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Depuis le début du mois d’avril, un nuage de rumeurs qui rôdent autour d’une “difficulté de paiement des salaires” a provoqué une multitude d’interrogations sur la situation des finances publiques : opacité, mauvaise gestion, inégalités… etc. C’est dans ce cadre là que nous nous sommes aperçus qu’une partie de l’argent public venant d’un don octroyé par l’OPEC au ministère de l’industrie est dépensé dans des rémunérations qui dépassent les 20 000 $ par personne par mois !

La polémique des salaires …

Le 1er avril, le journal du Maghreb a fait publié à sa Une une information qui a été à l’origine de la polémique : « Si la situation continue ainsi, l’Etat ne pourra pas payer les salaires et les retraites ». Alors que cette déclaration était attribuée à des sources proches du gouvernement, aucun des ministres chargés des affaires économiques n’était en Tunisie pour pouvoir nier ou confirmer cette information. Le chef du gouvernement, le ministre chargé des affaires économiques et le ministre de l’Economie et des Finances étaient tous aux États-Unis pour le lancement du partenariat stratégique.

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Cependant, le porte-parole de la présidence de la République, Adnen Manser, a démenti, lors d’une conférence de presse tenue le 5 avril. Il a estimé que la question n’est plus d’ordre économique et financier, mais a pris une tournure politique.

Quelques jours après, Nidhal Ouerfelli, porte-parole du gouvernement a déclaré, lors d’une conférence de presse organisée le 10 avril, que « Le ministère de l’Economie et des Finances a pris des mesures exceptionnelles pour assurer le versement des salaires des fonctionnaires publics pour le mois d’avril 2014 et le gouvernement devra fournir 600 millions de dinars d’ici le mois de juillet prochain, pour éviter une éventuelle incapacité de rémunérer les fonctionnaires publics. » C’est ce qui a été réitéré le lendemain par le Chef du gouvernement lui-même.

En réaction à ces déclarations contradictoires, plusieurs économistes ont marqué leur suspicion par rapport à ce discours jugé alarmiste. L’économiste Ridha Chkoundali, par exemple, a affirmé à Tunis Afrique Presse (TAP) qu’on ne peut pas « parler d’incapacité de l’Etat à payer les salaires de ses fonctionnaires octroyés en monnaie nationale, d’autant que dans les cas extrêmes, l’Etat pourrait avoir recours à un emprunt auprès de la Banque centrale de Tunisie (BCT) en dépit de l’impact d’un tel choix sur l’inflation. » Cet argument a également été présenté par Mohamed Zarrouk de l’Organisation de Défense du Consommateur (ODC) lors d’une intervention sur ExpressFM.

L’opacité des finances publiques et les contradictions entre les déclarations nous empêchent de prendre position vis-à-vis de toute ces déclarations. Toutefois, il est important d’évaluer la manière de dépenser l’argent public avant de prendre des mesures qui risquent de nuire fâcheusement à la stabilité sociale et politique. C’est bien cette voie là qui a été proposée par l’Union Générale du Travail de Tunisie (UGTT) lorsqu’elle a envoyé une lettre à la présidence du gouvernement pour demander un audit des finances publiques. Nous nous demandons, parcontre si l’UGTT compte bien pousser en avant vers cet audit.

Lors d’une interview qui a été accordée à Nawaat au mois de mai 2013, le directeur du centre d’études et de recherche de l’UGTT nous a affirmé que le syndicat national avait déjà demandé un audit des finances publiques (y compris l’audit des créances publiques) depuis le début des négociations avec le FMI. Rien de tout cela n’a eu lieu. Le projet de loi qui porte sur l’audit de la dette n’a même pas été traité en commission alors qu’il a été déposé depuis l’année 2012. Nous nous demandons bien si cette fois-ci l’UGTT va y aller jusqu’au bout et imposer cet audit. Sans cela, la mauvaise gestion de l’argent public ne fera que persister.

Le débat national sur l’économie, traitera dès sa première journée plusieurs atelier relatifs à la transparence des données et à leurs véracité. Serait-ce suffisant pour changer la donne ?

Des salaires de plus de 20 000 $ …

La mauvaise gestion de l’argent public peut se manifester sous plusieurs formes : corruption, malversation, gaspillage etc. Sauf que ces temps-ci, le débat tourne autour des salaires. Le Président de la République et les membres du gouvernement ont pris, chacun de son côté, l’initiative de diminuer leurs salaires pour « donner l’exemple ». Sauf que les salaires vertigineux ne concernent pas seulement les hauts dirigeants de l’Etat. Nous sommes tombé par hasard sur un document relatif à un don accordé par l’OPEC au gouvernement tunisien destiné à « financer la réforme du secteur de l’énergie ».

Ce qui a attiré notre attention, c’est qu’une partie de ce don est destinée au payement des salaires d’ “experts”. Hormis les frais de mission et les frais de voyage, chacun d’entre eux aura le droit à 20 000$ par mois ! Un salaire pas très loin de celui de Paul Krugman, prix Nobel de l’économie …

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C’est devant ces faits là qu’il devant absurde de parler d’équité sociale et de bonne gouvernance. Il y a seulement trois ans, les tunisiens s’étaient révoltés contre les inégalité et l’injustice sociale. Aujourd’hui, l’Etat accepte de verser des salaires qui dépassent 100 fois la valeur du SMIG. Le fait que la vice-présidente l’ANC soit payée 38 fois le SMIG a été considéré comme étant “inconcevable”. Que dirait-on alors du gaspillage de ce don à un moment où la quantité des réserves en devises est très proche du seuil toléré ?

Rappelons que d’une part l’obligation de l’Etat de veiller à “la bonne gestion des deniers publics” a été récemment introduit dans l’article 10 de la nouvelle constitution. De même, la question de l’équité des salaires a été invoquée explicitement dans l’article 40 de la constitution de 2014. Serait-ce une nouvelle infraction à la constitution commise par l’actuel gouvernement ?

Une pétition vient d’être récemment signée par 76 membres de l’ANC pour convoquer le chef du gouvernement Mehdi Jomaa à une séance plénière pendant laquelle il sera obligé à apporter des explications sur ses déclarations concernant la situation des finances publiques.