La politique de métier a quelque chose de profondément prévisible. Il s’était presque fait oublier, mais voici que celui qui porte le titre quelque peu pompeux de président de la haute instance politique d’al Joumhouri se déclare, sans surprise, candidat aux élections présidentielles.

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Ahmed Néjib Chebbi

Dimanche, depuis Kasserine, Ahmed Néjib Chebbi a déclaré qu’il « se désiste de toutes ses responsabilités au sein du parti afin de se mettre à la disposition de la nation », selon une formule consacrée galvaudée, faussement désintéressée.

L’accent mis sur une candidature non partisane est d’ores et déjà interprété par beaucoup comme un ralliement à la stratégie exprimée il y a quelques semaines par Ennahdha, celle d’une candidature la plus « consensuelle » possible, malgré le démenti de l’intéressé.

Tel un défi, en optant symboliquement pour la tenue de son conseil national à Kasserine, le parti converti au libéralisme économique cherche à se donner une profondeur régionale qu’il n’a pas. Si l’ex PDP disposait d’un réseau respectable à l’intérieur du pays, le rapprochement avec Afek Tounes dès 2012, la refondation, puis un certain embourgeoisement ont brouillé l’identité d’un parti centriste passé du centre-gauche au centre-droit.

Les leaders d’al Joumhouri ont-ils intégré le message de la révolution de la dignité ? A en juger le style costume-cravate-limousine attachée de presse, rien n’est moins sûr. A l’Assemblée constituante, le parti a néanmoins affiché une position honorable vis-à-vis des massacres perpétrés par l’armée égyptienne en 2013, puis vis-à-vis du coup d’Etat d’al Sissi qu’il dénonce avec fermeté.

Mais malgré cet ADN démocrate, l’opinion n’a pas oublié les errements du parti, qui en « professionnel de la politique » a fini par manger à tous les râteliers, du gouvernement d’union nationale de Ben Ali, au « Front du salut », en passant par une participation au gouvernement Mohamed Ghannouchi. Aujourd’hui, hormis l’ambition d’un chef qui se voit une destinée de président, al Joumhouri, parti de type programmatique, n’a pas grand-chose à offrir qui fasse vibrer les foules. Une formation et un chef en somme dans l’air du temps, sans idéal ni pensée politique propre.

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Mustapha Kamel Nabli et Christine Lagarde


Foule de candidatures à droite

Dimanche toujours, à droite de Chebbi, Mustapha Kamel Nabli l’ancien gouverneur de la Banque Centrale et ancien ministre de Ben Ali a annoncé à son tour son intention de se présenter aux présidentielles, dans les colonnes du journal Assabah du 3 août 2014.

Plutôt rancunier, l’homme y rappelle son contentieux avec le président en exercice Marzouki, tout en vantant son bilan à la tête de la BCT. Souvent décrit comme narcissique, la candidature de l’énarque Nabli est somme toute celle de l’establishment ou encore de la volonté de revanche du clan sahélien.

Un camp représenté par ailleurs par Hamed Karoui. Vendredi, sa rencontre dans une luxueuse villa avec Béji Caïd Essebsi, à l’initiative d’un homme d’affaires ami commun des deux octogénaires, n’est pas passée inaperçue.

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Hamed Karoui et Béji Caïd Essebsi

Assistons-nous à la grande réconciliation des deux familles cousines, hier frères ennemis, destouriens – Nidaa ? Silence radio des deux côtés, qui parlent prudemment de « simples pourparlers et d’échange de points de vues à propos de la situation délicate que traverse le pays », quoique la contre-révolution n’est pas à une provocation près.

Dans son rôle, en réaction à la démission du chef d’Etat-major de l’armée de terre, Nidaa Tounes a multiplié tout au long de la semaine les attaques envers Moncef Marzouki que le parti accuse d’avoir déstabilisé l’armée. Nidaa Tounes n’avait pas manqué d’instrumentaliser également la démission en son temps du général Rachid Ammar, un temps pressenti à l’époque pour être le candidat Nidaa à la fonction suprême. Contrairement à ce dernier, Hamdi a su garder le droit de réserve inhérent à la grande muette, en partant sans passer par la case prime time à la TV.

Pour clore ce chapitre des présidentielles, Khalil Zaouia a connu cette semaine les foudres du féminisme radical. Pour n’avoir vu en « aucune des trois actuelles femmes candidates une candidature capable de rassembler les Tunisiens », l’ex ministre Ettakatol a été traîné dans la boue, procès en misogynie à la clé.

Faillite éthique face à Gaza

Au-delà de la mauvaise foi et des querelles politiciennes, l’enseignement majeur sur la nature du futur pouvoir en Tunisie nous vient peut-être de Gaza. La leçon de cette dernière guerre est résumée par Aaron David Miller dans le New York Times : « La peur et la hantise des États arabes envers l’islam politique sont si fortes qu’elles surpassent leur allergie de Benjamin Netanyahou. Je n’ai jamais vu une telle situation où vous avez un si grand nombre d’États arabes acquiesçant à la mort et à la destruction à Gaza ainsi qu’au pilonnage du Hamas. Le silence est assourdissant », constate l’ancien négociateur américain au Proche-Orient.

Face à cette nouvelle donne, une partie des chancelleries occidentales feignent de ne pas comprendre qu’il ne s’agit pas là d’un regain soudain de sécularisation ou de conversion rapide des masses à la laïcité militante. Ce dont il s’agit, c’est de la simple solidarité entre nationalismes hébreux et arabe, une convergence d’intérêts ponctuels au nom de l’anti islamisme, par esprit de rivalité entre les droites. Dans l’Egypte d’al Sissi, et plus timidement dans la Tunisie de Nidaa, c’est l’une de ses facettes les plus sordides que le nationalisme donne à voir, lorsqu’il rime avec collaboration. Le Caire – Vichy, même combat.