Dentiste tunisie

Dentiste Tunisie

Le 19 avril se dérouleront les élections pour le renouvellement des dirigeants nationaux du Conseil de l’ordre des médecins dentistes. Encore une profession parmi celles sinistrées dans notre pays.

Or en l’espèce, il ne s’agit pas d’une profession anodine, mais d’un métier à l’impact, en termes de santé publique, conséquent. En effet, tout dysfonctionnement ou carence, quel que soit son niveau, se répercute systématiquement sur la santé du citoyen.

Le premier constat que l’on relève, constat, du reste, reconnu par l’ensemble de la profession, est relatif à cette paupérisation alarmante des praticiens en question. La dégradation des conditions matérielles, singulièrement vécue par les jeunes médecins, a atteint un seuil, tel que -selon les nombreux témoignages que nous avons recueillis- les protocoles sanitaires s’en trouvent compromis.

En effet, les dentistes avec lesquels nous avons échangé ont osé nous dire tout haut, ce que certains craignaient déjà depuis quelque temps. « La dégradation matérielle est telle -nous ont-ils avoués- que certains de nos confrères n’arrivent même plus à payer leurs charges fixes ». « Un médecin dentiste qui n’arrive plus à régler ses charges fixes, comment va-t-il se comporter -s’interroge pertinemment un autre de nos interlocuteurs- lorsqu’il va s’agir de gérer ses outils à usage unique, tels que les gants, les canules salivaires, les gobelets, voire les seringues d’anesthésie ? » « Lorsque les honoraires finissent par être discutées comme chez un marchant de tapis pour aboutir à payer un acte d’un montant de 10 dinars qui ne suffit même plus à payer les frais de stérilisation, ni le matériel utilisé, c’est qu’il y a le feu en la demeure », surenchérit un autre.

A propos des dentistes pris dans ce cercle de l’indigence matérielle, le blog « Dentiste Tunisie », animé, entre autres, par le Dr. Ilyesse Chérif note avec amertume :« certains d’entre nous, face à des difficultés passagères […] se sont mis à baisser leurs honoraires, dans l’espoir d’avoir plus de patients. Et vu le nombre actuel de médecins dentistes […], il ne faut pas s’étonner alors d’avoir des fins de mois difficiles. »

Nul doute que les différents conseils de l’Ordre qui se sont succédé endossent une part de responsabilité dans cette dégradation préjudiciable à la santé publique. Face à la question de la modernisation du cadre et des conditions de travail des médecins dentistes, nous avons été surpris par la vision de l’actuel Conseil en parcourant ses « Lettres d’information » destinées aux médecins dentistes.

Dans l’éditorial de celle du 5 avril 2011, le conservatisme de l’institution ordinale paraît flagrant. Quitte à reconnaître d’être accusé d’ « obstruction systématique », le conseil de l’Ordre paraît en effet réfractaire au changement. Présentant certaines démarches de modernisation en des termes fort peu avenants, il énonce : « politique d’exportation des services de soin, promotion de structures quasi commerciales d’exercice médical [sic], bureaucratisation de la formation continue : on multipliait les commissions et les réunions de travail […] , ces choix, dictés par de longues mains, devaient certainement profiter à quelques-uns, mais allaient entraîner la décrédibilisation de notre médecine et précariser dans leur exercice la majorité des confrères ». Or que constate-t-on justement ? Une précarité qui ne cesse de s’aggraver et, avec elle, l’altération de la crédibilité de la profession.

Face au surnombre et à la la précarité croissante de la situation des membres de cette profession, le conseil de l’Ordre paraît faire le choix de l’immobilisme structurel. Or, la Tunisie a de sérieux atouts pour promouvoir l’exportation de prestations sanitaires de haut niveau, pour peu que l’infrastructure et la formation médicale suivent au niveau des standards requis. La proximité de la Tunisie des « gisements de patients» européens est en mesure de faire de ce pays un lieu de prédilection pour les soins dentaires. D’autres pays ont, en tout cas, bien réussi sur ce plan. Si nous écrivons cela, ce n’est pas tant parce que c’est une fin en soi, mais parce que le développement de toute profession est indétachable de sa capacité à répondre convenablement à des besoins exigeants. Quand bien même nous parlons de santé publique, sans la croissance économique du secteur, il est illusoire de croire que des investissements pour des besoins exigeants soient en mesure d’être réalisés.

Par ailleurs, il y a des opérations mathématiques qui ne trompent pas. Le déséquilibre entre le nombre des prestataires et les besoins auxquels ses derniers répondent (dans les conditions que l’on observe aujourd’hui) entraîne déjà toute la profession (et la santé du citoyen avec) sur une pente dangereuse. Et l’on pourra se contorsionner dans tous les sens, sans le critère de la rentabilité, la paupérisation de tout le secteur va encore s’accroitre. Et avec celle-ci, un abaissement progressif du niveau des investissements nécessaires pour que la santé des patients ne soit pas compromise. Et nous y sommes déjà !

Autre élément sur lequel nous nous sommes exprimés récemment sur Nawaat, en l’occurrence l’exercice illégal de la médecine et de la médecine dentaire. Ce fléau est littéralement en train d’envahir la Tunisie. Pourtant, l’article 8 de loi du 13 mars 1991 confère aux conseils de l’Ordre des moyens juridiques à la hauteur des enjeux de santé. Cet article dispose, en effet, que « pour les cas d’exercice illégal de la médecine ou de la médecine dentaire, le Conseil national de l’ordre concerné peut saisir les tribunaux par voie de citation directe, sans préjudice de la faculté de se porter, s’il y a lieu, partie civile dans toute poursuite intentée par le procureur de la République ».

Or, qu’observe-t-on ? Une prolifération, sans précédent en Tunisie, de personnes proclamant prodiguer des actes et des diagnostics qui relèvent de l’exercice illégal de la médecine, y compris de la médecine dentaire.

Par rapport aux potentialités réelles dont dispose la médecine dentaire tunisienne, tant en termes de compétences que des perspectives qui se présentent, dans un pays où il existe déjà une véritable tradition au niveau de la rigueur médicale, ce qui est en train de se passer relève du gâchis. L’État et le conseil de l’Ordre en endossent une responsabilité certaine. L’État par manque de politique volontariste au profit de ce secteur et le conseil de l’Ordre par manque de vision moderniste à moyen et à long terme.

Et nul doute, si l’on arrive à ce constat, c’est aussi et surtout parce que les dentistes eux-mêmes observent sans réagir, ou si peu. Beaucoup d’entre eux, en effets, empêtrés qu’ils sont dans leurs soucis quotidiens et leurs dettes, par dépit, ont fini par s’isoler tout en adoptant une attitude nonchalante vis-à-vis des problèmes de la profession. Or, sans un investissement personnel de leur part pour faire évoluer la situation, nos dentistes risquent encore de passer des moments (plus) difficiles… et les patients avec. Les chiffres des participations à ces élections ordinales seront un indicateur objectif de ce que seront les lendemains de ceux à qui la loi a conféré le monopole exclusif -pardon pour le pléonasme- des soins buccodentaires des citoyens que nous sommes. Qu’en sera-t-il le 19 avril ?

Riadh Guerfali, le 13 avril 2014.
Nawaat.org