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La semaine médiatique a été chargée en…terrorisme. Entre les événements de Raoued, du 4 février dernier, et quatre jours après, ceux de Borj Louzir, le ministère de l’Intérieur, les médias et les réseaux sociaux se sont encore une fois enflammés, traitant les informations d’une façon inappropriée.

Le traitement de l’information par le ministère de l’Intérieur et les médias

A l’heure des médias de masse et des réseaux sociaux, la communication et le traitement de l’information en temps de crise a fortement évolué. Il ne s’agit plus de « torpiller » un public cible de messages persuasifs, mais de construire avec lui afin d’éviter un isolement face à l’information qui pourrait encourager les interprétations les plus extrêmes et les plus erronées.

Face à l’affaire Gadhgadhi, la rétention du ministère de l’Intérieur dans un premier temps, empêchant toute information de circuler, hormis via son propre porte parole, n’a eu pour effet que de faire basculer la presse et l’opinion publique dans l’émotion.

 

Dans une société de l’information où le « direct » prime et où le « public voyeur » est roi, jouer sur l’émotion est une erreur monumentale.

En effet, entre le début des opérations à Raoued et les explications du porte-parole du ministère de l’Intérieur, trois jours se sont écoulés. Durant ce laps de temps, tout, mais surtout n’importe quoi, a été décortiqué par les médias. En jouant sur l’opacité et étant la seule source des informations, l’Intérieur a mené d’une main de maître la communication de cette opération obligeant les médias à aller dans son sens, oubliant, sciemment ou pas, les limites de leurs fonctions et leurs déontologies respectives.

Tant au niveau des vocables utilisés par le porte-parole du ministère de l’Intérieur, que par les médias, la présomption d’innocence n’a jamais été respectée. Loin de moi toute idée de me faire l’ « avocat du diable », mais comment être sur du déroulement des opérations si la seule source est à la fois juge et partie ?! Comment juger des « innocents jusqu’à preuve du contraire » de terroristes sans que le procureur de la République n’ait mené son enquête ?!

Nous saurons par la suite que tel a été le cas et que malgré sa tentative de négociation, ces derniers n’ont pas voulus se rendre. Pourquoi alors n’y a-t-il pas eu dès le départ une mise au point ?!

Les arguments avancés par le ministère de l’Intérieur basés sur l’élément sécuritaire et sur la volonté d’arrêter les personnes impliquées ne tiennent plus la route face au développement de la « communication de masse » prétexte à toute sorte d’élucubrations. Pire encore, hier devant la Commission des Droits, des Libertés et des Relations Extérieurs de l’Assemblée Nationale Constituante devant laquelle il était amené à s’expliquer, le ministre de l’Intérieur, monsieur Lotfi Ben Jeddou, a affirmé que tout autre réponse aux interrogations sera donnée par les juges d’instruction. Selon lui ces derniers communiqueront, au moment opportun, sur tous les tenants et aboutissants de cette affaire et ce afin de préserver “le tourisme et l’investissement”.

Alors que, face au modèle de la « réponse unique dans un monde unique » source d’incrédulité du public, il aurait mieux valu envisager une construction de cette communication en tenant compte des différents acteurs et de leurs attentes. En se bornant à communiquer à une masse uniforme dans une prestation impersonnelle, cela ne fait qu’isoler un public de plus en plus sceptique analysant cet événement comme un élément d’une chaîne fragile et mensongère.

Ainsi jusqu’aux événements de Borj Louzir, les médias s’en sont donnés à cœur joie de détails sur la vie des terroristes, d’un déroulement hypothétique des événements sans un instant poser les bonnes questions, manipulant un « public voyeur » toujours en proie à de nombreuses interrogations.

Cependant, le ministère de l’Intérieur semble avoir retenu la leçon quelques jours plus tard lors des événements de Borj Louzir. En préparant son intervention à l’avance, il a profité de la déferlante médiatique de l’opération de Raoued pour maîtriser l’impact médiatique de l’opération de Borj Louzir. S’étant déroulée sur un court laps de temps, celle-ci a donné lieu très rapidement à une explication, permettant au ministère de mieux résorber l’incrédulité du public.

En moins d’une semaine, deux méthodes ont donc été utilisées pour communiquer sur ces événements : une méthode de gestion de crise pour l’opération de Raoued et une méthode d’anticipation pour l’opération de Borj Louzir.

Tout cela a-t-il été prémédité? La « thérapie du choc » a-t-elle pour but de scruter les réactions ?! Ça serait accorder trop de crédits aux communicants du ministère de l’Intérieur.

En clair, une telle stratégie, amenant les mass média à légitimer sans broncher son action, pourrait créer un précédent et vicier d’autres sujets encore plus graves. En d’autres termes, en légitimant cette communication, les médias se sont faits bernés tombant dans le piège de l’émotion et oubliant la réalité du domaine politique.

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D’ailleurs, en épluchant les médias des jours suivants, on se rend compte que la communication du ministère de l’Intérieur a bel et bien porté ses fruits. On retrouve partout les mêmes informations et analyses, que ce soit dans la presse écrite, les sites d’informations ou les radios.

Qu’en est-il des réseaux sociaux ?

La force des réseaux sociaux se fonde sur deux critères : la vitesse et le nombre.

De ce fait dans une communication de crise, il est fondamentale d’en tenir compte, car une « perte de l’information » ou « sa transformation » peut vite avoir lieu.

Un exemple :

Un des risques émanant de ces réseaux est ce qu’on pourrait appeler « l’information asymétrique ». Ainsi face à la multiplicité des sources et en l’absence de communication officielle, plusieurs versions ou faits peuvent être apportés.

 

Par ailleurs que ce soit à travers Twitter ou Facebook, ces événements n’ont pas laissés insensibles blogueurs, politiciens, et pages radicales islamistes.

Quand les premiers œuvrent entre points de vue, ironie et analyses…

 

 

…les seconds eux restent plus mesurés, bien que citoyens avant tout ils attendent des réponses à leurs interrogations.

 

Reste enfin les pages salafistes, qui elles font clairement l’apologie de « leurs martyrs » tout en dénigrant le travail des forces de l’ordre.

 

Autant dire que les réseaux sociaux en situation de crises favorisent la radicalisation des opinions en créant un réseau de convergences d’idées et d’argumentaires en conformité avec la représentation que chaque individu se fait d’un événement.

Ainsi ici, une dualité de convictions a eu lieu en l’absence d’éléments clairs permettant de répondre aux interrogations. Cette dualité exprimée sur la base vérités/mensonges face à la communication du ministère de l’Intérieur, n’a fait qu’altérer encore plus le déficit de sympathie vis-à-vis de cette institution.

Face à ces événements, le ministère de l’Intérieur tout comme les médias nous montrent qu’ils sont dans l’apprentissage de la communication de crise. Certes ils ont outrepassés leurs fonctions et ont fait preuve de maladresse dans la gestion de crise, mais peut-on réellement les blâmer pour cela. Ne sont ils pas eux aussi entrain de vivre leurs premiers balbutiements démocratiques face à des situations inédites ?!