Pollution-industrielle

Réputé comme étant le premier centre de traitement des déchets industriels et spéciaux en son genre en Afrique, Jradou (situé à 20 Km au sud de Zaghouan) a été inauguré en 2009, dans le but de « relever les défis » environnementaux en Tunisie.

La politique économique en faveur de l’industrialisation occupe une place particulière dans la crise mondialisée de l’environnement, vu qu’elle était la priorité des politiques publiques des États, depuis plusieurs décennies.

Avec une croissance proportionnelle à la détérioration environnementale, l’industrie est grandement responsable de la pression accrue qui s’exerce sur les écosystèmes et leur dégradation. Cela se traduit par une forte urbanisation et une surexploitation des ressources naturelles.

Jradou pourrait traduire la conscience environnementale de l’État tunisien vis-à-vis de la situation écologique. En effet, une intervention urgente s’impose face l’accumulation des déchets et des résidus industriels chimiques très toxiques pour la nature et la santé humaine.

La mise en place de ce centre présente une stratégie d’intégration des questions environnementales dans les structures des entreprises, ainsi que les mesures visant à limiter l’impact négatif des activités des entreprises sur l’environnement.

Un budget de 100 millions de dinars a été alloué au centre de Jradou pour la Gestion des déchets industriels dangereux, avec « un programme d’intervention qui a été financé par la banque allemande de développement (KWF)». Ce centre a été financé aux deux tiers par l’Allemagne. Ledit centre traite annuellement 90 000 tonnes de déchets industriels liquides et solides, ainsi que les déchets dangereux provenant de 7 gouvernorats du Nord, du Centre et du Sud tunisien. Des déchets qui étaient très souvent jetés dans des décharges sauvages ou encore dans des points noirs et dans les cours d’eau.

Si, sur le papier, cette démarche de gestion durable semble efficace, sur le terrain, les habitants de la région formulent un autre avis. Ces derniers trouvent que la situation environnementale est devenue dramatique et considèrent même ce centre comme une arme de « destruction massive », allant jusqu’à manifester pour arrêter ses activités. L’hostilité des riverains vis-à-vis du centre de Jradou, s’est manifestée au lendemain de la révolution, en février 2011.

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« Le tribunal de première instance de Zaghouan a rendu public, le vendredi 15 mars [2013], son verdict dans l’affaire du centre de traitement des déchets industriels et spéciaux de Jradou. » « La justice a ordonné l’arrêt de l’activité du centre de traitement des déchets de Jradou ».

Mais quel est au juste le contexte du centre de Jradou et de quelle démarche procède-t-il ?

Voici comment Tarek Mrabet, directeur de la communication, sensibilisation et formation à l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANGED), décrit le contexte de ce projet :

L’ANGED s’est mise à prospecter et à étudier le « Programme National de Gestion des Déchets », PRONAGDES, depuis les années 90, avant qu’elle ne devienne une institution spécialisée et indépendante de l’ANPE. L’Agence s’est chargée de l’élaboration, la réalisation et l’exécution des projets et des procédures inscrites dans les programmes nationaux en matière de gestion des déchets. Le PRONAGDES s’est focalisé sur trois priorités.

D’abord, la gestion des déchets ménagers et assimilés. Ensuite, la fermeture des décharges sauvages et la réhabilitation, voire l’aménagement de décharges contrôlées ainsi que des centres de transfert des déchets. Et, enfin, la collecte, le recyclage et la valorisation des déchets par la mise en place et la coordination de la gestion et le suivi des filières de récupération et de valorisation des déchets. Concernant la gestion des déchets industriels, il s’agissait de mettre en exploitation la plateforme de traitement des déchets dangereux à travers l’aménagement d’une décharge spécialisée, à Jradou (Zaghouan), ainsi que de trois centres de transfert couvrant tout le territoire national. Ces mesures permettant le traitement d’environ 60% des déchets industriels et spéciaux.

Jradou, projet modèle, a été mis en œuvre dans le cadre d’une coopération Tuniso-Allemande. L’étude et la réalisation de ce projet ont été confiées d’abord à l’ANPE, puis en 2005 à l’ANGED, suite à sa création, mandatée en plus de l’exécution et de la gestion dudit projet. Dans le cadre de ses prérogatives, la réalisation du projet de Jradou a été supervisée par la KFW en tant que bailleur de fonds, conformément aux standards internationaux. Jradou démarre, ainsi, dans les règles de l’art. Les industriels ont commencé à amorcer une réflexion en profondeur concernant leur rôle dans la problématique environnementale. Ils ont, de ce fait, commencé l’examen minutieux de leurs produits et procédés, et nombre d’entre eux ont entamé le programme de mise à niveau environnementale et de certification ISO 14001.
Tarek MRABET, directeur Communication, Sensibilisation & Formation à l’ANGED.

D’autre part, le “Directeur hygiène, qualité, sécurité et environnement de la SOTULUB”, Société Tunisienne des Lubrifiants (laquelle société a été qualifiée par l’ISO 14001, Systèmes de management environnemental (SME) en Janvier 2011) Nabil Mouha explique :

L’étude d’impact du projet Jradou, en Tunisie, a commencé, depuis l’an 2002, en présence d’experts allemands qui ont soumis ce projet à une évaluation pour tester ses effets sur l’environnement, avant qu’il ne soit autorisé. Ces experts ont pris toutes les précautions nécessaires avant de mettre en place ce centre. Même le choix de l’emplacement a été minutieusement étudié.
Exigeants, ces experts ont rigoureusement respecté les aspects environnementaux et n’ont toléré aucune inadvertance écologique.
J’ai assisté, à plusieurs reprises, aux réunions avec ces experts, en tant que Directeur Hygiène, Qualité, Sécurité & Environnement de la SOTULUB, et je peux confirmer leur professionnalisme, leur technicité et leur compétence en matière de protection de l’environnement. D’ailleurs, je ne pense pas que toutes ces études d’impact confirmées et validées par l’ANPE (Agence nationale de protection de l’environnement), le Centre International de Technologie de l’Environnement de Tunis (CITET) et autant d’industries tunisiennes ne puissent être conformes aux normes environnementales exigées. Le respect scrupuleux des cahiers des charges de ce projet par les différents intervenants ainsi que leurs investissements financiers et humains conséquents témoignent du sérieux de leur travail. S’il y a problème, il est ailleurs. Je pense qu’il est purement social.
Nabil Mouha

Cependant, la justice ordonne l’arrêt des activités du centre de Jradou !

Le rapport des experts commis par le tribunal a confirmé de potentielles menaces pour l’environnement. Le même rapport a par ailleurs formulé les conditions à satisfaire avant le redémarrage de l’activité du centre.

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L’ANGED a payé « une amende de 7 597 dinars, représentant les frais du procès et les honoraires des experts.»

Cette décision a été prise sur la base d’un rapport d’expert commis par le tribunal. En contrepartie, l’ANGED a coopéré en cédant aux exigences juridiques et a préparé un rapport scientifique détaillé que nous venons de présenter aux autorités compétentes afin de redémarrer les activités du centre dans les plus brefs délais ;
Tarek Mrabet

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Les sociétés affectées par la fermeture de Jradou

Or, selon Nébil Mouha, cette décision n’a pas été prise à l’appui d’un rapport d’analyses, mais « à cause des manifestations des riverains. Pourtant, une telle décision doit impérativement être justifiée par des études et des rapports scientifiques prouvant ou non le dépassement environnemental évoqué. Ce verdict est tombé juste après la révolution. Donc il ne peut être qu’un jugement politique pris pour baisser les tensions, lors de cette période sensible ». En revanche, la société n’a pas été affectée par cette fermeture « parce que dans tous les cas, le centre Jradou ne peut se spécialiser dans tous les types de déchets, étant donné que le recyclage des déchets toxiques n’est pas du tout évident, car tellement couteux. Alors, on s’est débrouillé nous-mêmes en adoptant une nouvelle technique biologique pour se débarrasser de la boue huileuse qui est la substance la plus toxique libérée par la SOTULUB ». Quant aux autres sociétés, notamment « celles qui sont qualifiées par l’ISO 14001, certaines communiquent avec l’ANGED, laquelle s’est arrangée avec des sous-traitants. D’autres sont en train de stocker leurs déchets dans les règles de l’art, en attendant d’éventuelles interventions des autorités spécialisées ».

Pour conclure, s’il y a des problèmes environnementaux au sein du centre Jradou, c’est qu’il y a un déphasage certain au niveau de l’exploitation par rapport aux études d’impact. Aussi, faut-il réévaluer la situation afin de trouver un compromis économique, social et environnemental.
Tarek Mrabet

Pour sa part, Tarek Mrabet ajoute : « parmi les stratégies pour lesquelles nous avons opté figurent le renforcement des efforts de création des petites et moyennes entreprises, la gestion des déchets, la promotion et la participation du secteur privé dans ce domaine. Ainsi, notre organisme s’est entretenu avec des entrepreneurs qui se sont investis dans ce secteur, ont instauré leurs entreprises de collecte, de transport et de recyclage, mais sont actuellement en instance, depuis plus de 3 ans ». Ainsi, « les entreprises qui déposaient leurs déchets industriels toxiques dans le centre de Jradou se sont retrouvées face à de grandes difficultés de gestion de leurs déchets, vu la pénurie de leur capacité de stockage. Aujourd’hui, notre établissement n’arrive plus à imposer des mesures préventives tout comme de punir et faire face à des pratiques irresponsables. Ces pratiques de la part des transporteurs ou des industriels qui ne respectent pas la réglementation en vigueur forcent les auteurs des déchets à les gérer eux-mêmes. Ainsi, ils sont en train de stocker leurs déchets, depuis 3 longues années. De ce fait, l’altération de l’environnement devient inévitable. En tant que ANGED, nous avons doublé l’effort de sensibilisation des industriels afin de minimiser d’éventuels risques extrêmement graves sur l’environnement. Nous avons incité les producteurs à se conformer aux procédures et réglementations, afin d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis de la dégradation écologique et de permettre un seuil minimum de préservation de l’environnement. » Et d’enchaîner, « avant l’arrêt du centre de Jradou, 150 à 160 entreprises industrielles déposaient leurs déchets spéciaux dans le centre, en vertu de contrats et de processus de traçabilité bien déterminés. Ces entreprises se sont trouvées, depuis, devant des difficultés énormes pour la gestion de leurs déchets, alors que leurs espaces de stockage sont limités. »

Finalement, face à la fermeture rapide et imprévisible du centre Jradou, l’ANGED, consciente des impacts désastreux que ce verdict peut engendrer sur l’environnement, a mobilisé tous ses experts afin de soumettre au tribunal un rapport scientifique complet, avec un programme de mise à niveau intégrale, pour un éventuel redémarrage rapide. La Cour d’appel de Nabeul rendra son jugement le 30 septembre 2014, que l’on espère favorable pour notre environnement.
Tarek Mrabet

Pour l’heure, la KFW est disposée à soutenir les efforts des Tunisiens. En ce sens, elle s’est montrée prête à dédier un chiffre appréciable à la Tunisie pour traiter l’environnement du centre de traitement des déchets de Jradou. Ceci à la condition de prendre toutes les mesures d’acceptation sociale, environnementale et économique pour dénouer la crise d’une façon pérenne et garantir un bon fonctionnement, sous la supervision des experts allemands. Lesquels experts se sont montrés exigeants et circonspects… étant donné le “label” allemand mis en jeu.

Mais est-ce que cela suffira à résoudre l’affaire Jradou ?

À suivre…