Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

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En Décembre/Janvier 2010/2011, la Tunisie vivait une anomie, vue l’état d’effervescence qui régnait, il y a eu une dégradation des normes et des références assurant l’ordre dans la société. Les Tunisiens sont sortis dans la rue pour manifester contre la pauvreté et le chômage; et la réponse du système était la matraque et les balles. D’autre part, les Tunisiens ne sont pas des Ghandis pour affronter la mort par du pacifisme. Depuis, le seuil des revendications a connu une ascension qui allait jusqu’au renversement du système. Et comme l’a dit Taoufik Ben Brick : « qu’est-ce qu’un Etat en Tunisie, si ce n’est pas un poste de police, un tribunal, une prison et une choôba*». Les manifestants se sont attaqués alors au talon d’Achille du système : les postes de police. Un acte qui est considéré en temps normal comme un délit; mais dans le contexte du pré 14 Janvier il s’agit bien d’un acte révolutionnaire.

Le problème qui se pose actuellement, est que malgré l’amnistie générale décrétée en faveur des jeunes qui ont participé aux mouvements contestataires lors de la révolution, plus de 130 procès ont été intentés récemment contre ces jeunes pour justement, leur participation.

Plus de trois ans se sont écoulés depuis la fuite de Ben Ali et la Tunisie représentée par son ministère de l’Intérieur et son ministère de la Justice ne reconnait pas qu’il y a eu une révolution et s’oppose à la volonté d’un peuple par le biais de son appareil policier qui essaye de reprendre le pouvoir en mains.

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Dans ce cadre, une grande campagne de solidarité s’est suscitée spontanément sur les réseaux sociaux, facebook et twitter, intitulée « moi aussi j’ai incendié un poste de police ». L’activiste Azyz Amami a été choisi pour être le porte-parole de la campagne. Lors d’un passage télévisé, il a soulevé le problème d’injustice exercée sur les jeunes de la révolution, les martyrs et les blessés de la révolution, allant même jusqu’à l’accusation franche et directe des policiers de la région de la Goulette qui ont brûlé leur propre poste lors des événements de la révolution pour détruire les traces de leurs dépassements. Quelques jours après, Azyz est arrêté à la Goulette sous prétexte de détention de drogues.

26 Janvier 2014, une nouvelle Constitution a été adoptée pour la Tunisie. Une constitution révolutionnaire qui devrait être régulatrice et garante des libertés personnelles et publiques devant toute agression qu’elle soit particulière ou étatique. Cependant, l’Etat est déjà assez protégé par ses institutions, notamment celles qui détiennent le monopole des armes : le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense. C’est le citoyen que la Constitution doit protéger et non pas l’Etat naissant des institutions.

L’injustice que Azyz a subie lors de son arrestation, peut être exercée sur n’importe quel citoyen. Qu’il soit activiste ou pas, qu’il soit de gauche ou de droite. Bref, abstraction faite de ses appartenances et ses convictions.

Les arrestations musclées touchent pratiquement chaque personne arrêtée. Un policier, qu’on appelle aussi et toujours dans le dialecte Tunisien : « el hakem », gouverneur dans le sens littéraire du terme, se donne des prérogatives qui sont justement appuyées par les lois du code pénal, sans aucune crainte de sanction ultérieure.

Dès le moment de l’arrestation, le détenu n’est pas souverain ni de son corps, ni de sa dignité; il subit toute sorte de violence verbale et physique sans qu’il y est une défense.

L’arrestation de Azyz amami a été très révélatrice. Ce dernier a subi toute sorte d’agression et de dépassement. Mais, cette fois, les autorités sont tombés sur une personne qui semble être tout sauf « sympathique » comme l’a qualifié le premier ministre Mehdi Jomâa. Azyz est un connaisseur de la loi tunisienne et sait bien ce qu’il était en train de faire et c’est par la loi qu’il a été relaxé.

Azyz amami est devenu désormais l’« ambassadeur » du simple citoyen tunisien qui est susceptible d’être arrêté à tout moment et sans motif d’arrestation, qui est susceptible d’être détenu sans enquête pendant au moins 3 jours, susceptible d’être emprisonné et isolé pendant une période que le commissariat fixera.

Ce qui fait que l’arrestation du citoyen Azyz Amami est anticonstitutionnelle, qu’elle ne devrait pas passer inaperçue et qu’elle ne devrait pas se reproduire ni pour lui ni pour quelconque citoyen.

Revenons sur le sujet des jeunes révolutionnaires en prison. Ces accusations standards qui sont en train de toucher les jeunes qui ont participé aux mouvements contestataires ; ces jeunes sont accusés de délinquance et de chicanerie ! Des procès qui rejettent totalement le décret loi de l’amnistie générale, la loi de la justice transitionnelle adoptée par l’ANC et le pouvoir judiciaire. A quoi bon sert un magistrat, s’il va juste appliquer la loi sans prendre en considération les circonstances d’un fait ? Certes, le juge doit se tenir au texte juridique mais il doit en même temps œuvrer à développer l’esprit du texte et non pas le texte même, car la morale vient d’après la sentence que le texte juridique cherche à atteindre en exprimant la philosophie du législateur par sa lecture renouvelée et le dégagement de nouvelles sentences en concordance avec l’esprit du texte, l’objectif du législateur et les besoins de la société selon le jauge et la diligence du magistrat. C’est là où réside le pouvoir discrétionnaire du juge.

Morale de l’histoire, quand une loi existe, il faut l’appliquer, soit la remanier, soit décréter une amnistie et le code pénal tunisien est très oppressif et répressif. Ces lois ont été élaborées pour donner du pouvoir au ministère de l’Intérieur pour exercer ses prérogatives répressives dans le cadre de la « loi ».

Cet article est dédié à tous les jeunes qui ont participé aux événements de la révolution, notamment ceux qui ont incendié des postes de polices… vous êtes des champions !

*Choôba : le local du RCD, ancien parti de Ben Ali