Quelle régulation des médias post-révolution en Tunisie ?

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Dans un contexte de transition politique, les instances de régulation médiatique ont la lourde tâche de confronter les mentalités autoritaires. A commencer par celle du pouvoir exécutif qui persiste à considérer le régulateur comme un « usurpateur » venu lui confisquer son rôle de contrôleur. Or, le contrôle à priori n’est pas le contrôle à postériori. Si le premier est motivé par la censure, le second est mu par un pacte de responsabilité entre patrons, journalistes et régulateurs. A cela, s’ajoute la montée en puissance des médias sociaux où l’intrusion de nouveaux acteurs exacerbe les dérives éthiques et « les discours de la haine », brouillant définitivement la limite entre manipulation politique et surenchère concurrentielle.

D’une actualité brûlante, le débat sur la régulation était au cœur d’une conférence qui s’est tenue, fin juin, à Tunis, à l’initiative de l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (Ipsi) et le Département pour les Médias et le Journalisme de l’Université Linné à Kalmar, en Suède, avec le concours de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (Haica). Invité à cette conférence, Renaud de la Brosse, professeur et chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication, s’est penché sur le cas de la Tunisie en remontant, d’abord, à l’historique, peu reluisant, du Conseil supérieur de la communication. Créé par Ben Ali, en vertu du décret du 30 janvier 1989, cet organe au statut consultatif n’était qu’un « paravent médiatique », ce qui « a finalement tué dans l’œuf tout espoir d’autonomisation en l’absence de tout pouvoir de décision et de réelles attributions ». Cet héritage stérile explique, selon de la Brosse, le rejet de la régulation publique exprimée, au lendemain de la révolution de janvier 2011, par les professionnels qui veulent, d’abord, « clarifier le rôle de l’Etat en tant qu’acteur dans le champ médiatique ».

A cet égard, la décision d’installer, enfin la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) dans son rôle inédit de régulateur est un grand pas en avant, voire « une décision en faveur de la modernité », dira de la Brosse, « dans la mesure où l’on considère aujourd’hui, au niveau international, qu’il existe une interdépendance étroite entre démocratie, liberté des médias et régulation de la communication.»

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Mais si les « régulateurs tiennent de jure la légitimité d’un acte législatif ou autre qui a pu les instituer, leur reconnaissance de facto par les acteurs et les opérateurs de la communication ne va pas toujours de soi, n’est pas toujours sain », prévient, cependant, le chercheur. Et l’expérience de la Haica le démontre, les résistances viennent aussi de ses « partenaires naturels », comme les journalistes et les syndicats, ou encore des politiques et des patrons. Fort heureusement, la société civile est là pour marquer son soutien à la Haica, lorsque son indépendance est menacée. En revanche, ce qui est déroutant, c’est que des acteurs aussi inattendus que controversés, tels que le syndicat national des Forces de sûreté intérieure, interpellent la Haica pour un arbitrage d’ordre « éthique » !

Parce qu’ils remettent d’une certaine façon en cause l’ordre ancien, les régulateurs, dans les phases transitionnelles se heurtent inévitablement à la question de leur légitimation en tant qu’institution spécialisée ayant autorité en matière de régulation de la communication. Les professionnels du secteur, s’ils se réjouissent de voir les autorités politiques dessaisies au profit d’un régulateur indépendant, renâclent dès lors que ce dernier prétend exercer ce pouvoir d’arbitrage. Les structures politiques et administratives et étatiques continuent, quand à elles, à considérer les régulateurs comme des usurpateurs ou tout au moins comme des intrus qui rognent des prérogatives de souveraineté de l’Etat dont elles seraient les dépositaires légitimes, affirme Renaud de la Brosse.

Que la régulation soit « une affaire plurielle » et « une dynamique collective » qui « concernent l’intérêt général », il n’en reste pas moins que c’est la pratique de tous les acteurs associés qui en déterminera « la conformité avec le bien public ».

Pour l’heure, les nouveaux responsables de la radio et de la télévision publiques ont été, enfin, désignés, mais hors procédure, après le capotage du recrutement initial, pendant que des médias privés continuent à faire fi des impositions des Cahiers de charge. Entretemps, les échéances électorales sont déjà là, précipitant la grande épreuve de la Haica ; celle qui l’engagera, aux côtés de l’ISIE, sur le champ de la bataille démocratique.

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