Instance-Nationale-Telecommunications-tunisie

Comme indiqué sur son site web, l’Instance Nationale des Télécommunications (INT) est un organisme spécialisé créé en 2001. « Elle garantit un environnement propice à l’investissement en instaurant une concurrence saine et loyale entre les différents acteurs du marché (opérateurs et fournisseurs de services de télécommunications) ».

Dans cet article, il est question de cette instance régulatrice, créée pour les besoins de l’introduction de la concurrence dans le secteur des télécommunications, de son lien avec les opérateurs et de son influence sur le grand public. Dans cette analyse, on essaiera de nous baser sur les différents communiqués de l’INT vu le faible intérêt porté par les médias tunisiens sur cette autorité. On tentera aussi de mettre en avant son poids réel et l’efficacité de son action face aux mastodontes économiques que sont les opérateurs téléphoniques (l’opérateur historique Tunisie Télécom, Ooredoo et Orange) avec des chiffres d’affaires dépassant le milliard de dinars pour certains.

Missions de l’INT

Parmi les missions de l’INT, on peut avancer, entre autres présentées plus en détail sur le site de l’instance, les suivantes :

  • Gestion des litiges concernant les réseaux ;
  • Fixation des conditions tarifaires d’utilisation des réseaux entre les opérateurs,
  • La régulation économique du marché ;
  • Emission d’avis sur la notice portant publicité des tarifs de détail des services avant leur commercialisation ;
  • Mesures mensuelles pour contrôler la qualité de service.

L’INT est donc une autorité de régulation dont le but principal est de garantir un cadre technique fiable pour les opérateurs et un environnement favorable à la concurrence saine dans l’intérêt du consommateur final. Bien que l’action de l’INT ne se limité pas à eux, ce sont les opérateurs de téléphonie qui sont les principaux concernés.

Actions de l’INT envers les opérateurs de téléphonie: entre bonne volonté et impuissance

C’est le travail en faveur du consommateur qui est délicat dans la mesure où l’INT doit juguler entre deux points. D’une part laisser faire les marchés dans une vision libérale qui tend à faire croire que l’évolution naturelle de la concurrence va sûrement bénéficier au consommateur. Et d’autre part instaurer des règles assez contraignantes en termes tarifaires pour ne pas « tuer » la concurrence. En effet, la situation du secteur de téléphonie revêt une particularité en Tunisie, comme dans d’autres pays d’ailleurs, avec un opérateur historique (Tunisie Télécom) qui a bénéficié d’une de sa situation de monopole pendant des décennies qui lui confère des avantages en termes d’infrastructure, de portefeuille client et de coûts par rapport aux nouveaux entrants. Cet avantage d’ancienneté bénéficie aussi, dans une moindre mesure, à Ooredoo face au dernier arrivé Orange. Afin d’atténuer le pouvoir des anciens face aux nouveaux arrivants, l’INT doit faciliter le partage de l’infrastructure et imposer des prix d’utilisation inter-réseaux pour le consommateur raisonnables qui reflètent les coûts réels et qui ne soient pas dissuasifs.

Afin d’exercer ses pouvoirs, outre les méthodes de concertation pour mettre en place les nouvelles règles, l’INT communique fréquemment aux opérateurs des mises en demeure et injonctions pour faire respecter ses décisions. Ces décisions résultent de plaintes déposées par les opérateurs concurrents ou de prises d’initiatives de l’instance et elles peuvent être consultées sur son site web, ce qui démontre une volonté de transparence à saluer. Mais ce qui frappe, c’est le nombre de décisions sur des infractions semblables qui donne l’impression que les opérateurs de téléphonie n’ont pas peur de l’INT. Ceci malgré le renforcement du pouvoir dissuasif de l’instance en 2013 en relevant le plafond des amendes de 1% à 3% du chiffre d’affaires.

Les avertissements contre les opérateurs pour leurs promotions sont innombrables. Le dernier en date étant adressé le 22 aout contre les trois champions nationaux. L’INT a même infligé une amende de plus de 5 MD à Ooredoo pour offres commerciales jugées déloyales en mai 2014. Un autre cas qui a été relativement bien médiatisé, est celui du numéro de l’émission Dlilek Mlak qui était accessible uniquement aux abonnés Ooredoo ce qui a nécessité une mise en demeure contre le fournisseur de services concerné pour rendre accessible le numéro aux autres opérateurs.

Mais des chantiers beaucoup plus sensibles sont celui du dégroupage[1] pour les réseaux de téléphonie fixe et celui de la portabilité du numéro[2]. Pour le premier cas, c’est Tunisie Télécom qui est le principal accusé. En effet, l’opérateur historique fait preuve de « laxisme » selon les dires de l’ONT dans le respect de ses décisions. Dans le texte de l’injonction datée du 26 mars 2014, on retrouve que Tunisie Télécom ne fait pas preuve de volontarisme pour permettre l’accès aux concurrents à son marché historique. Ceci a même valu une amende de 1.2 MD à Tunisie Télécom à verser à Orange dans une décision du Conseil de la Concurrence qui est indépendant de l’INT. Ce retard dans le dégroupage entraine des offres en téléphonie fixe qui utilisent le réseau mobile et dont la qualité est substantiellement moindre surtout en matière de flux internet.

Pour la portabilité du numéro, on remarque que le dossier n’a pas avancé du coté de Tunisie Télécom et Ooredoo malgré la décision datée de juillet 2012 et le rappel en octobre 2013 pour mettre à disposition du public ce service à partir du 30 juin 2014 après un premier délai fixé au 16 juillet 2013. Orange seul semble attendre impatiemment la mise à disposition de ce servie en étant prêt techniquement depuis juillet 2013 puisque ça lui permettra d’entrer plus agressivement sur le marché.

Le constat principal est que ce laxisme des opérateurs porte préjudice aux consommateurs et incite à se demander si l’INT a les pleins pouvoirs pour faire respecter ses décisions.

Le grand public dans l’incompréhension face au brouhaha des offres et les conditions de l’INT

Le grand public, bien que bénéficiant des actions de l’INT sur divers plans, se trouve face à une multitude d’offres difficiles à déchiffrer avec des prix à la minute variant énormément. Les offres qui cohabitent pour un même opérateur sont souvent incompréhensibles. On dénote qu’il semble nécessaire que l’INT intervienne pour obliger les opérateurs à faire des migrations automatiques pour leurs clients si une nouvelle offre leur est avantageuse dans les mêmes conditions. Aussi, un effort doit être fait pour rendre les offres et promotions plus lisibles pour le grand public et qui prennent en compte la capacité de compréhension des franges les plus vulnérables qui subissent presque des arnaques avec des offres par exemple qui promettent un solde augmenté de 10 fois le montant payé pour une période limitée mais avec un tarif à la minute prohibitif de 0,280 TND. Bien que l’INT ne cesse de le rappeler, un effort supplémentaire doit être fait avec par exemple des détails à avancer au client de manière standardisée dans l’intérêt du client.

D’autre part, on dénote que l’INT exerce parfois à l’excès son rôle de régulateur, sinon comment expliquer que les opérateurs puissent supporter les baisses récentes et considérables des prix à la minute que par un retardement de la part de l’INT par ses conditions tarifaires minimales imposées. Dans la méthode de détermination des tarifs, on remarque que l’INT fixe un prix-plancher par G-octet de 2 dinars HT et limite les forfaits « illimités » à 25 G-octet. C’est à se demander la pertinence de cette démarche.

Ce billet a eu pour but de susciter l’intérêt et d’attirer l’attention sur la régulation dans un secteur qui dégage un important chiffre d’affaires et dont les activités doivent être surveillées de plus près. Les différents acteurs et décideurs pourraient y porter plus de regard pour protéger le consommateur et relever la qualité de services.

Notes

[1] Le dégroupage de la boucle locale permet de mettre à disposition des autres opérateurs le réseau fixe existant. Il est expliqué plus en détails ici.

[2] La portabilité du numéro permet de changer d’opérateur de téléphonie sans changer de numéro. Ce qui permet aux clients de migrer vers des offres plus attractives selon leur besoin.