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Tous les voyants sont au vert pour les contre-révolutions du monde arabe. Le 29 novembre restera un jour noir pour les familles du millier de morts de la révolution égyptienne, avec l’acquittement de l’ancien dictateur Hosni Moubarak, précédé par une tirade révisionniste du juge. En Tunisie, si la restauration se fait plus subtilement, elle n’en est pas moins sur des rails.

Politiquement et médiatiquement, l’intérieur du pays est doublement marginalisé, sur fond de retour au délit d’appartenance islamiste. Les manifestations du sud tunisien font écho à celles du Caire.

On ne compte plus les dérapages du candidat Béji Caïd Essebsi. Le dernier en date, totalement gratuit, une énième insulte ordurière proférée samedi à l’encontre d’un journaliste, serait anecdotique si elle n’était pas révélatrice d’un profond mépris pour la presse libre, doublé d’un égo surdimensionné.

L’incident mérite que l’on s’y attarde en ce qu’il condense des caractéristiques propres aux autocrates. Le recours incessant à des versets du Coran est en l’occurrence interrompu par des obscénités, ce qui montre bien que le discours religieux est moins mobilisé au nom de la vertu que pour donner une légitimité sacrée à comportement de voyou de la politique.

Sensible à ce dédain qui s’était concrétisé également sur RMC, les populations du sud du pays ont exigé des excuses qui ne viendront pas. Face à la mobilisation parfois violente (comme ici à Médenine, où à Sidi Makhlouf où le siège de Nidaa Tounes a été saccagé), les médias hésitent entre la timidité et l’autocensure, comme face aux grossièretés d’Essebsi « bipées » par l’ensemble des chaînes radio.

Ainsi les journaux télévisés de la chaîne nationale des 27, 28 et 29 novembre ne consacreront qu’une couverture minimale aux marches de protestation qui font pourtant boule de neige : Médenine, Ben Guerdane, Tataouine, Kasserine, Gabès… les manifestations ne cessent de prendre de l’ampleur, mais ne font pas les titres, relégués en fin de JT au rang de fait divers. Pour Néji Zaïri rédacteur en chef de Mosaïque FM, ces rassemblements « sont orchestrées par des contrebandiers désireux de semer le chaos ».

En versant dans l’apologie de l’ordre à tout prix, ces rédactions s’écartent de leur rôle premier d’informer pour se plier à l’esprit consensualiste ambiant entretenu par le dialogue national, un dialogue où siégeait Béji Caïd Essebsi samedi, aux côtés de ceux qui n’ont pas hésité à lui donner raison quant à son interprétation de la Constitution, s’agissant de la passation des pouvoirs.

Qu’elle se fasse au nom de la pudeur ou de « l’intérêt supérieur de l’unité nationale », l’autocensure est l’alliée des politiques sécuritaires. Elle sert en l’occurrence l’agenda de la stabilité comme une fin en soi, quitte à recourir à des cache-misères et à instaurer des tabous.

En faisant le déplacement au Palais de Carthage pour tenter de dissuader Moncef Marzouki de retirer ses recours en justice contre les fraudes électorales, Rached Ghannouchi fait preuve d’un zèle au service de cette même idée d’une paix civile factice, bâtie sur un socle défaitiste. Un empressement du reste incompris par les bases d’Ennahdha.
Le pays peut donc tout à fait attendre indéfiniment la constitution d’un nouveau gouvernement, mais ne saurait patienter une semaine pour se pencher sur les litiges électoraux… Circulez, il n’y a rien à voir !

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La même logique de l’omerta générale fait que la jeune démocratie tunisienne sera sans doute privée du débat télévisé d’entre deux tours. Accusé de condescendance, là aussi Béji Caïd Essebsi évoquera le véto de « l’intérêt de la Tunisie ».

Quant aux émeutes dans le sud, l’un des dirigeants de Nidaa Tounes les mettra sur le compte de « l’ingérence de Bernard-Henri Lévy »… Laborieusement Thabet el Abed a tenté d’établir un parallèle entre le rôle de BHL en Libye en 2011, puis sa récente présence en Tunisie. Un complotisme au service du déni. Et peu importe si le même BHL avait déclaré sur France 24 qu’il trouvait « formidables » les résultats du scrutin du 26 octobre qu’il qualifie de « victoire contre l’obscurantisme ».

Comme pour se rattraper de la bourde initiale sur RMC, Nidaa Tounes nommait cette semaine un « député originaire du sud » comme chef de bloc parlementaire nous assure-t-on, et Béji Caïd Essebsi se rendait dans le quartier populaire de Halfaouine où il y découvrait le marché. Une larme sera même versée sur les souffrances des petites gens en proie à la flambée des prix. Poignant !

Plus sérieusement, des émeutes du pain en 1984 aux évènements du Bassin minier en 2008 prélude à la révolution de la dignité, toutes les révoltes majeures de l’histoire récente de la Tunisie se sont d’abord déclenchées dans les régions du sud du pays. Quand le sud s’éveillera, l’ancien régime tremblera.