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Tout le monde connaît le conte de Jeanne Marie Leprince de Beaumont repris plus tard par Walt Disney et Jean Cocteau au cinéma : la belle et la bête. L’histoire d’une belle, douce et modeste se sacrifiant au profit d’une bête laide qui ne demande qu’à être aimée.

L’analogie est toute faite : Amel Karboul est-elle la belle médiatique de la bête gouvernementale ?
Dès sa nomination au poste de ministre du Tourisme, la belle, au sens propre du terme, n’a laissé personne de marbre : politiques, médias, réseaux sociaux et simples citoyens y sont allés de leurs petits commentaires.

Il ne fait aucun doute qu’une personnalité comme celle de notre ministre du Tourisme n’a pas son semblable au sein de notre gouvernement. Elle sera amenée à plusieurs reprises à jouer l’arbre cachant la forêt des défaillances gouvernementale, à charge pour la belle de ne pas dormir au bois et oublier ses prérogatives premières… au risque de vite désenchanter face à une opinion publique et médiatique aussi versatile qu’une girouette en pleine tempête.

Par curiosité, l’on s’est amusé à « sonder », via Google, la dimension d’Amel Karboul dans le dispositif médiatique gouvernemental. Nous avons pris le nom de quelques ministres en formulant la requête suivante : (” Prénom Nom ” AND ministre) OR (“Prénom Nom” [en arabe] AND wazir).

# Ministres Résultats de recherche Google
1 Mehdi Jomaa 245.000
2 Amel Karboul 114.000
3 Mongi Hamdi 1.220
4 Ghazi Jeribi 969
5 Lotfi Ben Jeddou 310
6 Kamel Bennaceur 48

Le résultat est le suivant : indépendamment du Premier ministre Mehdi Jomaa, Amel Karboul est la ministre la plus présente dans les pages indexées par Google, loin devant tous les autres membres du Gouvernement. Notre requête sur Google est certes sommaire, mais permet de donner une idée à propos de l’ampleur de la médiatisation de la ministre du Tourisme… Cet « OVNI politique » brisant l’image traditionnelle de l’homme politique et de ses méthodes surannées.

À peine nommée, qu’elle dû faire face aux interrogations des membres de l’Assemblée Nationale Constituante avant le vote de confiance au gouvernement, la traitant de pro-israélienne avec des propos blessants, voire insultants.
Présentant sa démission, sitôt refusée par le Premier ministre Mehdi Jomaa, Amel Karboul fit échec et mat de ses larmes, lasse d’être la proie à une chasse médiatique sans commune mesure : dorénavant, cela sera avec ou sans elle.

De cet épisode est née la fée médiatique Amel Karboul. Plus jeune ministre du gouvernement Jomaa, première femme ministre du tourisme, élégante, cultivée et au parcours professionnel sans « casseroles », elle devient cette personnalité « people » que tous les médias s’arrachent. Dorénavant, tout en elle sera décortiqué : sa garde-robe, ses mimiques, sa gestuelle, etc.

Ses mots, ses idées, sa vision pour relancer le tourisme… peu d’intérêt !

Comme le rappelle Edgar Morin :

le système médiatique n’informe sur ce qui est symbolique… 

Edgar Morin

Le cirque médiatique est déjà en place et le symbole d’une politique décomplexée est tout trouvé : Amel Karboul.

À partit de là un « check and balances » entre, d’une part, des ministres fantomatiques ou décriés et de l’autre Amel Karboul, femme fatale et « carte postale » du gouvernement Jomaa s’opère spontanément.

Pendant que petit à petit le soufflet retombe sur les événements « terroristes » du début du mois, la ministre du Tourisme a été de nouveau jetée sur le devant de la scène pour éteindre un déficit de communication et d’image non maîtrisé par le ministère de l’Intérieur. Ces deux dernières semaines, la « belle » refait parler d’elle : entre une rencontre avec René Trabelsi, le limogeage par téléphone de Habib Ammar, le plan de relance pour le tourisme saharien et son accueil en rock star aux Dunes électroniques, elle a accaparé à elle seule l’attention de tout un chacun.

La question mérite d’être posée : cette « Karboulmania » était-elle préméditée ou est-ce un alignement de la communication gouvernementale sur une starification spontanée ?

Force est de constater que face à une image ministérielle poussiéreuse, conservatrice et hautaine prenant le peuple de haut, cet élan de fraîcheur et d’insouciance est revigorant à plus d’un titre.

En effet, jamais un ministre n’aura fait autant l’unanimité et crédité d’un capital sympathie aussi élevé. Elle est devenue en moins d’un mois une égérie, une héroïne de conte de fées moderne. Personne ne tarit d’éloges sur ce petit bout de femme ayant réussi à briser les carcans d’une « discrimination positive » ayant souvent nui à l’image de la femme plus qu’elle ne l’a servie. Cela dit, il n’est pas difficile pour une femme, en termes d’image, de succéder au « cataplasme » Sihem Badi. En d’autres termes, Amel Karboul bénéficie aussi, malgré elle, de la débâcle de l’ex-ministre de la femme. De ce fait, l’engouement spontané pour la ministre du Tourisme est en tout état de cause, à l’origine d’une communication gouvernementale centrée sur sa personne comme porte-étendard d’un gouvernement décomplexé, frivole et aérien dont le travail, même dans la difficulté, est un plaisir visible et communicatif.

Peut-elle faire face au conservatisme ambiant ?

Sa présence et son aisance lors des Dunes Electroniques, festival de musique électronique ayant eu lieu à Nefta ce week-end, a donné du grain à moudre aux plus conservateurs des têtes de gondoles médiatiques. En effet, depuis dimanche, on ne compte plus le nombre de critiques vis-à-vis de la ministre. En effet, beaucoup jugent qu’un tel comportement, qu’une telle spontanéité ne colle pas à l’image d’un ministre devant se tenir droit et être sérieux en toutes circonstances. Les vieilles habitudes ont la peau dure. Ces mêmes personnes préfèrent sans doute des ministres inhumains, inapprochables, loin de leurs semblables et hermétiques aux demandes du peuple, préférant user du bâton au lieu de la discussion et de la carotte en récompense de la délation et du fayotage… Mauvais réflexes nostalgiques d’un passé décomposé, serais-je tenté d’écrire.

En effet, indépendamment de sa présence, Amel Karboul a rencontré à tour de bras les directeurs d’hôtels de la région, le personnel de ces hôtels, mais aussi les habitants des environs afin de réfléchir ensemble à un moyen de relancer un tourisme saharien qui tarde à être la locomotive d’un tourisme tunisien à l’agonie. Bien sûr, les plus fervents défenseurs des « politiques complexées d’outres tombes »  ont oublié sciemment de le mentionner.
Sans doute, ces pantomimes cultivent-ils un complexe vis-à-vis d’un nouveau virage dans la communication politique loin de la rigidité et de la froideur habituelle, qui plus est venant d’une femme virevoltante qui tente de redorer le blason d’un secteur en crise.

Cependant le paraître fait-il forcement l’être ?

L’image véhiculée par notre chère ministre et le manège médiatique dont elle a le premier rôle incarnent-ils pour autant le succès ?
Rien n’est moins sûr. Certes, ce gouvernement en est à ses premiers pas, et juger son travail serait impossible pour le moment. Il en est de même du travail d’Amel Karboul au sein de son ministère. Cependant, la crainte de voir ses compétences annihilées par une attention particulière à l’image qu’elle véhicule n’est pas à écarter. Madame la ministre est au sein de ce gouvernement l’image de marque, l’image de fabrique, l’image d’un instantané que Mehdi Jomaa ne veut pas voir jaunir.

Mais, cela suffira-t-il à faire perdurer l’état de grâce ? Gare à l’usure médiatique ! Car en démocratie, la versatilité de l’opinion publique se révèle toujours par sa cruauté.