A2T-premier-anniversaire-surveillance-Tunisie

Cette semaine l’Agence Tunisienne des Télécommunications célèbre le premier anniversaire de sa création. Le 12 novembre 2013, les Tunisiens découvraient, dans le journal officiel, le décret n° 2013-4506 du 6 novembre1, portant sur l’établissement d’un nouvel organe dont la mission principale est d’« assurer l’appui technique aux investigations judiciaires dans les crimes des systèmes d’information et de la communication ».

Dès lors, maintes voix se sont levées pour dénoncer le retour du célèbre « Ammar404 ». Des acteurs de la société civile ont appelé le gouvernement de l’époque à réviser cette décision ; d’autres comme Me. Berrjab et le Parti Pirate ont préféré entamer une procédure judiciaire fondée sur l’inconstitutionnalité de cette agence2. Face à ce tollé visant à abroger le décret, le ministère des Technologies de l’information et de la communication a dû faire le tour des médias, se justifiant quant à sa réelle motivation laquelle, d’après eux, ne fut en aucun cas de rétablir l’appareil de surveillance de la dictature3.

Avec un nouveau gouvernement et l’adoption, en février 2014, de la nouvelle Constitution, on aurait pu espérer un changement de stratégie, notamment l’implication de tous les acteurs dans un débat public autour de la lutte contre le terrorisme, y compris l’ATT… mais en vain ! Cette Constitution, laquelle, dans son article 31, protège les libertés d’expression, d’information et de publication, l’article 32 – une première mondiale – énonce que « le droit d’accès à l’information est garanti », et spécialement l’article 24 qui place la protection des données privées en tant que droit constitutionnel4.

Face à une société civile, occupée à festoyer la nouvelle Constitution, le gouvernement continua sur la même lancée, et quelques mois après, les contestations s’étant amoindries, le nouveau ministre nomma le directeur général de l’ATT, en annulant celle faite par son prédécesseur. Officialisée donc, l’agence s’assume publiquement et Monsieur Zenkri ne tarit pas de justifier – encore – la nécessité de cette administration, se voulant parfois transparent, il défend l’ATT en réfutant les accusations précédemment portées par la communauté5.

Prochaine étape, au mois de juillet de cette année, le gouvernement Jomaa annonça, en grandes pompes, un plan de lutte contre le terrorisme. Profitant d’un sentiment général d’insécurité, il détailla une stratégie qui prend à part, encore une fois, les TICs. Plus alarmant, on note un nouveau discours dans les communiqués relatant les arrestations de présumés cellules terroristes, des références qui reviennent souvent « Facebook », « Internet »6.

Avant d’avancer encore dans ce récit, il faut préciser que l’existence d’une administration, telle que l’ATT, est nécessaire sinon vitale pour la sécurité nationale, dont l’État est le premier garant. Ce qui pose problème, c’est d’une part le cadre légal inexistant qui délimiterait son fonctionnement en protégeant les droits de chaque citoyen. Ce cadre aurait pu prendre la forme du projet de loi « cybercrimes » dont le brouillon a été diffusé le même mois7. Ou encore se résumer dans certains articles du projet de loi de lutte contre le terrorisme et blanchiment d’argent, dont six articles se rapportent aux TICs, qui fut bloqué à l’assemblée nationale8. Et, d’autre part, pourquoi une nouvelle agence, alors que cette nécessité aurait pu prendre, à titre d’indication, la forme d’une fusion entre les deux départements chargés de la cyber sécurité existant chez l’ANSI et l’ATI.

Le gouvernement continua de mettre en place son plan stratégique, sans que personne ne s’en inquiète réellement, et ce, parallèlement aux annonces médiatisées d’arrestations basées sur la surveillance des télécommunications (toutes plateformes confondues). L’ATT se dote, au mois d’août 2014 et par décret, d’un comité de suivi9. Une sorte de commission, laquelle dans sa composition et conformément au décret d’établissement de l’agence, n’accorde aucun siège à la société civile, alors que cette dernière représente les intérêts des citoyens. D’autant plus que le chef du gouvernement imposa à deux reprises l’omerta à toutes les administrations sur toutes les questions relatives à ce plan de lutte anti-terrorisme10.

La transparence, un principe clé si l’on ne veut ne pas retomber dans les années obscures de Ammar404, serait donc interdite, surtout en ce qui concerne l’ATT, qu’on place prioritaire. Une priorité budgétaire aussi. Comparée au reste des structures publiques du secteur, les attributions et rémunération accordées au DG de l’ATT se référent à une EPNA de catégorie ’G‘11, comme le PDG de la Poste (8.000 employés pour situer). D’une part c’est au sommet de l’échelle, et d’autre part, au-dessus de toutes les autres structures comparables – comme l’ANSI – qui sont classées catégorie ‘A’12. On se demande si ceci est justifié par des ultra-compétences, expériences ou autre. Et puis, si le gouvernement est prêt à investir sans compter, qu’en est-il des équipements utilisés ? A-t-on réactivé les anciens équipements ? Dans le cas contraire, pourquoi dépenser dans de nouvelles acquisitions alors que, par exemple, le besoin spécifique aux pages Facebook ciblées, peut être traité directement avec la plateforme comme le font d’autres pays et en toute transparence13. Cet argent perdu couvrirait aussi la surveillance d’autres contenus disponibles sur la toile et qui malgré les arrestations existent encore.

Pour résumer, il semblerait qu’en seulement une année, l’Agence Tunisienne des Télécommunications s’est développée grâce au contexte sécuritaire sur lequel le gouvernement des technocrates s’est appuyé pour la doter au-delà des moyens demandés. Un gouvernement qui, comme ceux qui l’ont précédé, s’est trompé de plan de lutte contre les crimes en ligne qu’il a élaboré entre les portes closes des secteurs public et privé. Néanmoins, l’ATT demeure illégale, puisque jusqu’à présent, aucun cadre légal, définissant les crimes qu’elle traque, n’existe. Aussi, une structure coûteuse pour le contribuable qui, lui, n’a aucun moyen de contrôler ce qui s’y passe et espère un incertain rapport d’un comité qui ne le représente pas.

Alors que le gouvernement s’essaye à brûler la chandelle par les deux bouts, l’ATT souffle sa première bougie, et grandit avec une certaine légitimité accordée par l’opinion publique, dont les quelques défenseurs des droits de l’Homme sont essoufflés ou bien affairés à suivre la vie politique.

Notes

1. Décret 2013-4506.

2. « Le décret n°4506-2013 relatif à l’ATT : un raté de trop ».

3. Communiqué du MTIC.

4. Article 24 de la Constitution.

5. Interview de Jamel Zenkri dans Webdo – Juin 2013 : Jamel Zenkri, DG de l’AT des Télécommunications : «Nos agents sont, dès le départ, soupçonnés d’être malhonnêtes ».

6. Terrorisme et cybersurveillance : l’ATT serait-elle entrain d’opérer en toute illégalité ?

7. Draft projet de loi cybercrimes.

8. Le projet de loi antiterroriste et de répression du blanchiment d’argent bloqué.

9. Décret 2014-2891, Création comité de suivi de l’ATT.

10. Circulaires « omerta » Juillet, Octobre.

11. Décret 2014-3385 Salaire DG ATT.

12. Décret 2014-12 fixant la rémunération des chefs d’établissements et entreprises publiques et de sociétés à majorité publique.

13. Facebook transparency report – Governments requests.