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La date du 16 juillet est à ajouter à la spirale de la violence crescendo du bourbier du Mont Châambi. 15 – 1 : c’est le lourd bilan d’une guerre que l’on dit pourtant asymétrique. Côté réactions politiques, tout a un air de déjà vu, des tentatives plutôt grossières de récupération, aux manifs téléguidées par des partis ennemis.

Apologie ringarde de l’ordre

Voilà bientôt deux années que Béji Caïd Essebsi se prête invariablement à la même prestation télévisée convenue, mise en scène par Nessma TV au lendemain de divers attentats, sorte de rendez-vous médiatique incontournable avec la droite sécuritaire. À peu de choses près, les mêmes lapalissades y sont réitérées, sur fond de rhétorique du « sauvetage » d’un pays à la dérive par un patriarche réactionnaire.

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« Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? » S’interroge le bientôt nonagénaire après avoir récité un verset du Coran censé illustrer ses propos.

Il y a des gens qui depuis deux ans ne croient pas en l’État, qui ne croient pas en l’unicité du drapeau national, vous avez de temps à autre des drapeaux noirs et de je ne sais quelle couleur… ils sont responsables de la chute de l’État. Et les citoyens abondent dans ce sens. De nos jours lorsque vous allez en ville, les gens ne roulent plus à droite, ils roulent en sens interdit, ils ne marchent plus sur les trottoirs, ils ne respectent plus rien, ils ne respectent plus la police, ils ne respectent plus le président ni le gouvernement… Écoutez ce book… Ce Facebook… Tout est déplorable.

Ces propos confus et décousus sont ceux d’Essebsi en guise de réaction à l’assaut présumé djihadiste sur deux campements de l’armée. « Est-ce cela qui explique ce qui est arrivé mercredi ? », le relance la journaliste, incrédule. « Si l’État avait gardé son prestige, ils l’auraient craint et auraient été dissuadés ».

Pour le chef de Nidaa Tounes, un État fort est la panacée universelle. En clair, le tout répressif. Cette conception monolithique est assortie d’une certaine nostalgie « Cet État que nous connaissons n’est plus. L’État qui avait hissé haut la bannière de la Tunisie parmi les nations s’est effondré », regrette-t-il.

Une gloire quelque peu fantasmée, visiblement présente surtout dans les esprits destouriens.

En campagne, l’homme n’oublie pas que lors de son court mandat de Premier ministre, il avait ordonné d’« écraser » des assaillants en provenance de Libye à Rouhiya par voie aérienne.

Conception simpliste des droits de l’homme

« C’est une erreur ! » s’insurge Essebsi à propos de la volonté de l’Assemblée constituante de prendre son temps dans l’élaboration d’un nouveau texte de loi antiterroriste respectueux des droits humains fondamentaux, à l’abri des émotions et des affects à fleur de peau.

L’homme voudrait que l’on se contente de la loi dite de 2003 promulguée sous Ben Ali, un texte offrant aux gouvernants un boulevard pour une instrumentalisation politique, et qui fut pourtant maintes fois décrié par la LTDH pour son flou sémantique et son caractère liberticide.

« Non à la liberté et aux droits pour les ennemis de la liberté », conclut en tapant du poing sur la table Béji Caïd Essebsi, pour qui le respect ou non des droits de l’homme en la matière se résume au moment d’appuyer sur la gâchette lors d’un affrontement direct avec d’éventuels terroristes.

L’attaque de mercredi, acte fondateur d’un virage gouvernemental

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Côté présidences, si Moncef Marzouki s’enlise dans un registre du compassionnel rituel, mais inhérent à sa fonction, à al Kasbah l’épisode du 16 juillet marque en revanche un tournant : dimanche 20 juillet, le gouvernement Jomâa se fend d’un communiqué annonçant la fermeture des deux radios al Nour et al Insén, chaînes d’obédience salafiste, en sus de la « fermeture provisoire » de quelques dizaines de mosquées hors de contrôle du ministère des Affaires religieuses.

Le virage est délicat pour le technocrate Jomâa. Il n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, la politique de censure mise en place par al Sissi en Égypte un an plus tôt. C’est pourquoi sans doute l’accent est mis dans le communiqué en question sur la conformité de la démarche avec la Constitution d’une part (du moins une interprétation de celle-ci) et le concours de la HAICA d’autre part.

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Malgré ces précautions procédurales, volontariste, la cellule de crise sécuritaire initiée par Mehdi Jomâa pourrait annoncer des tensions avec Moncef Marzouki, en ce qu’elle marche sur les platebandes du haut Conseil de sécurité tenu de façon cyclique à Carthage.

Divisions : piqure de rappel

C’est une rue tunisienne plus divisée que jamais qui a manifesté le 18 juillet. C’est que face à une énième effusion de sang à Châambi, réunie en urgence le 17, la classe politique épaulée par l’UTICA et l’UGTT a formulé des réponses d’une orthodoxie décourageante qui se résument à des « marches contre le terrorisme » et un congrès national contre le terrorisme, le deuxième dans le genre en quelques mois…

Et comme prévu les partisans islamistes ont défilé en partance de la Mosquée el Fath, homogènes malgré le vœu pieux d’Ennahdha de rassembler tous les citoyens (l’islam politique est toujours caricaturalement soupçonné de liens avec le djihadisme), tandis que le Bardo renouait le soir avec les scènes de communion « patriotique » avec la police et quelques bimbos arborant le drapeau national, ce qui vaut à la manif nocturne d’être taxée de remake du « riz aux pignons » du sit-in Errahil.

Autant d’agitations qui ont éclipsé deux actualités insolites : l’Union Pour la Tunisie qui renaissait de ses cendres le temps d’un shooting photo des chefs d’al Massar et du PSG assis autour de Béji Caïd Essebsi, et des présidentielles qui tournent à la farce avec la candidature de Jalel Brik.

Enfin, à al Hamma, terre natale de Rached Ghannouchi, une action des Jeunes Nidaa a été violemment prise pour cible par des inconnus que le parti au palmier accuse d’être des « miliciens protecteurs de la révolution nahdhaoui ». Voilà qui promet un climat de campagne électorale des plus délétères.