Image :  Sami Ben Gharbia
Image : Sami Ben Gharbia – Nawaat

Voilà enfin le bout du tunnel qui pointe son nez ! La Tunisie a incontestablement franchi un pas décisif avec l’adoption de la nouvelle constitution. Et un progrès incontestable dans son contenu. L’ANC, qui semble avoir compris qu’elle a trop traîné et que le temps ne jouait plus en sa faveur (1), a finalement décidé d’accélérer les choses et l’a approuvé avec une écrasante majorité. Près de deux années et demie environ après son élection l’ANC a approuvé la Constitution (Un délai presque équivalent à la constituante française qui s’étala, rappelons-le, de juin 1789 à septembre 1891). Ces délais auraient pu être beaucoup plus courts, c’est incontestable, si seulement nos constituants s’étaient attelés à cette tâche principale qu’est la rédaction de la constitution. Mais le mélange des genres (travail législatif, « contrôle » du gouvernement, …) et surtout la volonté manifeste de la Troïka au pouvoir et principalement d’Ennahda, de prolonger le plus longtemps possible la procédure dans le but évident de noyauter les institutions de l’Etat, de l’administration et des services publics en vue de s’assurer la victoire aux prochaines échéances. C’est du moins dans leurs calculs boutiquiers et dans leur conception même de la politique et du pouvoir.

Ceci étant il faut reconnaître, à la décharge de nos constituant-es, que le débat sur la constitution a largement débordé les murs de l’ANC et c’est trouvé relayé dans l’espace public, voire même de l’espace privé au sein des familles, pour devenir celui d’un grand nombre de Tunisien-nes. Et c’est tant mieux ! Même si c’était trop aux yeux de certains tunisien-nes qui n’hésitaient pas à répéter que cela avait trop duré et que la constitution après tout « ne nourrit pas ! ».

L’idée d’une constituante avait été lancée, rappelons-nous, dès le début de la révolution avec la mobilisation de Kasbah I et II. Certains n’y étaient pas très favorables craignant, légitimement, une remise en cause de certains acquis. Et cependant il faut se rendre à l’évidence : Voilà donc, pour la première fois, un texte qui ne sera pas parachuté par en haut, un texte qui peut, à juste titre, être considéré comme le résultat d’un débat qui a véritablement touché le grand public.

Il est vrai que ce processus de consultation avait été prévu à l’ANC. De nombreuses réunions ont été ainsi programmées avec des déplacements dans les régions y compris même à l’étranger à la rencontre des Tunisien-nes dans différents pays. C’est également ainsi que la pratique de la démocratie pourra s’installer dans le pays.

La démocratie côté institutions …

Il faut donc comme ont dit « rendre à César …» et reconnaître que, malgré tous les aléas, la démarche fut intéressante et que cela laisse présager que le pays, après avoir voté la constitution, est en mesure – s’il sait éviter les polémiques stériles – d’aller encore de l’avant. Et en tout premier de se doter des indispensables instruments de régulation et de fonctionnement de la démocratie dans un Etat de droit et, dont certains, peuvent même avoir valeur d’exemples. Telles les instances constitutionnelles comme la Cour Constitutionnelle, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), la Cours des Comptes, le Tribunal Administratif, l’ISIE (Instance supérieure indépendante pour les élections), l’HAICA (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle), l’instances des Droits de l’homme, l’instance du développement durable et de la protection des droits des générations futures, l’instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption …. Ce sont là des instruments politiques et institutionnels de grande portée. Il s’agit maintenant de mesurer leur réalité à l’usage qui en sera fait ultérieurement, à travers les lois. A la condition également qu’il y ait une réelle volonté politique de les mettre en œuvre. Car la démocratie procède aussi d’un état d’esprit et d’une culture démocratiques. Ce sont les femmes et les hommes de ce pays qui, en dernier ressort, auront la charge et la responsabilité de faire fonctionner ces institutions et d’appliquer (2) ces lois.

… Et côté société civile

Mais le plus grand mérite en reviens néanmoins et dans une très large mesure à l’action de la société civile. Et à sa vitalité impressionnante et une société civile qui est probablement la grande révélation de la révolution tunisienne. Du moins une partie de la société civile, celle justement qui agit comme contre-pouvoir. Car attention il y a société civile et société civile. Et il faut se rendre à l’évidence cette société civile là, celle qui a agit ouvertement dans l’espace public, en tant que contre-pouvoir et aiguillon, a été le principal vecteur qui a permis que la constitution soit, finalement, ce qu’elle est. Car entre le projet de constitution de juin 2012 qui portait l’empreinte évidente d’Ennahda et celle qui a finalement été approuvé il y a un abîme.

Certes la société civile ne fut pas seule dans cette dynamique mais elle a incontestablement donné le ton et permis que l’essentiel des libertés soient inscrit dans la constitution. C’est même quelques unes de ses principales composantes (telle l’UGTT, l’UTICA, l’UGTT et l’Ordre des avocats) qui ont impulsé et organisé les grands rendez-vous des divers dialogues et qui ont permis d’aboutir au consensus ou sans doute faut-il parler de compromis historique à la tunisienne. Certes et comme tout consensus c’est évidemment et toujours en fonction d’un rapport de force, sur le terrain, à un moment donné. Néanmoins « Dialogues », « consensus », « compromis » … ne sont-ils pas en quelque sorte le prolongement non seulement de la révolution tunisienne et de son caractère (relativement) pacifique mais aussi très certainement le résultat de cette spécificité tunisienne qui à toujours éviter le point de non-retour et, il ne faut surtout pas l’oublier, à la scolarisation obligatoire instaurée depuis l’indépendance. C’est important et légitime si l’on se réfère à ce qui se passe dans les autres pays arabes qui ont connu une insurrection en 2011 (Libye, Bahrein, le Yémen, et même l’Egypte sans parler bien sûr de la Syrie…).

Tout compte fait on peut même se demander si la révolution tunisienne n’est pas en train d’inscrire et d’inaugurer un approfondissement de la démocratie (participative ?) laquelle, en parallèle à la sphère de la représentation institutionnelle (partis politiques, suffrage universel, élus, instances de régulation …), donne une place particulière à l’intervention la société civile non plus seulement comme un recours en cas de crise et blocage mais, pourquoi pas, comme un espace de concertation et de participation directe à la vie publique entre deux élections. Et cela pourrait s’avérer encore plus pertinent au niveau local et régional. La question mérite d’être posée.

Aucun doute à cela à mes yeux. Mais, attention, il y a société civile et … société civile

Mais il y a société civile et … société civile

En effet il y a en Tunisie, depuis le 14 janvier 2011, ce qui est apparent, visible, en fait ce qui est médiatisé et il y a ce qui l’est moins, qui agit en silence, dans les profondeurs de la société.

Bien sûr il n’y a pas de frontières étanches entre ces deux niveaux mais ils n’en fonctionnent pas moins selon des règles spécifiques, chacun à son rythme propre … Il y a, sous les projecteurs, tous les débats sur les grandes questions politiques et institutionnelles du moment (sur la Constitution, les instances de régulation, de contrôle, les positionnements des uns et des autres, les recompositions partisanes, les petites phrases des uns auxquelles répondent celles des autres, les mobilisations de rue aussi …) bref, tout ce dont les Tunisien-nes sont quotidiennement abreuvés à travers les médias et les réseaux sociaux. Qui plus est avec la liberté d’expression et de la presse (re)trouvées  – incontestablement l’acquis le plus palpable de la révolution – et dont use (et quelquefois abuse) ce que l’on nomme la « classe » politique et médiatique. Mais, tout compte fait, il vaut mieux la liberté d’expression avec parfois quelques abus (qui peuvent être au demeurant identifiés et règlementés par la loi) plutôt que pas de liberté du tout !

Voilà pour ce qui concerne l’écume ou comme on dit la partie visible de l’iceberg.

Car il est un autre niveau, un autre champ où se déroule une bataille, non moins rude mais heureusement pacifique, bien plus fondamentale et qui concerne, cette fois, la société en profondeur, dans le quotidien des gens et des quartiers. Elle a lieu, bien sûr, dans les espaces où interviennent et agissent les organisations de la société civile mais aussi de certaines institutions (comme les mosquées par exemple). Et la confrontation concerne aussi bien les contenus que la manière dont sont menées les actions et les interventions. Cette bataille paraît moins bruyante, loin de l’arène médiatique, et pourtant c’est elle qui, demain, dans les mois et surtout les années à venir, fera pencher le balancier politique dans un sens ou dans l’autre. C’est elle qui façonne, dès à présent, par petites doses, les différentes approches et les conceptions que se font les Tunisien-nes de la politique et surtout du modèle de société qu’ils souhaitent instaurer. Une bataille sociétale et notamment culturelle et sociale qui engage l’avenir du pays. C’est une bataille en apparence « silencieuse » entre deux projets de société : un projet ouvert et fondé sur la liberté vs un projet totalitaire.

Ainsi et pendant que les élus de l’ANC, les responsables politiques bataillaient sur le contenu de la constitution, sur l’échéancier qui devait clore la transition, sur les prérogatives de l’ANC, sur les priorité du gouvernement, sans parler des multiples questions qui n’avaient pas lieu d’être dans cette phase de transition et ont fait perdre un temps précieux à cette « honorable assemblée » … pendant que les médias et les réseaux sociaux s’en donnaient à cœur joie dans cette liberté retrouvée … une autre bataille, plus « silencieuse » elle, se déroulait dans les coins et recoins de la société tunisienne, en profondeur et notamment par le biais de la société civile qui s’avère être l’espace immédiat où s’expriment le plus directement et où se focalisent les aspirations de la révolution. Deux espaces, au moins, me semblent, en cela, symboliser cette bataille en profondeur :

1/ Des syndicats voient le jour dans des corps de métiers au cœur même de l’appareil d’Etat (comme la police (3), la garde nationale (4), la douane (5) …) lesquels étaient jusque là tenus à l’écart par tous les pouvoirs … chose inimaginable il y a seulement quelques années. Corporatisme ? Sans doute un peu ! Disons plutôt tentative d’organisation de défense dans des corporations sensibles. Mais quant on voit les questions soulevées par l’existence même de ces syndicat à propos de l’idée de police républicaine, de refus de toute instrumentalisation politique … on se dit qu’il y a là peut-être les premiers pas d’un contre-pouvoir indispensable dans une démocratie. Si tel était le cas ce serait, à n’en pas douter, une petite révolution au cœur de Big-Brother. Bien sûr la question a fait la unes des médias lorsque les premières mobilisations de rue de policiers ont eu lieu, ou quant ces syndicats ont dénoncé l’existence d’une police parallèle au service du pouvoir politique … . Bien sûr que comme toute médiatisation cela joue comme un miroir grossissant et déformant. D’autant que les citoyen-nes, habitués jusque là à un autre rapport à la police, regardaient la chose avec, sinon une méfiance, en tout cas une interrogation légitime.

Et pourtant, au-delà de la médiatisation qu’elle a pu avoir par moment, cela participe d’une vague de fond qui traverse ces corps de métiers et ces institutions étatiques, comme d’ailleurs elle traverse le pays tout entier, et dont on ne mesure pas encore l’ampleur véritable. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, par exemple, et de plus en plus, nous assistons à la mise en exergue de questions qui touchent justement au rapport de l’Etat avec les citoyen-nes. Tantôt on dévoile l’état des prisons tunisiennes et la manière dont y sont traités les emprisonnés, tantôt c’est la question de passe-droits et de la corruption, encore en vigueur, dans les ports et les poste frontières, tantôt c’est le refus et la dénonciation de toute instrumentalisation des policiers par le pouvoir politique … Les syndicats de policiers, de gendarmes, de douaniers … sont peut-être le biais par lequel les fonctionnaires de ces corps de métiers et de ces administrations découvrent qu’ils sont, au fond, des citoyens comme les autres. Et de simples justiciables comme les autres également ! Certes ils ont perdu les « avantages » et les « petits arrangements » qu’ils tiraient de leur position sous l’ancien régime mais, en revanche, ils sont en train de redécouvrir et se réapproprier, outre l’estime et le respect des Tunisien-nes, le statut de citoyen-nes qui ont aussi des droits. Il est vrai aussi, et cela mérite d’être rappelé, que l’un des tout premiers effets de la révolution a été d’avoir brisé le mur de la peur avec, parfois, les dérives que l’on imagine. Inévitables dérives dans les révolutions mais les Tunisien-nes ont tôt fait de comprendre également que le retour de l’Etat était indispensable dès lors que les rôles, les droits et les devoirs de chacun commençaient à être clairement définis. Et plus simplement comment transformer les organes de sécurité d’instrument de répression qu’ils étaient depuis l’indépendance en un véritable service public. Rien de moins ! Et cela est, en soi, une petite révolution. Encore faut-il que cela se pérennise à travers des institutions qui agissent dans une réelle transparence et soumise au contrôle démocratique.

Et ce phénomène de syndicalisation traverse même des corps de métiers jusque là intouchables tels par exemple les imams et les employés des lieux de cultes. Comme par exemple la constitution, dès janvier 2011, du Syndicat national des imams et cadres des mosquées de Tunisie (affilié à l’UGTT) qui représenterait, selon ce même syndicat, prés du 1/3 des employés des mosquées (6). La réalité de ce secteur est certainement moins idyllique.

Oui mais… En face ou à côté, de cet embryon de police républicaine ou d’imams sécularisés des mosquées on sait aussi qu’il existe des velléités pour briser ces efforts. D’autres forces, autrement plus importantes avec des moyens sans communes mesures, tentent par tous les moyens d’instaurer des polices parallèles quasi privées ou des structures courroies de transmission affiliées au nouveau gouvernants et surtout au mouvement Ennahda ou au CPR : police des mœurs par-ci, milices et ligues de « défense » par là ….

Concernant les mosquées par contre la situation est autrement plus préoccupante et le rapport de force est indiscutablement en faveur des mouvements Ennahda et/ou des fondamentalistes. Le débat sur tout ce qui touche le domaine du sacré et des lieux de cultes à l’ANC en témoigne aisément. Nous ne sommes donc pas encore sorti de l’auberge !

2/ La dynamique associative est un véritable bouillon de culture et d’initiatives (7). Avant 2011 on avançait le chiffre de 10.000 associations dont plus de la moitié étaient des associations qui intervenaient dans le domaine de l’action et de développement des écoles primaires (créées d’ailleurs pour l’essentiel en 1988 – 89). Par contre les associations œuvrant dans le domaine des droits humains ou de femmes se comptaient sur les doigts d’une main.

Avec la révolution et la modification de la loi sur les associations (8), nous allons assister à un double phénomène : d’une part un foisonnement sans précédent dans tout le pays et l’on estime à prés de cinq mille (5.000) le nombre d’associations créées en l’espace de deux ans (2011 – 2012). Dans tous les domaines, toutes les régions ont a vu se constituer des associations de toutes sortes et de toute nature. D’autre part, et c’est là un bond qualitatif, ces associations n’attendent pas que l’Etat soit l’unique interlocuteur ou même l’unique pourvoyeur de moyens et de subventions mais s’attèlent elles-mêmes à rechercher d’autres partenariats et d’autres sources de financements pour leurs activités ou en tout état de cause elles fondent leur travail sur le principe du volontariat et du bénévolat. Les relations et le travail d’aiguillon de ces associations avec les institutions de l’Etat ou avec les organisations professionnelles permettent ainsi de pointer du doigt les erreurs et les lourdeurs dans le fonctionnement de la bureaucratie établie. Une bureaucratie qui a besoin d’être secouée comme un cocotier. Rares sont les domaines qui échappent à la critique de la société civile : l’école, le sort des personnes âgées, la question des transports, de l’habitat, l’état des routes, la propreté et l’hygiène, la défense des consommateurs, la santé, les services publics (9) … Car il faut répondre aux attentes de la population en matière d’améliorations des conditions de vie, concrètement. Et comme la Tunisie est un véritable chantier à ciel ouvert il y a de quoi s’occuper. Et dans ce foisonnement associatif même (et surtout) les politiques n’y échappent pas (il y a par exemple des associations qui ont décidé de contrôler l’assiduité et le travail des élus à l’ANC telle l’association El-Bawssala, ou pour suivre le travail de la justice transitionnelle comme le Labo’ Démocratique, et plus récemment s’est même créée une association Jomaameter.org pour suivre l’action du gouvernement de M.Mehdi Jomaa…). La citoyenneté semble d’ailleurs être l’un des thèmes centraux de cette dynamique. Les thématiques sociétales sont à l’honneur, reflet des interrogations et des préoccupations des Tunisien-nes et auxquelles, comme toujours, l’Etat ne prête guère toute l’attention nécessaire. Et ces thématiques, même celles qui paraissent quelque peu « marginales », ne sont pas un luxe ou un hobby de quelques bourgeois en mal de bonnes œuvres (même si cette tendance existe et elle leur fait honneur) mais bien parce que se sont, au contraire, de vraies questions qui conditionnent le « vivre ensemble » (comme par exemple la question du racisme en Tunisie, des migrants étrangers vivants en Tunisie, de la défense des minorités religieuses ou linguistique, des droits de l’enfant, des handicapés, contre la torture (10), pour l’abolition de la peine de mort, la violence à l’égard des femmes, l’environnement (11) …). Bien sûr il ne s’agit pas d’en exagérer la portée ou de se voiler la face et oublier que ces associations trainent encore un lourd handicap concernant l’implication directe des citoyen-nes, et notamment parmi la jeunesse ou les catégories défavorisées, dans la vie associative (12).

Cependant et quoi qu’il en soit la société civile en Tunisie, et elle l’a amplement démontré au cours de ces trois années, demeure le point d’appui incontournable et surtout le véritable laboratoire de la transition vers la démocratie et pourquoi pas, demain, sur le plan local, dans la perspective d’une décentralisation à venir.

Oui mais … là aussi il y a une autre démarche et une autre conception de la vie associative et du rapport au(x) citoyen(s) qui sont à l’œuvre. Là de même se déroule une autre « révolution » tout aussi silencieuse. Toujours selon l’étude de Foundation déjà citée il s’est crée entre 2011 et 2012 quelques 1.130 associations (soit 23%) classées comme associations dites de charité, de bienfaisance et de secours et nombreuses parmi celles-ci « affichent une affiliation idéologique et religieuse et opèrent souvent selon une orientation politique particulière ». De même selon le quotidien La Presse « En moins de trois ans, le nombre des crèches coraniques, inconnues jusque-là, a atteint les 702, selon le ministère des Affaires de la femme et de la famille (Maff). Mais selon diverses autres sources, notamment syndicales, il s’élèverait en réalité à 2000 ». Comme on le voit, si ces données s’avèrent exactes, cette autre dynamique, qui agit également dans la société civile, se distingue néanmoins de la première par cinq caractérisques au moins :

1/ elle agit de manière souterraine sans chercher une quelconque médiatisation ou publicité pour promouvoir son action (un peu à l’image des mouvements sectaires partout dans le monde) ; 2/ les domaines qu’elles touchent et convoitent sont principalement ceux de la petite enfance et de l’éducation, ceux de la famille et de la femme (13) (et ou semble-t-il, l’endoctrinement, dès la plus tendre enfance, est la règle faisant ainsi office de « pédagogie ») et bien sur ceux de la charité, de bienfaisance et de secours ; 3/ Elles sont en général des émanations et des courroies de transmission de mouvements politiques ; 4/ la citoyenneté et/ou l’adhésion volontaire ne semblent faire partie de leurs critères ; 5/ enfin et en comparaison avec l’autre dynamique de la société civile, l’une et l’autre ne s’adresse pas, visiblement, aux mêmes publics et populations (14).

Ce constat et cette bataille « silencieuse » qui se déroule au niveau de la société civile n’est, peut-être, en réalité, que le reflet et le prolongement d’une autre confrontation qui a lieu sur les plans économiques, sociaux, culturels … dont on commence à entrevoir les prémices.

La société tunisienne est divisée, c’est une évidence. Deux projets de société en perspective. Et les deux révolutions « silencieuses » qui s’affrontent, par société(s) civile(s) interposée(s), en sont l’expression. D’une part un projet ouvert, qui s’inscrit dans le processus de sécularisation enclenché depuis plus d’un siècle et demi maintenant et fondé, surtout depuis la révolution sur la liberté et le « vivre ensemble » et dans lequel chacun(e) peut y retrouver ses marques sans autres contraintes que le respect de la liberté d’autrui, et, d’autre part un autre projet qui prend ses sources dans la doctrine wahhabite et qui entend, au contraire du premier, imposer à tous et surtout à toutes, si nécessaire même par la violence et la terreur, un modèle unique et exclusif et dans certain cas jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne.

Donc projet de société VS projet de société !?

Notes

[1] Surtout après l’assassinat de Mohamed Brahmi en juillet 2013 et la naissance du mouvement « Erahil » et la mobilisation populaire qui s’en est suivie.

[2] Rappelons que l’Angleterre n’a pas de constitution écrite à proprement parler mais plutôt un ensemble de règles non codifiées. C’est pour ainsi dire l’esprit de la Grande Charte des Libertés de l’Angleterre qui date de1215 qui a guidé et inspiré l’évolution du droit anglais.

[3] C’est en mars 2011 que va être crée le syndicat des forces de sécurité intérieure. Depuis d’autres structures syndicales vont voir le jour au sein du ministère de l’Intérieur. Début septembre 2012, deux syndicats de policiers le Syndicat nationale des forces de sécurité intérieure et l’Union nationale des syndicats des forces de sécurité ont annoncé vont fusionner et créer le Syndicat de la sécurité républicaine

[4] C’est en janvier 2011 que se constitue une «coalition syndicale de la Garde nationale». Cette coalition ayant refusé la fusion avec les syndicats policiers en septembre 2012.

[5] En juillet 2013 l’ANC a voté un texte reconnaissant le droit syndical chez les douaniers. En septembre 2013 se constitue l’Union des syndicats de la douane qui va regrouper 3 syndicats existant (le Syndicat des agents de la douane, le Syndicat national de la douane et Syndicat des sous-officiers)

[6] Selon un rapport de l’administration réalisé en mars 2010 il y avait alors 4627 lieux de cultes et 17158 agents y travaillant. Aujourd’hui on parle de 5 à 6000 lieux de culte et selon le syndicat des imams il y aurait quelques 218 mosquées hors du contrôle de l’Etat quelques 800 sous contrôle d’Ennahdha et 40 autres sous l’influence des salafistes.

[7] Selon les données de l’IFEDA elles étaient au nombre de 10.000 environ en 2010 elles sont passées à 14966 à la fin 2012 soit prés de 5.000 associations en deux ans (dont 1130 associations caritatives et de bienfaisance, 1018 association culturelles et artistiques et 935 associations de développement). A signaler aussi l’importance des associations agissant dans le domaine des droits humains (dont 310 pour la

citoyenneté, 190 pour les associations de droits et 68 associations de femmes). Certaines sources (Kapitalis) parlent de plus de 16500 associations et plus de 1800 dossiers en attentes en 2013.

[8] Pour mémoire voici ce que dit le décret de septembre 2011 : Art.2 – « l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ». (…) Art.4 – : « Il est interdit à l’association : Premièrement : De s’appuyer dans ses statuts ou communiqués ou programmes ou activités sur l’incitation à la violence, la haine, l’intolérance et la discrimination fondée sur la religion, le sexe ou la région. Deuxièmement : D’exercer des activités commerciales en vue de distribuer des fonds au profit de ses membres dans leur intérêt personnel ou d’être utilisée dans le but d’évasion fiscale, Troisièmement : De collecter des fonds en vue de soutenir des partis politiques ou des candidats indépendants à des élections nationales, régionales, locales ou leur procurer une aide matérielle. Cette interdiction n’inclut pas le droit de l’association à exprimer ses opinions politiques et ses positions par rapport aux affaires d’opinion publique ». Art.5 – L’association a le droit : Premièrement : D’obtenir des informations, Deuxièmement : D’évaluer le rôle des institutions de l’Etat et de formuler des propositions en vue d’améliorer leur rendement, Troisièmement : D’organiser des réunions, manifestations, congrès, ateliers de travail et toute autre activité civile, Quatrièmement : De publier les rapports et les informations, éditer des publications et procéder aux sondages d’opinions. Art.6 – Il est interdit aux autorités publiques d’entraver ou de ralentir l’activité des associations de manière directe ou indirecte.

[9] Quelques exemples : Marsad (l’Observatoire de l’Assemblée Constituante tunisienne), Al Bawssala (association de Veille sur le travail législatif et exécutif), L’association Sawty qui se donne pour mission d’accompagner la jeunesse tunisienne durant la phase de transition démocratique. Ou encore à l’exemple du Syndicat national des conseillers des services publics (Sncsp), de l’Observatoire Tunisien des Couples et de la Famille, de l’Observatoire tunisien de l’Indépendance de la Magistrature (OTIM), de l’association tunisienne pour l’intégrité de la démocratie (ATIDE), de l’association I Watch, qui est une plateforme de lutte contre la corruption financière et administrative en Tunisie. de l’Association Tunisienne de Lutte Contre la Corruption (ATLCC), l’Association Tunisienne pour la Transparence Financière (ATTF) ou l’ALTT (Association de lutte contre la torture en Tunisie), l’AR2D : Association de Recherches sur la Démocratie et le Développement, l’ATCDC (Association Tunisienne pour la Culture Démocratique et la Citoyenneté), l’ATEP (Association tunisienne d’études politiques) … Ainsi selon foundation il s’est constitué entre janvier 2011 et décembre 2012 quelques 310 Associations de citoyenneté, 190 Associations de droits , 68 Associations féminines ; à côté de celles-ci il y a également 494 Associations scientifiques , 43 Associations pour l’enfance, 63 Associations de jeunesse, 167 Associations agissant pour l’environnement …

[10] Organisation contre la torture en Tunisie (OCTT), Organisation tunisienne pour les réformes pénitentiaires et sécuritaires (OTRPS), INSAF Justice pour les anciens militaires, Association tunisienne pour la réinsertion des prisonniers (ATRP), Association pour la justice et la réhabilitation (AJR), Observatoire Chahed, …

[11] Telle la fondation d’une coordination de la société civile écologique en Tunisie créée en juin 2013 qui regroupe les associations Alternatives, le Réseau Associatif pour la Nature et le Développement en Tunisie (RANDET), la Fédération Tunisienne de l’Environnement et du Développement, la Fédération nationale des Associations environnementales et du Développement durable, l’Association Mémoire de la terre Tunisie, l’Association des habitants d’El Mourouj 2.

[12] Car « En dépit de la prolifération des associations, l’implication des citoyens dans la « vie associative » constitue aujourd’hui un facteur de faiblesse de la société civile. L’étude montre que le nombre médian des membres d’une association ne dépasse pas 26 personnes ». « Au début de l’année 2013, la Tunisie comptait 14 966 associations, soit une association pour 724 habitants (ce ratio est de 175 aux États-Unis et de 65 en France) ». cf. Étude sur les organisations de la société civile en Tunisie. Foundation 2013)

[13] Comme l’association de promotion de l’homme, de la famille et de la société, créée en juin 2012 qui se fixe comme objectif de modifier le SCP (Code du statut personnel), et qui intervient également sur la question des mariages mixtes, des hommes divorcés dont les enfants sont avec leurs mères à l’étranger ….(tout un programme)

[14] En effet on a l’impression d’être en présence de deux dynamiques et deux démarches agissant dans des espaces totalement distincts et s’adressant à des populations et des zones différentes. On retrouve là très clairement la division constatée lors des élections en octobre 2011 et qui s’est plus ou moins confirmée par la suite à savoir que l’une touche plutôt les couches plus ou moins « aisées », et vivants plutôt dans les régions côtières alors que l’autre s’adresse davantage aux catégories et zones ou régions défavorisées de l’intérieur et du sud du pays ou dans les quartiers périphériques des grandes villes. Cela peut paraître schématique mais malheureusement assez proche de la réalité.