université et ne sera pas la dernière, car la fraude chez nous, comme les dérives en politique (cf. Nawaat du 26 Nov. 2014), reste impunie.

Retractionwatch.com’ a publié plusieurs liens de rétraction. L’un d’eux rapporte la rétraction par certaines revues, d’une dizaine d’articles publiés par des groupes de recherche tunisiens et franco-tunisiens. Près de la moitié de ces articles ont été rétractés par suite de fraudes commises par les auteurs sous forme de plagias, d’auto-plagias ou de trucages de résultats 2. Un des chercheurs de Bizerte cité dans ce lien, s’est même spécialisé dans la fabrication d’articles confectionnés en rassemblant malicieusement des passages prélevés de textes parus dans des revues de renom. Il est arrivé à publier certains en prenant auparavant le soin de citer son nom en premier suivi de celui de co-auteurs non avertis. Où est le Directeur du labo dans ce cas ? On ne peut faire mieux pour faire discréditer la Science Tunisienne !

A l’échelle internationale, la Science n’est pas ‘clean’ et exempte de fraudes. Elle ne l’a pas été non plus au cours de l’histoire. L’exemple le plus célèbre est celui de Lyssenko dans l’ex-URSS, où la Science a été asservie, contre toute logique, à l’idéologie politique dominante du moment. Ce légendaire falsificateur a gravi les échelons les plus prestigieux grâce au soutien de Staline et fut lâché dès 1950. Depuis il s’est rabattu sur Khrouchtchev pour finir en disgrâce à la chute de ce dernier en 1964 (source Wikipédia).

De nos jours, « la fraude scientifique (semble) plus répandue qu’on le croit »3 et « le nombre de fraudes en nette hausse » par suite de « la surveillance renforcée ». Les cas de plagiat et de duplication de résultats sont en effet devenus plus facilement repérables grâce à des logiciels spécifiques. Mais, même si on estime que dans l’ensemble elle ne concerne que moins de un article sur 10.000, la fraude est certainement plus répandue chez nous qu’en Occident, en raison de l’impunité et de l’absence de garde-fous. Les autorités doivent prendre des mesures dissuasives et annuler les promotions et nominations des chercheurs qui se sont servis de falsifications pour gonfler leurs dossiers. Il y va de l’avenir de la Recherche chez nous.

Enfin par delà le fait lui-même, on ne peut s’empêcher de douter de l’authenticité et de la véracité des résultats publiés auparavant par certains membres du laboratoire auquel appartient l’équipe fraudeuse. Et ce qui est plus grave c’est l’impact de la fraude sur le comportement futur des jeunes chercheurs qui l’ont vécue ou y ont participé. Quand ils auront une responsabilité scientifique, n’auront-ils pas tendance à faire comme leur patron, voire à le surpasser en faisant appel à leur intelligence pour tromper la communauté scientifique par des pratiques plus sournoises ? L’impunité aidant, ils feront grossir les rangs de la mafia des fraudeurs ‘scientifiques’.

Notes

1.A tale of two notices as Tunisian Chemists lose two papers for duplicated data’ paru dans le lien ci-dessous (ref.2). La notice citée dans la mise au point revoie à l’article de Martyn Rittman : ‘Retraction : Beltaïef et al. An Expeditious Synthesis of [1,2] Isoxalidin-5-ones and [1,2] Oxazin-6-ones from functional Allyl Bromide Derivatives’, ‘Molecules’, 2014, 19(10), p.16810.

2. voir le lien sur http://retractionwatch.com/category/by-country/tunisia/

3. Pierre Barthélémy, La fraude scientifique est plus répandue qu’on le croit.