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En Tunisie les ressources en eau sont limitées, à la fois en termes de quantité et de qualité. Avec moins de 500m3 disponibles par personne et par an, la Tunisie souffre de pénurie en la matière. D’ici 2011, 95% du total des ressources en eau renouvelable seront utilisés. Le développement de nouvelles ressources en eau pour répondre à la demande supplémentaire n’étant pas possible, il faudra mettre en place une politique de gestion intégrée des ressources en eau.
Rapport de la Banque Allemande pour le Développement et la Reconstruction (KFW), 2010

Si les spéculations apocalyptiques du président par intérim Moncef Marzouki, il y a quelques mois, sur la sécurité hydrique en Tunisie, ont été raillées, l’alerte a mis longtemps à être prise en considération par le gouvernement, les institutions internationales et même les citoyens.

Sur l’ile de Djerba (où Nawaat dressait, tout récemment, le calvaire écologique subi par les habitants), la population locale pourra, au moins, bénéficier, bientôt, de la construction d’une nouvelle usine de dessalement des eaux, qui permettra la transformation d’eau de mer en eau potable, en quantité abondante.

La SONEDE poursuit la réalisation de ce projet à grande échelle pour satisfaire les besoins en eau potable sur l’ile de Djerba jusqu’en 2025, garantissant l’approvisionnement et une meilleure qualité de l’eau.
Communiqué de presse de GS Inima Environnement

Plusieurs acteurs économiques dans des domaines divers et variés (environnement, ingénierie, finance…) seraient tombés d’accord, le mois dernier, selon les médias espagnoles, pour la construction d’une usine de dessalement qui fournira aux 150 000 habitant de Djerba, environ 50 000 m3 d’eau potable par jour.

Cependant, il est intéressant de constater qu’aucun média tunisien, ni le site de la SONEDE lui-même, n’en font mention, même si certaines publications font références à ce projet, et ce depuis 2008, comme le site webmanagercenter qui indiquait :

« Le pays a besoin de financement extérieur et de capitaux étrangers, seuls à même de favoriser l’implantation de nouvelles techniques, de permettre le transfert des connaissances, et de gérer au mieux le risque de la haute technologie envisagée dans l’opération de dessalement de l’eau de mer à Djerba», confiait Habib Jomaa, directeur à la SONEDE, à Webmanager, avant d’ajouter que ce projet à été prévu pour « combler, au plus vite, le gap entre l’offre et la demande dans l’île, atténuer l’endettement du pays en diversifiant les ressources de financement et de permettre au personnel de la SONEDE de se frotter, grâce à ce projet pilote, à de nouveaux types de technologies, respectueux de l’environnement dans ses différentes phases de production (le prétraitement, le traitement et le post-traitement) et modérés au niveau de la facture énergétique. »

« L’eau amère de Sakhr el Materi »

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Tunisie : L’Eau amère de Sakher El Matri

Le ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche et la SONEDE ont attribués au « Groupe Princesse El Materi » Holding et à l’entreprise espagnole « Befesa Medio Ambiente Company » la concession d’un projet de construction d’une usine de dessalement des eaux sur l’ile de Djerba pour une concession s’étalant sur 20 ans, dont le prix dépasserait les 220 millions d’euros, avec en prévisions, un chiffre d’affaire annuel de 11 millions d’euros.

Révélée par un communiqué publié sur le site de l’entreprise espagnole, en date du 14 Juillet 2010, cette information a été reprise par Mokhtar Yahyaoui dans un article paru sur Nawaat.

Cet important projet fait partie d’un ensemble de mesures mises en œuvre par le gouvernement tunisien pour la promotion et le développement des ressources en eau non conventionnelles, tel que le dessalement, visant à résoudre les problèmes de pénurie en eau et de mauvaise qualité, dont le pays souffre, et qui aggrave la demande croissante dans les principales destinations touristiques comme l’île de Djerba.
Mokhtar Yahiaoui, « l’eau amère de Sakhr el Materi », Juillet 2010, Nawaat.

A l’époque, aucune déclaration officielle du gouvernement, ni des parties concernées, n’a été enregistrée concernant cette concession. Le projet de désalinisation de Djerba confié à Befesa, est le reflet de ce qui se passait sous Ben Ali : l’infâme relation entre argent et pouvoir. Sinon comment expliquer l’absence d’informations sur le contrat, la construction de l’usine et son exploitation, hormis par la clandestinité d’une telle démarche, venant s’ajouter à la large panoplie d’entreprises appartenant à Sakhr el Materi, dont Nawaat avait déjà énumérée la liste dans l’article : « Tunisie : La fulgurante ascension de Mohamed Sakhr El Materi ».

Evoquant les suspicions de cette concession à Djerba, l’auteur de l’article, a dénoncé –et non sans arguments- l’incompétence des acteurs tunisiens impliqués, à savoir le Groupe Princesse El Materi Holding, la SONEDE et le ministère de l’Agriculture, des Ressource Hydrauliques et de la Pêche, prédisant au passage l’augmentation des prix de l’eau comme un moyen d’optimisation des profits.

Il n’est d’ailleurs pas exclu que les tarifs de l’eau soient relevés afin de rendre rentable l’exploitation de cette station. En effet, Befesa Agua a estimé les revenus de la concession, en 20 ans, à 417 millions de dinars (220 millions d’euros), soit 20,9 millions de dinars (11 millions d’euros) par an. Pour atteindre ce niveau de revenus, et à moins que l’Etat ne la subventionne, l’eau produite devra être cédée durant deux dizaines d’années à 1,14 dinar (0,6 euros) le m3 en moyenne, un tarif bien plus élevé que ceux actuellement appliqués (entre 0,145 dinar/m3 et 0,89 dinar/m3) !
Yassin Temlali- « Tunisie : La fulgurante ascension de Mohamed Sakhr El Materi », novembre 2010 ,Nawaat.

Juin 2014 : La SONEDE accorde la construction de l’usine à GS Inima Environment et FCC Aqualia :

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Après plus de 8 ans de négociations et de transactions, et surtout d’absence d’informations, les travaux de dessalement sur l’île de Djerba ont, enfin, été attribués par la SONEDE à GS Inima Environment et FCC Aqualia, et cela dans une relative transparence ; les communiqués de presse des entreprises sus cités, en font foi.

Le 16 juin dernier, Aqualia a annoncée que le contrat représente un « contrat de partenariat à 50% chacun », dans lequel « le consortium concevra, construira, mettra en service et exploitera l’usine de dessalement au cours de la période convenue ».

« Le projet comprends également un système d’adduction d’eau de mer tout en la déchargeant de sa saumure, un plan d’élimination du fer contenu dans ces eaux, une station de pompage d’eau potable, ainsi que la fourniture et l’installation de 23,7 kilomètres de conduits connectés au réseau existant. Les capacités de l’usine pourront s’élever à 75000 m3 par jour, afin de pouvoir répondre de manière suffisante à la demande. »

Les intérêts de GS Inima et de FCC Aqualia

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Pour les deux sociétés basées à Madrid (Espagne), le projet de l’usine de Djerba est une avancée stratégique en Afrique du Nord, d’autant qu’elles ont obtenu plusieurs opérations similaires en Algérie.

Avec l’attribution de ce contrat, GS Inima consolide clairement sa présence en Afrique du Nord. En effet, après la construction de deux usines de dessalement en Algérie, c’est une nouvelle relation avec un client de grande importance dans le secteur du dessalement, la Tunisie ayant choisi clairement cette technologie pour alléger sa pénurie d’eau.
Communiqué de Presse GS Inima

FCC Aqualia, filiale du gestionnaire des eaux espagnoles Fomento de Construction y Contratas (FCC) est la troisième plus grande compagnie des eaux en Europe et sixième au monde, servant 23,5 millions de consommateurs dans 1100 villes, à travers 18 pays, d’après son communiqué de presse.

Ce contrat permet au FCC Aqualia de renforcer la présence en Afrique du Nord, où la construction d’usine de traitement des eaux à déjà été effectuée en Algérie et en Egypte. C’est le premier contrat de notre société avec la Tunisie, un pays qui envisage la construction d’autres usines de traitements des eaux dans nombre de ces villes.
Communiqué de Presse FCC Aqualia

Il apparaît clairement, que le projet de l’usine de Djerba n’est que la première pierre d’un ensemble de mesures idoines qui verront petit à petit le jour, ces deux entreprises s’inscrivant, toutes deux, à long terme dans ce projet.

Pour plus de clarifications, Nawaat a contacté, le directeur international de GS Inima Environement, Luis Gonzalez Serrano qui nous a appris que, 8 ans en arrière, au moment du démarrage des négociations, le projet devait reposer sur un contrat de concession. Or, quelque temps plus tard, le Groupe Princesse El Materi Holding et Befesa ont obtenues l’octroi de cette concession dans une certaine opacité.

En revanche le contrat entre Inima et Aqualia et la SONEDE, comme nous l’explique M. Gonzalez Serrano, ne se traduit pas « par un contrat de concession, mais consiste en la construction d’une usine sur place qui appartiendra à la SONEDE et à l’Etat Tunisien, à terme ».

De ce fait, de part la nature du contrat, il s’agit d’une avancée majeure dans le dossier de l’usine de dessalement. En effet, passant d’un contrat de concession à l’opacité omniprésente, à un contrat de construction moins contraignant politiquement et économiquement, cela semble être, disons-le, la moins grave des solutions.

Le contrat, d’un montant de 69,4 millions d’euros, sera cofinancé par l’Agence Française de Développement (AFD) et la Banque Allemande pour le Développement et la Reconstruction (kfW), qui ont déjà cofinancés d’autres projets d’assainissement des eaux en Tunisie, et dont l’expertise en la matière semble être un atout.

Si la co-gestion des groupes Inima et Aqualia est de nature différente de celle du Consortium du Groupe Princesse El Materi Holding et Befesa, il n’en reste pas moins que des attitudes néfastes se perpétuent : la non transparence, l’exploitation d’une ressource naturelle et vitale qu’est l’eau à des fins de profits, et enfin une mauvaise gouvernance.

Certes, entre 2008 et aujourd’hui, le contexte a favorablement évolué. Mais, le manque constant d’informations détaillées, publiquement mises à jour et disponibles, est flagrant. Quant à l’efficacité des institutions face à la problématique de l’eau, il ne fait aucun doute qu’à travers l’exemple de Djerba, nous serons capables de jauger les réelles compétences de la SONEDE et du ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche pour l’accès à une eau potable de qualité en quantité suffisante et à un coût abordable pour les habitants.