La Tunisie a choisi de payer des milliards à Microsoft et autres éditeurs de logiciel et, par myopie si propre à l’incompétence conservatrice, fait le choix de priver les créateurs de notre pays de faire renter des milliards, en devises, pour une sordide histoire de bureaucratie et d’autorisations bancaires. Ces 50 dernières années, c’est presque devenu une culture d’État de bloquer des secteurs entiers pour empêcher, quel que soit le prix, les fraudeurs et les tricheurs de sévir. Le conservatisme administratif, par cette culture insensée de la chasse aux fraudeurs, accable littéralement tout dynamisme entrepreneurial. Le secteur des nouvelles technologies de l’information ne déroge pas à cette “tragédie” économique.

« Je quitte la Tunisie ! Je n’ai plus rien à faire ici … », lancent des milliers de jeunes tunisiens au moins une fois dans leur vie. Avant de partir, plusieurs dénoncent, une dernière fois, la bureaucratie, la corruption et la marginalisation. Exaspérés par le mutisme du pouvoir, certains quittent le pays, alors que d’autres se lancent dans des carrières sans ambition ni valeur ajoutée. C’est le cas des jeunes innovateurs dans le domaine de l’informatique et des nouvelles technologies.

Aussi absurde que paraisse l’idée d’une jeunesse tunisienne ne prenant pas d’initiatives et comptant surtout sur l’État pour trouver des solutions au chômage, nous restons silencieux, malheureusement, face aux contre-exemples. Le domaine des smartphones et applications Google incarne un exemple flagrant de ce dysfonctionnement.

Il y a quelques semaines, des étudiants d’ESPRIT (école supérieure privée d’Ingénierie et de Technologies) ont raflé le 2e prix de la meilleure innovation, ainsi que le 3e prix du meilleur show dans la compétition officielle «wip jam», au Congrès mondial de la téléphonie mobile, à Barcelone (comparé à une sorte de Coupe du Monde des TICs). Il faut préciser que c’est loin d’être la première récompense internationale pour les Tunisiens. En effet, la compétence tunisienne en matière d’Open Source s’est fait démarquer plusieurs fois. Or, ces talents ne peuvent pas voler loin sous nos cieux, pris dans le piège de la politique économique du pays qui veut garder le dinar tunisien en Tunisie. N’ayant pas le droit à une carte bancaire internationale, les développeurs d’applications Android et informaticiens ne peuvent donc pas disposer d’un compte Google Checkout.

Zayen, professeur dans une école privée d’ingénierie d’informatique nous parle une carte bancaire virtuelle ou plutôt « illégale ». « Pour pouvoir gérer notre commerce, acheter des applications, mais surtout toucher nos revenus des ventes de nos applications sur les Markets des Smartphones, nous sommes obligés d’utiliser ces cartes. plusieurs informaticiens font ça…», assure Zayen. Accompagné par ses étudiants de 4e année, il nous explique comment la rigidité de l’État fait perdre au pays des entrées de devises considérables.

« Les développeurs tunisiens sont presque les seuls au monde qui ne peuvent pas ouvrir un compte développeur dans les markets des Smartphones. Nous sommes obligés de passer par des intermédiaires étrangers qui prennent d’énormes pourcentages sur nos revenus. Et à chaque fois, Google résilie nos contrats quand il découvre que le compte bancaire n’appartient pas -en personne- au créateur d’application. Moi, par exemple, on m’a enlevé mon compte Google parce que le compte bancaire appartenait à ma sœur, résidente à l’étranger », nous explique Ahmed Amine Zemni, 23 ans, futur ingénieur.

Des centaines de jeunes sont dans le même cas, mais plusieurs refusent de témoigner et préfèrent rester anonymes pour éviter les problèmes.

Ce handicap perdure depuis des années et revient à chaque fois que les développeurs d’Android essayent d’évoluer. Malgré les multiples challenges et évènements organisés par la communauté, de moins en moins de jeunes se motivent pour se lancer dans ce domaine. « Quand on est étudiant, on est plus créatifs parce qu’on ne voit pas encore concrètement les contraintes. Ceux qui entament une carrière professionnelle n’ont pas la chance d’innover et de créer des solutions Open Source», témoigne Dorra Belhaj Kacem, étudiante dans une école supérieure privée.

Même si d’aucuns travaillent dans le noir et prennent des risques, la majorité préfère enterrer le rêve d’une vraie carrière d’ingénieur. « Le marché de l’emploi est très limité. Un ingénieur est payé entre 900 et 1300 dinars maximum. En plus il est réduit à des tâches techniques basiques qui ne permettent aucun épanouissement ou créativité. Les free lanceurs qui bossent dans le noir touchent, par contre, des sommes énormes allant jusqu’à 350 dollars par jour », explique Rayen avec amertume.

Convertir des informaticiens chômeurs en autoentrepreneurs est le rêve d’une nouvelle génération qui ne demande pas grand-chose. « Un informaticien est un artisan qui a besoin seulement d’un ordinateur, de connexion Internet et de bonnes mesures gouvernementales », nous explique Tahar Mestiri, chef d’entreprise, responsable du site Tunandroid.com et organisateur de l’événement « Droidcon Tunisie 2014 », le plus grand rassemblement annuel autour du système Android. Lors de cet évènement, un débat a été lancé entre la communauté, le ministère des TICs, la Banque Centrale, le ministère de l’Économie et des Finances, le ministère du Commerce et de l’artisanat et la société Monétique Tunisie SMT. « Après le débat, les ministères présents se sont engagés publiquement pour libérer l’accès aux cartes de crédit internationales, trouver des solutions aux freins législatifs et envisager des partenariats avec les organismes bancaires internationaux pour faciliter les petites transactions », affirme Taher Mestiri, avant d’ajouter : « pour le moment, rien n’est officiel, mais je pense que ça va se faire ».

La communauté propose déjà des solutions qui, à ses yeux, sont simples et faisables. Zayen, par exemple, nous parle d’une allocution technologique limitée comme celle de l’allocution touristique. En attendant, la réalisation des promesses, une bonne partie des jeunes informaticiens reste sceptique. « C’est évident puisque les responsables de l’État ne connaissent d’Internet que Facebook et ne remplacent encore pas le fax par l’email», commente Welid Nefetti, journaliste et spécialiste des TICs.

Henda Chennaoui