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Nadia-Bousetta

En réponse à ce que j’ai lu le matin du 01 juillet 2014, dans un communiqué de quelques lignes publié par Mosaique.net, qui se veut explicatif, mais fut expéditif, sur les raisons qui ont poussé l’éminent auteur, compositeur et interprète Lotfi Bouchnak et moi-même à quitter la célèbre série Maktoub, je formulerai ces quelques pensées.

J’ai été étonnée de ne pas avoir été contactée par Mosaique.net, qui me semblait être un relais d’information sérieux, pour avoir ma version des faits. Il y a de quoi noircir des pages entières, mais je vais me contenter de cette mise au point pour tirer les choses au clair, espérant que le message ne se perde pas dans sa trajectoire d’émission comme tant d’autres. Ce ne serait que juste retour des choses, vous m’en excuserez la longueur, je suis, comme qui dirait, une frustrée de la plume et les mots me font chavirer, mais je suis sûre que vous comprendrez.

Je vous invite donc dans l’intimité de ma vie professionnelle, et pour ceux parmi les nombreuses personnes que je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer, sachez que je vous aurais conté cette épopée de plus de cinq années de vive voix, ceci est loin d’être un secret d’État et je suis en mesure de relater une expérience qui pourrait servir à d’autres.

Par ailleurs, je ne veux pas me dédouaner en laissant sur mon chemin une expérience qui m’a tant appris sur moi-même, mes limites et les faux-semblants, sans oublier la dure réalité d’un métier pas comme les autres !

En choisissant sans choisir mon métier d’actrice, j’ai été poussée par un rêve qui, du simple fait de l’avoir vécu, suffisait amplement à le grandir et le rendre plus beau. Mais vous me direz, qu’au pays des adultes, tout n’est pas rose. Je l’admets, on ne m’a pas laissé le choix ! Mais tout ne devrait pas, non plus, être obstacle et difficulté, dont nous sommes les propres cultivateurs sous couvert d’apprentissage ; on devrait pouvoir entamer la construction de quelque chose qui nous ressemble, à l’arrivée. C’est là tout mon combat.

Trêve de phrases introspectives, vous comprendrez par la suite leur nécessité.

Je voudrais, donc, par la présente signifier mon profond regret après la lecture de cette ligne sèche et irrévocable sur les raisons de la fin d’une aventure professionnelle. Je m’efforce, tant bien que mal, de n’en garder que le meilleur, après avoir été mise sous les projecteurs, mais à quoi bon, si c’est pour me traîner dans les méandres d’un paysage médiatique étriqué et sans nuances, qui catalogue ses dernières pêches comme de vulgaires appâts dans un étalage de rêves factices. L’alternative n’étant qu’une machine qui broie dans le sens inverse, celui de l’impuissance et des projets avortés !

C’est un constat que j’ai fait, peu avant 2008, date à laquelle ma carrière d’actrice, déjà lancée depuis 2005, allait prendre un tournant inattendu, ce fut également les prémices d’une rencontre que je n’oublierai jamais.

En ce mois de décembre, et dans l’intimité d’un lieu, ô combien évocateur, c’était juste au moment de quitter les planches d’El Teatro que le charmant et déjà populaire Sami El Fehri m’a gentiment abordé. À ma grande surprise, il me félicita pour ma prestation, qui se trouvait, d’après ses dires, correspondre pile poil à l’un des rôles, pour son nouveau feuilleton, et pour lequel il peinait à dénicher une actrice. Dans mes souvenirs, je revois une personne chargée d’un beau projet qui m’a tout de suite fait bonne impression ; une fiction télévisuelle dont j’ai pressenti la portée, à savoir le changement que ça allait engendrer au niveau de la scène audio-visuelle et médiatique.

Jamais je ne me serais attendu à un tel phénomène social et les changements radicaux qui s’en suivront !

Les mois qui ont suivi ce fameux soir de décembre se déroulèrent avec beaucoup de remous tant sur le plan personnel que professionnel. Le plateau de Maktoub n’en fut pas moins brouillon avec des hauts et des bas ; et où l’humain était régi avec beaucoup de tension, installée par son nouveau capitaine, après avoir remercié le premier au bout de trois jours de tournage, mais laissait présager cette fraîcheur, ce vent frais de renouveau. L’heure était à la découverte. J’étais pour ma part partagée, par moment frustrée, mais je demeurais dans la découverte et la remise en question. Je mettais les quelques malentendus installés sur le compte de la jeunesse de ce projet naissant, déjà très prometteur.

Lors de la diffusion, je vous épargne le double retour en arrière. On a tous assisté au grand succès de Maktoub, bien que critiqué par une poignée de professionnels pour des raisons, entre autres, déontologiques.

L’année d’après fut celle de la reconduite de cette réussite, tant pour l’équipe que pour les acteurs. Et par la reconduite des contrats, j’ai davantage été scellée à ce que je considérais comme ma nouvelle famille professionnelle.

Sans pour autant devenir « un produit Maktoub », c’était pour moi tout naturel de garder mon autonomie d’interprète. Je ne me voyais en aucun cas cantonnée à un seul rôle, même si j’aimais ce rôle. Chose qui, avec du recul, m’avait à la fois servi et desservi.

Cela m’a servi pour garder la tête froide tout en continuant mon bonhomme de chemin, sans perdre de vue mes aspirations ; même si les choix que j’ai pu faire à cette période comportaient plusieurs revers. Je n’oublie pas l’image de moi que ce feuilleton a réussi à asseoir et à semer le trouble auprès d’un public qui me confondait, souvent, avec mon personnage dans la série et également auprès de professionnels qui n’arrivaient plus à cerner mon profil et l’itinéraire que je choisissais pour ma carrière. Je l’écris sans regret aucun. C’est juste un regard lucide que j’essaye de porter sur mes années de croissance et de femme doublée d’une actrice en devenir.

Ma nature exigeante et perfectionniste, parfois à outrance je l’avoue, m’a également joué des tours auprès de la production. Mes rapports avec cette dernière me font parfois songer à mon adolescence de révoltée revendicatrice sur les bancs du lycée. Attitude qui m’avait attiré les foudres de tout le staff administratif et quelques professeurs. Certains s’y reconnaîtront ! Des discordes peuvent survenir, mais en aucun cas je n’ai manqué de respect à mes collègues ou à quelqu’un de l’équipe technique. Mon éducation et mon éthique ne me le permettent pas. J’ai toujours honoré mes contrats et accordé le bénéfice du doute, quitte à me faire berner.

Vient par la suite l’année 2010 qui fut marquée par une nouvelle production : le feuilleton « Casting ». Fort de son expérience, Sami El Fehri a décidé de changer de cap et de passer à la vitesse supérieure ; non seulement j’ai assisté à une débâcle d’acteurs amateurs en tout genre, un boum sans précédent de nouveaux venus, mais en plus le déroulement d’historiettes sur les dessous du métier: je m’abstiendrai de donner des détails, ce serait un jugement de valeur dans lequel je n’aimerais pas tomber. Il y a un début à tout, vous me direz, soit ! Moi-même je suis venue de nulle part. Mais qu’on n’en fasse pas une règle qui ne peut que léser des professionnels du métier, déjà en mal de considération dans un secteur sans repères ni structures, régi par l’aléatoire.

Ce que j’ai pu relever à ce moment-là, c’est que, malgré les pleins pouvoirs, les multiples capacités, le travail dans la persévérance, les idées qui ne manquaient pas, le bon flair et tout l’argent du monde, rien n’allait changer. Mais le changement est venu un certain janvier 2011, la donne a radicalement changé, les attentes et les considérations aussi ; après que l’euphorie collective ait laissé place au vide, l’angoisse qui nous a livré à nos propres limites et nous nous sommes enfin retrouvés face à nos vraies tares. Pour ma part, mon côté naturellement revendicateur a trouvé de nouveau racine et ma pensée n’a fait qu’un tour, m’orientant dans toutes les directions, sauf celle de la sagesse et la confiance en un avenir à construire ô combien loin et douteux certes, mais sûr par la foi, le travail acharné et la conviction.

En même temps c’était beau, ça partait dans tous les sens et non-sens : pour une fois que c’était nous, avec des pensées propres à nous, même erronées, galvaudées, abjectes, intéressées ou naïves …tout cela émanaient de nos profondeurs.

Parmi les prises de position que je garde jusqu’aujourd’hui, c’est une intime conviction du degré de l’engagement citoyen de chacun, que le changement c’est chacun de nous, est avant tout individuel, une réserve, aussi, par rapport à tout ce qu’il y a eu avant la révolution et ses acteurs, dont Sami El Fehri, plus par ce qu’il représentait, à ce moment-là, que par les idées ou le type de programmes qu’il véhiculait. Je le criais haut et fort à qui voulait l’entendre, mais malheureusement son appel du mois de mars, à l’heure de toutes les désillusions, avait tout fait basculer. Il a suffi qu’il me rappelle à l’ordre, mobilisé du régiment Maktoub, pour que je rejoigne les troupes dans ma division, avec encore des nouvelles têtes, quelques mois après. A la guerre comme à la guerre, froide qui plus est. Les nerfs à vifs, ils l’attendaient au tournant, avec toute l’artillerie, et nous braves soldats nous nous devions d’être au mieux son étendard. Moi, ayant déserté, j’étais en première ligne et ne recevais pas le meilleur traitement. A la fin du volet trois de Maktoub, j’étais à court de munitions et je suis retournée au bercail, telle une peau de chagrin avec la décision de ne plus jamais y retourner. Je n’avais plus rien à donner, mais des blessures à soigner. L’apprentissage et le tour de la question avaient été faits. J’ai quand même été rappelée, pour bons et loyaux services. Mon général était entre les mains de l’ennemi et je ne pouvais faire volte-face, même si l’envie de tout envoyer valdinguer me pressait, j’ai encore accordé le bénéfice du doute et on m’a encore bernée, mais ce n’est pas grave, ça me fait une histoire à raconter, aujourd’hui.

Sami El Fehri en prison demande aux acteurs de Maktoub de le soutenir en signant les contrats de la reconduite du quatrième volet, tout le monde a signé ! Reste Nadia Boussetta, la plus compliquée à gérer, la peste du feuilleton. Je compatis en me disant tu y vas, mais cette fois, tu assures tes arrières en demandant à signer un contrat forfaitaire. Après tout, tu es dans ton droit et s’ils comptent te garder sans te léser, il y a pas de raisons qu’il te le refuse! Faux, archi faux ! Sami me transmet le message de sa cellule : il était prêt à m’augmenter mais ça s’arrête là. Je reste sur ma décision, c’est tout ce qui me reste, ma fierté !
Quelques jours après, la réponse tombe. J’avais déjà signé un protocole d’accord pour qu’il échange avec moi de là où il était, mais irrémédiablement son directeur de production me transmet que Sami me dit que je vaux tous les contrats du monde et plus encore, mais qu’il voulait juste avoir mon prix pour seulement une dernière journée de tournage. J’ai répondu sans réfléchir : je vous le fais gratuitement en guise de remerciement et pour les années passées ensemble, c’est la moindre des choses !

Voilà pour la petite histoire, j’espère qu’elle n’est pas préjudiciable, je n’ai fait que relater des faits en évitant le plus possible de porter des jugements.

Sami, fort heureusement, a pu être libéré quelques mois après et rejoindre sa famille. Je n’ai pas jubilé mais j’ai quand même été contente que justice soit rendue. Il a repris le chemin de ses plateaux et a pu se régénérer de ses cendres, ce qui force mon admiration. J’ai même été recontacté comme si de rien n’était, mais je me suis retenue et je n’ai pas rebroussé chemin car l’avenir est devant. Même si mon personnage me manque parfois, mais c’est ainsi.

Je profite de l’occasion pour vous dire à quel point tous les messages de sympathie me comblent et me flattent… J’appelle toutes les personnes qui ont critiqué avec virulence ma remplaçante, Afef Ben Mahmoud, à plus d’indulgence. Il faut lui laisser le temps de faire ses preuves, d’autant plus que son choix est courageux, en plus d’être une comédienne qui n’est pas à son coup d’essai, pour une fois que je peux défendre une vraie professionnelle, ils et elles se raréfient !

Qu’on arrête un peu de pédaler dans la semoule, c’est assez difficile comme ça !

Nadia Boussetta