beji-abbou

Faute avouée est à moitié pardonnée, dit le dicton. Dans l’affaire du don émirati de deux véhicules de luxe à Béji Caïd Essebsi, Nidaa Tounes aura tout fait sauf avouer et encore moins faire amende honorable.

Vendredi 8 août, le parti publie tardivement un document daté du 2 août, dans lequel le directeur exécutif Ridha Belhaj aurait informé le chef du gouvernement de la présence des deux véhicules dans les services de douanes, une généreuse donation dont on sait qu’elle est arrivée depuis le 24 juillet. Quand bien même Essebsi avait décidé de mettre lesdits véhicules à disposition du ministère de l’Intérieur chargé de sa sécurité, plusieurs problématiques demeurent.

Le message implicite est en effet celui d’une incapacité des autorités tunisiennes à assurer la protection de ses propres personnalités politiques. C’est du moins ce que suggère le geste présumé désintéressé d’Essebsi, au moment où la plupart des chefs de partis menacés bénéficient de la protection du GIP présidentiel.

S’agissant de l’aspect strictement juridique, les arguments avancés par le droit de réponse Nidaa ne sont pas plus valides. « Cadeau personnel » fait à un chef de parti en lice aux prochaines élections, le don tombe sous le double coup du décret-loi du décret-loi 87-2011 et du code électoral récemment promulgué qui interdisent tout financement étranger y compris sous cette forme.

Nidaa se dit ensuite scandalisé par ce qu’il considère être une intrusion dans les données personnelles relatives à son chef. Selon le président de l’Instance Nationale de Protection des Données Personnelles, Mokhtar Yahyaoui, le leak du document incriminé « ne constitue pas une atteinte à des données personnelles ».

Que Béji Caïd Essebsi explique qu’il doit ce don à ses « vieilles relations privilégiées avec des princes émiratis », cela relève par ailleurs d’un certain autisme politique, en temps de post-révolution, où la ligne de défense aristocrate passe mal.

En requérant la coopération du gouvernement technocrate censé faciliter l’opération, les Émirats s’estiment en outre attitrés à un passe-droit, comme au bon vieux temps de l’opacité administrative.

Surtout, il y a enfin une dimension politique et géopolitique plus large, occultée par les communiqués Nidaa. Connus pour leur hostilité active au Printemps arabe, les Émirats Arabes Unis ont soutenu financièrement plus que quiconque l’Égypte du putsch d’al Sissi. En Tunisie, leur candidat est tout désigné.

Pour un parti qui base une partie de sa communication sur le souverainisme « ni l’Amérique ni Qatar », les dégâts, en termes d’image, sont d’ores et déjà considérables.

10428252_943323005683187_109706572286580492_o

Une cellule de crise sans crise

Pourtant à court d’opérations terroristes à se mettre sous la dent, la cellule de crise gouvernementale mise en place par Mehdi Jomâa a multiplié cette semaine des signaux qui, l’air de rien, présentent une forte connotation idéologique.

Première mesure, et pas des moindres, prise à l’issue de la réunion du 8 août, la mystérieuse décision consistant en « l’autorisation de la censure, de l’interception et de la traçabilité » concernant « les sites web liés au terrorisme », visiblement sans passage par l’ATI.

Dans le même ordre d’idées, la cellule de crise a pris soin de « féliciter les citoyens pour leur contribution au signalement des cellules terroristes » (dormantes ?) et dit étudier la possibilité de consacrer des primes destinées à motiver d’autres informateurs, tout en préservant leur anonymat… En clair, un retour aux bons vieux procédés de délation institutionnalisée.

Plus insolite, la cellule Jomâa s’est déclarée « satisfaite du rôle des citoyens dans le parachèvement de la sécurité spirituelle (sic) au sein des mosquées ». Ainsi après avoir démasqué les fêtards d’attentats, le gouvernement se montre décidément doué pour sonder les consciences individuelles des citoyens.

On ne peut avancer avec certitude, à cette heure, que Slim Briki, directeur général chargé des associations et partis politiques au sein du gouvernement, ait été évincé en tant que whistleblower dans le scandale des dons émiratis à Nidaa Tounes. Les bruits de couloir à la Kasbah font plutôt état d’un différend dans la gestion répressive du dossier des associations de charité islamiques et coraniques, fermées par centaines, sur recommandation du ministère de l’Intérieur.

Pour conclure sur ce virage décomplexé à droite, en marge d’une conférence du ministère de la Santé anticipant la Journée de la femme du 13 août, le ministre Salah Ben Ammar a déclaré qu’« un tiers des femmes tunisiennes ont recours à l’avortement » et qu’il fallait « mettre fin à ce phénomène ». Une affirmation qui, dans la bouche d’un technocrate, ne semble pas émouvoir outre mesure la société civile.